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tionna l'invention en imaginant un procédé plus facile pour la fonte des caractères1.

Fichet, recteur de la Sorbonne, introduisit l'imprimerie à Paris en 1469. Les nouvelles presses produisirent sept cent cinquante-un ouvrages jusqu'à la fin du xve siècle, et dès le commencement du suivant elles ne donnèrent pas moins de huit cents publications dans l'espace de dix ans; dans le nombre se trouvaient quelques ouvrages grecs. Le nonchalant Hermonyme était remplacé par le savant Italien Aleandro, recteur de l'Université de Paris en 1512, pensionné par Louis XII, et enseignant le grec et peut-être l'hébreu.

Ce fut surtout sous François Ier que la Renaissance prit l'essor. Jamais l'esprit humain n'avait développé une curiosité plus enthousiaste pour le passé, une activité plus studieuse, plus passionnée pour les lettres. Les imprimeurs, pleins de la dignité de leur mission, marchaient de pair avec les premiers savants de leur siècle. Aux Badius Ascensius, aux Gourmont, aux Colines, aux Dolet, succéda la famille. des Estienne, ces prodiges de science et de travail, qui, pendant quatre générations, élevèrent l'art de la typographie à la plus haute perfection qu'il ait jamais atteinte. François Ier lui-même témoignait sa sollicitude à cette dixième muse par la création de l'imprimerie royale. Cet établissement n'était que l'appendice d'une institution encore plus importante. Laissant à la Sorbonne sa stérile escrime théologique, le roi conçut et réalisa la pensée de séculariser l'enseignement. Le College royal (Collège de France), créé en 1531, se remplit de chaires d'hébreu, de grec, de latin, de médecine, de mathématiques et de philosophie, admirable pêle-mêle de science, désordre fécond d'une généreuse époque, que des temps plus rassis eussent dû peutêtre assujettir à une organisation plus méthodique. C'est là que brillèrent les Vatable (Wastebled), les Danès, les Toussain, et le savant Turnèbe et le disert Lambin, dont la

1. H. Hallam, Histoire de la littérature de l'Europe, t. I, p. 151, analyse et résume les longues discussions auxquelles a donné lieu cette matière. Les principaux auteurs qui y ont pris part sont indiqués dans l'Histoire littéraire de l'Italie, par Ginguené, t. III, p. 270.

sage lenteur enrichit la science antique de nombreux commentaires et la langue française d'un terme expressif emprunté à son nom.

Budé; Erasme.

Aux souvenirs du Collège de France se rattachent les deux renommées les plus brillantes parmi les savants du XVIe siècle, Budé et Érasme, dont l'un détermina le roi à créer cet établissement, l'autre refusa d'en être le chef et d'aliéner ainsi son indépendance d'homme de lettres. Grâce à Guillaume. Budé', le plus savant helléniste de l'Europe, la France n'eut plus rien à envier à l'Italie, sous le rapport de la science philologique. Ce fut lui qui, le premier, détrônant l'insuffisante compilation de Guarino (l'Etymologicum magnum de Phavorinus), et devançant de 43 ans le véritable Trésor de Henri Estienne, fixa, dans ses Commentaires, le sens d'une grande partie des mots de la langue grecque, et se fit le législateur d'une science qui n'avait eu jusqu'alors que d'aventureux champions. Chez lui se manifeste déjà la tendance sérieuse et positive de l'érudition cisalpine; même dans un travail sur les mots, Budé se préoccupe des choses. Il explique, avec une justesse et une précision qui n'ont pas été surpassées, les termes grecs du droit et du barreau, et les rapproche des termes de la jurisprudence romaine. C'est ainsi que, dans son excellent traité de Asse, il expose les dénominations et la valeur des monnaies romaines à toutes les époques de l'histoire, et que, dans ses Observations sur les Pandectes, il appliqua le premier la philologie et l'histoire à l'intelligence du droit romain, innovation qui, perfectionnée dans la génération suivante par des hommes plus versés dans la jurisprudence, devait y produire une sorte de révolution. Toute la gloire littéraire de Budé peut se résumer en un mot : il excita la jalousie d'Érasme, qui resta pourtant son ami.

Érasme de Rotterdam vint plusieurs fois et vécut longtemps à Paris. Il est nôtre par ses relations avec la France

1. 1467-1540. Ouvrages principaux: Annotationes in Pandectas; de Asse; de Studio litterarum; Commentaria in linguam græcam,

2. Né en 1467, mort en 1536.

et surtout par le caractère tout français, tout voltairien de son esprit, plein d'audace pour aborder tous les problèmes, plein de raison pratique pour les résoudre. Jeté, par sa naissance, au milieu des luttes acharnées des sectes religieuses, il trouva la modération dans l'étendue de sa pensée, et vit trop bien et trop loin pour être un homme de parti. Sa haute intelligence saisit tous les extrêmes, et s'en éloigna par conviction plus encore que par timidité. Il usa sa vie à concilier deux opinions exclusives et intolérantes. Ami de Luther et de Léon X, écrivant ses Dialogues contre les moines, et son traité du Libre arbitre contre les novateurs, donnant tour à tour raison aux deux systèmes, ou plutôt reconnaissant la raison partout où il la trouvait, tolérant par intelligence, comme Mélanchthon par caractère, Erasme fut successivement recherché et maudit par les deux exagérations extrêmes, et ne servit lui-même d'autre parti que celui du bon sens et de l'humanité.

