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Que les parents sont malheureux, qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille!
Qu'ils ont de maux! et que je plains leur sort!
Ayant tout dit 1, il mit l'enfant à bord.

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout babillard, tout censeur, tout pédant
Se peut connaître au discours que j'avance.
Chacun des trois fail un peuple fort grand:
Le Créateur en a béni l'engeance.
En toute affaire ils ne font que songer
Au moyen d'exercer leur langue.
Eh! mon ami, tire-moi du danger,
Tu feras après ta harangue.

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Un jour un coq détourna 2
Une perle, qu'il donna

1 Ayant tout dit. « Heureusement il ne lui restait plus rien à dire, sans quoi l'enfant était perdu. » (Guillon.) 2 Détourna, c'est-à-dire trouva en grattant la terre.

Au beau premier lapidaire 1.
Je la crois fine, dit-il;

Mais le moindre grain de mil 2
Serait bien mieux mon affaire.
Un ignorant hérita

D'un manuscrit qu'il porta
Chez son voisin le libraire.

Je crois, dit-il, qu'il est bon;
Mais le moindre ducaton 3

Serait bien mieux mon affaire.

XX

Les Frelons et les Mouches à miel.

A l'œuvre on connaît l'artisan.

Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent: Des frelons les réclamèrent.

Des abeilles s'opposant,

Devant certaine guêpe on traduisit la cause.
Il était malaisé de décider la chose :

Les témoins déposaient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,
Avaient longtemps paru. Mais quoi! dans les frelons
Ces enseignes étaient pareilles.

La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et, pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière 4.

Le point n'en put être éclairci.

De grâce, à quoi bon tout ceci?

1 Lapidaire, ouvrier qui taille les pierres fines. 2 Mil, petite graine d'une piante du même nom.

3 Ducaton, monnaie de Hollande et de Venise, valant cinq à six francs.

4 Entendit une fourmilière. Satire indirecte des enquêtes sans fin et sans résultat.

Dit une abeille fort prudente.

Depuis tantôt six mois que l'affaire est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.

Il est temps désormais que le juge se hâte :
N'a-t-il point assez léché l'ours?

Sans tant de contredits 2 et d'interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les frelons et nous:

On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties.

Le refus des frelons fit voir

Que cet art passait leur savoir.

Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties.

Plût à Dieu qu'on réglát ainsi tous les procès :
Que des Turcs en cela l'on suivit la méthode!
Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code.
Il ne faudrait point tant de frais;

Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge,
On nous mine par des longueurs;

On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs 3.

1 N'a-t-il pas assez léché l'ours, c'est-à-dire fait durer le procès. Allusion à ce passage de Rabelais : Un procès à sa naissance première me semble informe et imparfait comme un ours naissant, etc.

2 Sans tant de contredits, etc., termes de procédure. 3 V. ci-après, liv. IX, fable 6.

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:

Le chêne un jour dit au roseau 1
Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau :
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baisser la tête 2;

Cependant que 3 mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrais de l'orage!

1 Exposition nette et vive.

2 Chaque mot du chêne fait sentir au roseau sa faiblesse. 3 Cependant que pour tandis que est du style de la poésie élevée.

Haute montagne d'Asie.

Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des royaumes du vent. La nature envers vous me semble bien injuste 1. Votre compassion, lui répondit l'arbuste, Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci :

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables; Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici Contre leurs coups épouvantables Résisté 2 sans courber le dos;

Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots, Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs 3. L'arbre lient bon, le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine",
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts 5.

1 Tout ce petit discours est plein d'une pitié insultante pour le fond, et de la plus riche poésie pour la forme.

2 Résister contre leurs coups est peut-être peu conforme à la grammaire; mais cela est plus énergique que ré

sister à...

3 « La Fontaine décrit l'orage avec la pompe de style que le chêne a employée en parlant de lui-même. » (Champfort.) 4 Voisine au ciel, latinisme, pour : voisine du ciel. 5 Image grandiose imitée de Virgile. (Georg. 11, 292.)

FIN DU LIVRE PREMIER

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