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Ou tous furent porte-paniers (porte-faix).
Autant puis l'un que l'autre dire:
Car d'évêques ou lanterniers
Je n'y connais rien à redire.

Et icelles qui s'inclinaient
Unes contre autres en leurs vies;
Desquelles les unes régnaient,
Des autres craintes et servies;
Là les vois, toutes assouvies
Ensemble en un tas pêle-mêle.
Seigneuries leur sont ravies :
Clerc ni maître ne s'y appelle.

Que manquait-il à cette poésie populaire du xve siècle, qui déployait si hardiment ses voiles entre le monde de Bossuet et celui de Shakspere? La même chose précisément qui manquait à l'esprit du peuple. Une élévation morale plus fréquente, sinon plus haute, l'habitude des grands objets et des affaires importantes: la richesse et la dignité. Le peuple, longtemps couvé sous les ailes de l'Église, se séparait d'elle enfin pour vivre de sa propre vie. Mais qu'il était faible et grossier encore ! L'incapacité des Valois, leurs vices, les fléaux de la guerre, l'invasion des conquérants anglais, le laissèrent longtemps aux prises avec les besoins matériels et non satisfaits de la vie. Dégradé par l'esclavage et la misère, il ne pouvait lever vers le ciel un mâle et libre visage. Mais voici qu'une révélation nouvelle va luire sur le front de l'affranchi. La noble et sainte antiquité, sortie peu à peu des cloîtres et des manuscrits, grandie en Italie sous Dante, Pétrarque et Boccace, multipliée par le divin bienfait de l'imprimerie, va mettre ce peuple appauvri en possession de toutes les richesses des anciens âges. L'humanité, à qui l'Évangile a enseigné de nouvelles vertus, va rentrer en possession de l'héritage du paganisme, et réunir dans un vaste lit tous les flots épars de la tradition.

Le XIV siècle est une grande et triste époque: l'Europe s'ébranle et se divise alors comme à la chute de l'Empire. Au XIV et au XVe siècle un grand empire aussi s'écroule le moyen âge avait réalisé jusqu'à un certain point l'ambitieuse, mais admirable pensée de ses pontifes, celle d'une vaste so

ciété spirituelle. Cette nouvelle monarchie succédant à l'empire romain, mais plus vaste que lui, plus pure par son principe, puisqu'elle reposait sur la conviction et non sur la force, cette immense patrie qu'avait créée l'Église, et qui possédait une langue, des mœurs, une administration, une hiérarchie et avant tout une foi communes, cette puissante organisation allait s'anéantir. Chaque peuple reprenait sa vie personnelle et indépendante. Déjà l'Italie s'est détachée de l'imitation et du langage des troubadours, elle s'est affirmée elle-même par la voix puissante de Dante. L'Espagne trouve chez elle son héros, et sa poésie grandit à l'ombre majestueuse du Cid. L'Angleterre cesse enfin avec Chaucer de parler la langue de ses conquérants, et les guerres des Valois tranchent durement les deux nationalités. L'Allemagne va bientôt avoir son pape, sa bible et sa chaire. Tout se dissout, tout s'isole. Mais cette fin d'un monde n'est que l'aurore d'un monde nouveau. L'unité du moyen âge se brise, mais pour se refaire un jour sur une base plus large. La société nouvelle aura pour tâche d'admettre dans son sein et de pacifier tous les contrastes de pensée et de race. Le monde doit marcher par les voies de la liberté vers l'unité moderne, celle de la vérité reconnue et acclamée par la raison.

LA RENAISSANCE.

CHAPITRE XXII.

LA RENAISSANCE AU XVI SIÈCLE.

DIFFICULTÉ QUE PRÉSENTAIT EN FRANCE LE PROBLÈME DE LA RENAISSANCE. -INFLUENCE De l'italie.— Étude de l'antiquITÉ; IMPRIMERIE; COLLÉGE - BUDÉ; ÉRASME.

DE FRANCE.

Difficulté que présentait en France le problème
de la renaissance.

La renaissance du xvIe siècle ne fut pas, comme on pourrait le croire, une reproduction servile de l'antiquité, mais bien une fusion harmonieuse des éléments de la civilisation chrétienne avec les traditions du goût et du savoir antiques. L'Italie fut le confluent où les deux courants se joignirent. Dante, Pétrarque, Boccace, ces conquérants infatigables des richesses du passé, semblèrent ne se proposer dans leurs œuvres en langue vulgaire que de transformer les rudes matériaux de notre moyen âge. Ils imprimèrent le caractère de la beauté, l'un aux pieuses légendes de nos trouvères, l'autre aux chants de nos troubadours, le troisième s'empara de nos fabliaux qu'il revêtit de sa prose brillante et périodique. L'Arioste conserva, dans son Roland furieux, la matière chevaleresque de nos chansons épiques. Il adopta le plan irrégulier, l'allure indépendante et capricieuse des chantres populaires de l'Italie; mais la poésie antique est comme le sang généreux qui circule dans ce corps tout moderne. Elle s'y manifeste par la perfection du style et par l'emprunt continuel des expressions et des images classiques. Le Tasse arriva au même but par une route tout op

posée; dans la Jérusalem, l'art antique a tracé le plan, réglé la forme et les limites de l'épopée; mais l'inspiration religieuse et chevaleresque est venue animer et vivifier tous les détails.