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La plupart des écrits d'Érasme roulent sur des matières de théologie. Néanmoins c'était à regret, c'était pour satisfaire aux nécessités de son époque et de sa position qu'il descendait dans l'arène de la polémique. Toutes ses prédilections étaient pour l'antiquité renaissante. C'était pour lui un culte, une religion. Peut-on appeler profane, s'écriait-il, ce qui est vertueux et moral? Sans doute nous devons aux livres saints la première place dans notre vénération; cependant quand je rencontre dans les anciens, fussent-ils païens et poëtes, tant de chastes, de saintes, de divines pensées, je ne puis m'empêcher de croire que leur âme, au moment où ils les écrivaient, était inspirée par un souffle de Dieu. Qui sait si l'esprit du Christ ne se répand pas plus loin que nous ne l'imaginons ?» On comprend qu'au milieu des querelles religieuses du XVIe siècle, de telles idées ne pouvaient faire d'Erasme un chef de parti. Elles l'animaient au moins d'une énergique haine contre les ennemis des lumières nouvelles. Dans ses Adages, dans ses charmants Dialogues, dans son amusant Eloge de la folie, il

4. Erasmi Colloquia, Convivium religiosum.

aiguise contre les moines dégénérés de son temps les traits. les plus acérés. Les rois et les princes ne sont pas à l'abri des hardiesses de sa raison; mais le même bon sens le ramène bientôt dans la pratique à cette juste mesure qui fait le caractère et la force de son talent. Il faut supporter les princes, dit-il en terminant, de peur que la tyrannie ne soit remplacée par l'anarchie, fléau plus détestable encore1. >>

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Érasme nous présente dans toute sa force le contraste qui séparait les lettrés des deux côtés des Alpes. Au nord, on le voit, dès l'aurore du xvi siècle, l'érudition agitait les plus hauts problèmes. Sans dédaigner la pureté de la diction, elle la subordonnait à l'intérêt du sujet et de la pensée. L'Italie offrait alors un spectacle bien différent. Tout entiers à l'adoration de la forme, les savants italiens mettaient un orgueil national à reproduire dans leurs écrits l'exquise élégance de l'âge d'Auguste. Une école plus exclusive encore allait même jusqu'à rejeter toute expression, toute tournure qui n'avait pas été employée par Cicéron. Pour ces dilettanti cicéroniens, l'idée était une chose secondaire, peut-être même nuisible; le langage était une mélodie qui, toute seule, suffisait à enchanter éternellement leur voluptueuse oreille. Bembo, le plus illustre d'entre eux, avait, dit-on, quarante portefeuilles dans chacun desquels passait. successivement chaque page qui sortait de sa plume pour subir de degré en degré toutes les corrections de son goût scrupuleux. Il n'est pas besoin de dire que rien n'était plus contraire à l'imitation véritable du grand orateur romain que ce calque servile de ses formes.

C'est contre cette superstition qu'Erasme écrivit son Ciceronianus. Fidèle à la modération qu'il portait partout, l'apôtre le plus zélé de la Renaissance cherchait à la préserver de ses excès. « Que votre premier soin, dit-il, soit de vous bien pénétrer de votre sujet. Lorsque vous le posséderez parfaitement, les mots vous viendront en abondance, les sentiments vrais et naturels couleront sans effort de votre plume. Boileau n'a pas mieux dit un siècle après, ni

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4. Adagia, Scarabæus.

Horace seize siècles auparavant. Érasme servait de lien entre ces deux hautes raisons. Lui-même pratiquait admirablement ce qu'il prescrivait aux autres. Son style, reflet heureux de son caractère, est net, vif, expressif, plutôt que régulier, doué de physionomie plutôt que de beauté, prompt à l'attaque, pétillant de saillies et de verve. Il ne se drape pas avec roideur dans la toge consulaire de Cicéron; il saisit au hasard la tunique plébéienne, et conserve sous ce costume toute la liberté de son allure. Il parle le latin comme une langue vivante, avec aisance et originalité. Cependant malgré tout son esprit et tout son savoir, Érasme subit la fatale condition des écrivains septentrionaux du xvIe siècle. Il n'a point au service de son immense talent un idiome indigène arrivé à l'état de langue littéraire. Il est contraint de se créer un dialecte tout personnel dans une langue morte, comme plus tard Montaigne se fera un français enluminé de gascon. Ces difficultés, qui ajoutent au mérite de l'écrivain, nuisent à sa popularité future. La langue d'Érasme étant une langue d'érudition, Érasme n'est plus un grand écrivain que pour les érudits'.

C'est surtout dans la seconde moitié du xvie siècle que l'érudition française achève de prendre un caractère déterminé et devient véritablement scientifique. En même temps. elle néglige de plus en plus cette élégance de formes qui l'avait d'abord quelquefois rapprochée de l'éloquence. Le type allemand ou cisalpin l'emporte sur l'italien, l'école de Budé sur celle de Bembo. C'est alors que fleurissent les savants les plus illustres du xvi siècle, les deux Scaliger, Casaubon, Juste Lipse. Alors les premières traductions du grec sont remplacées par des versions plus fidèles. Henri Estienne élève à la philologie grecque un monument impérissable dans son Thesaurus linguæ græcæ, digne pendant du Thesaurus linguæ latina, de Robert Estienne, son père; Conrad Gesner tente le premier, dans son Mithridate, de coordonner les diverses langues d'après leur origine et leurs

4. Voyez, sur Érasme, les trois excellents articles publiés par M. D. Nisard, dans la Revue des deux Mondes, août et septembre 1835.

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