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reconstruire l'édifice sur des bases nouvelles. Il ne s'agit point de relever purement et simplement ce que le temps a détruit. La tentative gigantesque mais éphémère de Charle'magne est là pour nous apprendre que l'histoire ne se répète pas. Ce que le génie d'un grand homme n'avait pu faire, la force vitale des nations, la séve naturelle de l'esprit humain l'a accompli le moyen âge a trouvé de lui-même sa forme. Notre siècle sans doute trouvera aussi la sienne. Déjà, sans renoncer à la liberté, conquête de la génération précédente, nous avons rejeté ses stériles négations. La religion, dont nos aïeux avaient trop fait une institution politique appuyée sur la loi du pays, a retrouvé sa vraie puissance depuis qu'elle ne veut plus d'autres armes que la libre adhésion des fidèles, d'autre privilége que celui de faire le bonheur des hommes. L'État, l'art, la science, la philosophie se rapprochent et se groupent autour du principe sauveur qui se dégage lentement du milieu de nos souffrances, de nos déchirements et de nos misères; ce principe c'est la foi à la vérité librement examinée et librement admise, l'obéissance à la raison impersonnelle, souveraine invisible et absolue du monde.

Telles sont les idées que nous nous sommes efforcé de développer dans ce livre, et que nous soumettons avec respect au jugement du public.

Luxeuil, 20 août 1851.

Nous n'avons aujourd'hui à ajouter à cette préface que deux remerciments : l'un au public, qui nous a témoigné sa faveur en épuisant en assez peu de temps une première édition d'un assez nombreux tirage; l'autre aux rares organes de la presse qui ont bien voulu s'occuper de nous.

Parmi ceux-ci, presque tous ont été bienveillants : nous leur marquons notre reconnaissance dans cette seconde édition, en suivant docilement la plupart de leurs conseils. Nous avons rempli quelques lacunes, rectifié plusieurs inexactitudes, corrigé certaines expressions, innocentes à nos yeux, mais qui avaient le tort ou le malheur d'alarmer des scrupules respectables. Un ou deux critiques, animés par des motifs étrangers aux lettres, se sont constitués à notre égard, nous a-t-on dit, dans un état de franche hostilité. Nous avons prié l'un de nos amis les plus chers de se donner la peine de lire leurs articles, et d'en faire deux parts de mettre d'un côté les observations motivées, dont nous avons tâché de profiter; de laisser de l'autre les attaques malveillantes et les inconvenances de langage, dont nous n'avons pas même pris connaissance. Nous espérons que grâce à nos amis et à nos adversaires, si toutefois nous avons l'honneur d'avoir des adversaires, ce petit livre (comme disent certaines gens, qui en font de lourds, sinon de grands) deviendra de moins en moins indigne des lecteurs à qui nous l'offrons.

Paris, 27 mai 1854.

DE LA

LITTÉRATURE FRANÇAISE.

PREMIÈRE PÉRIODE.

LES ORIGINES.

CHAPITRE PREMIER.

LES CELTES ET LES IBÈRES.

PERSEVERANCE DU CARACTÈRE CELTIQUE. -INFLUENCE DES IDIOMES CELTIRESTES DE LA FOÉSIE GAULOISE.

QUES SUR LA LANGUE FRANÇAISE.

LES IBÈRES. -LEUR LANGUE ET LEUR POÉSIE.

Persévérance du caractère celtique.

Entre la société antique qui meurt avec l'empire romain et le monde moderne qui se constitue au moyen âge, il y a six siècles de laborieuse préparation, pendant lesquels toutes les forces vivantes qui doivent produire une civilisation nouvelle s'agitent en désordre et comme dans un vaste chaos. Cette époque, stérile en apparence, n'en renferme pas moins les germes féconds de l'avenir. Nous devons donc reconnaître et saisir dans leur manifestation littéraire ces influences diverses dont la combinaison nous a faits ce que nous sommes. Les principales sont les traditions de la Grèce et de Rome, les enseignements du christianisme et les mœurs apportées par l'invasion germanique. Mais sous ces courants étrangers, qui s'uniront bientôt en un grand fleuve, est le sol même qui se creuse pour les contenir, je veux dire la race primitive, antérieure à la double conquête romaine et

germanique, à la double civilisation hellénique et chrétienne, et dont le caractère persévérera sous tant de modifications diverses. C'est d'elle que nous allons d'abord parler.