:

En Italie, la fusion de l'esprit moderne et des souvenirs antiques avait été simple et rapide. La renaissance n'avait eu à combiner que deux éléments, le catholicisme officiel et la tradition gréco-latine. Aucun obstacle n'avait entravé leur union les chefs du moyen âge, les papes, s'étaient mis à la tête du mouvement. Aussi le xvIe siècle y vit-il éclore, du sein de la civilisation nouvelle, l'expression la plus pure de la maturité sociale, la fleur immortelle de l'art. Il n'en fut pas ainsi de la France. Cette nation centrale, destinée à servir de lien entre toutes les races, de médiatrice entre toutes les idées, devait recevoir et combiner des éléments plus nombreux, plus divers, et souffrir, avant d'enfanter la pensée moderne, les douleurs d'une longue gestation. Ici ce n'est plus seulement à l'inspiration du moyen âge qu'il s'agit de donner la beauté antique : un esprit nouveau a soufflé du nord et a soulevé la conscience de l'homme jusque dans ses abîmes. Le droit de douter, le devoir de réfléchir, le besoin d'une action individuelle et libre, voilà ce qu'il faut combiner avec l'unité d'opinion, d'esprit et de gouvernement, condition nécessaire d'une forte unité nationale, préliminaire indispensable d'un art et d'une littérature.

Aussi par quelles agitations dans le domaine des faits se traduit cette diversité d'éléments dans la sphère des idées! Deux peuples dans la même nation, huit guerres civiles, deux rois assassinés, un roi assassin de son peuple, le passé et l'avenir venant comme deux fantômes tourmenter cette malheureuse époque, la féodalité cherchant à relever la tête et à partager la France, la démocratie passant des protestants aux catholiques, et formant avec la théocratie une bizarre alliance, enfin, comme pour marquer plus clairement le caractère de la lutte, deux races étrangères offrant aux deux partis leurs secours intéressés, et heurtant, au sein de notre malheureuse patrie, le sombre génie du nord contre le démon du midi: tel est le spectacle qu'offre aux yeux de

l'histoire la France du xvIe siècle. Puis arrive le dénoûment longtemps attendu de cette tragédie sanglante. Le tumulte s'apaise, les passions se calment, la politique s'endort dans une longue trêve monarchique, solution provisoire, comme toutes les solutions de ce monde! L'unité renaît par la conciliation des idées belligérantes. D'un côté la liberté d'examen est consacrée par l'édit de Nantes, c'est-à-dire par le dogme de la tolérance civile; de l'autre, le principe d'autorité est affermi, mais déplacé. L'unité sera désormais non dans l'Église, mais dans l'État. Au moyen âge il y avait une seule religion et une foule de gouvernements séculiers; dans les temps modernes il y aura plusieurs religions et une seule société civile. Les cultes divers seront embrassés dans le sein d'une seule grande société, la France, dont les membres s'appelleront les sujets du roi, en attendant qu'ils méritent un plus beau nom. Cette transaction donnera le curieux spectacle d'un double changement de drapeau; Henri IV de huguenot se fera catholique, le clergé ligueur deviendra royaliste. C'est-à-dire qu'un parti ne triomphera qu'en s'armant du principe de ses adversaires. Enfin, ce qui nous ramène au sujet spécial de nos études, la création de la société nouvelle, de la société politique et laïque ne pourra se faire que sous l'influence de l'idée antique d'une morale universelle, indépendante des formes particulières du culte et héritière de la tradition générale du genre humain. L'éducation même sous la main du clergé, sera désormais toute classique; l'art français, dans sa forme, sera en grande partie païen.

En France donc comme en Italie, comme dans les autres contrées de l'Europe, le fleuve des idées modernes entraîna dans son cours les débris immortels de la civilisation antique. Mais chez nous, on le conçoit, le mélange fécond de tant d'éléments divers acquit plus tard qu'en Italie sa limpidité. Ce n'est guère qu'au xvIIe siècle que fleurira en France, dans une littérature inimitable, la pensée longtemps agitée par les tourmentes de l'âge précédent. Le xvI° siècle nous offre dans ses œuvres la même discordance que dans ses factions. L'idée et la forme, la vie et la beauté y cherchent vainement à s'unir.

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