« Pour bien comprendre l'histoire de la nation française, dit avec raison Heeren, il est essentiel de la considérer comme issue de la race celtique. C'est ainsi seulement qu'on peut s'expliquer son caractère si différent de celui des Allemands, caractère qui, malgré les divers mélanges qu'eut à subir la population celtique, est demeuré tel encore chez les Français, que nous le trouvons dessiné dans César. »

Les Celtes apparaissent dans l'histoire comme un peuple hardi, entreprenant, dont le génie n'est que mouvement et conquête. On les retrouve partout dans le monde, à Rome, à Delphes, en Égypte, en Asie, toujours courant, toujours pillant, toujours avides de butin et de danger. Ce sont de grands corps blancs et blonds, qui se parent volontiers de grosses chaînes d'or, de tissus rayés et brillants, comme le tartan des Écossais, leurs descendants. Ils aiment en tout l'éclat et la bravade; ils lancent leurs traits contre le ciel quand il tonne, marchent l'épée à la main contre l'océan débordé, vendent leur vie pour un peu de vin, qu'ils distribuent à leurs amis, et tendent la gorge à l'acheteur, pourvu qu'un cercle nombreux les regarde mourir. Race sympathique et sociable, ils s'unissent en grandes hordes et campent dans de vastes plaines. Il est une chose qu'ils aiment presque autant que bien combattre, c'est finement parler. Ils ont un langage rapide, concis dans ses formes, prolixe dans son abondance, plein d'hyperboles et de témérités 1. Du reste, ils savent écouter dans l'occasion: avides de contes et de récits, quand ils ne peuvent aller les chercher eux-mêmes par le monde, ils arrêtent les voyageurs au passage, et les forcent à leur raconter des nouvelles. Courage, sympathie, jactance, esprit, curiosité, tels sont les traits principaux sous lesquels les auteurs anciens nous peignent les Gaulois nos

aïeux.

S'il s'agissait ici d'une étude d'ethnographie ou de lin

1. Diodore de Sicile, 1. IV.

guistique, il faudrait, pour être exact, subdiviser, avec M. Am. Thierry, la race gauloise en deux familles, parlant deux idiomes analogues, mais distincts, l'une, celle des Gaëls, fixée plus anciennement sur le sol de la Gaule, prédominante dans les provinces de l'est et du centre, et envahissant de là l'Irlande et la haute Écosse; l'autre, celle des Kymris, faisant partie d'une migration plus récente, et répandue surtout à l'ouest de la Gaule, ainsi qu'au sud de l'île de Bretagne. Nous devons négliger ici cette subdivision qui n'est point radicale. Les deux populations et les deux langues appartenaient à la même souche, à la souche celtique; et le peu de mots que nous en pouvons dire se rapportent indistinctement aux deux rameaux.

Influence des idiomes celtiques sur la langue française.

Les idiomes celtiques se rattachent, par leur origine, à la grande famille indo-européenne, qui comprend le sanscrit, le zend, le grec, le latin, les idiomes germaniques et les idiomes slaves. Ils s'y rapportent par leurs conditions essentielles, ils en sont parents à un degré éloigné, mais ils en sont encore parents1.

On croit généralement que l'invasion romaine transforma complétement la Gaule: il est sûr que les classes supérieures de la population adoptèrent avec empressement les mœurs et le langage des vainqueurs. Là, plus encore qu'en Bretagne, les lettres furent un instrument de conquête; toutefois, sous cette surface uniforme et brillante dormait l'antique génie de la Gaule. La vieille langue des aïeux, presque exilée des grandes villes, se conservait vivante et révérée dans les hameaux, dans les campagnes, au bord des forêts druidiques. L'érudition en a suivi pieusement les traces d'âge en âge à travers le texte des écrivains latins. Au VIe siècle le poëte Fortunat rend encore témoignage de son existence et de ses inspirations lyriques. A cette époque le

4. J. J. Ampère, Histoire de la littérature française, t. 1, p. 33.-Les savantes Recherches sur les langues celtiques, de M. F. Edwards, ont mis cette parenté dans tout son jour.

2. Larue, Essai historique sur les bardes, discours préliminaire. 3. Venantius Fortunatus, 1. VII, p. 270.

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