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Donner cet animal au seigneur du village.
Lui, berger, pour plus de ménage1
Aurait deux ou trois mâtineaux,

Qui, lui dépensant moins, veilleraient aux troupeaux Bien mieux que cette bête seule.

11 mangeait plus que trois; mais on ne disait pas Qu'il avait aussi triple gueule

Quand les loups livraient des combats.

Le berger s'en défait; il prend trois chiens de taille
A lui dépenser moins, mais à fuir la bataille.
Le troupeau s'en sentit; et tu te sentiras
Du choix de semblable canaille.

Si tu fais bien, tu reviendras à moi.
Le Grec le crut. Ceci montre aux provinces
Que, tout complé, mieux vaut en bonne foi
S'abandonner à quelque puissant roi
Que s'appuyer de plusieurs petits princes.

XVIII

L'Avantage de la Science.

Entre deux bourgeois d'une ville
S'émut2 jadis un différend:
L'un était pauvre, mais habile;
L'autre riche, mais ignorant.
Celui-ci sur son concurrent
Voulait emporter l'avantage;
Prétendait que tout homme sage
Etait tenu de l'honorer.

C'était tout homme sot car pourquoi révérer
Des biens dépourvus de mérite?

La raison m'en semble petite.
Mon ami, disait-i souvent

Au savant,

1 Economie.

2 Survint.

Vous vous croyez considérable;

Mais, dites-moi, tenez-vous table?

Que sert à vos pareils de lire incessamment1?
Ils sont toujours logés à la troisième chambre 2,
Vêtus au mois de juin comme au mois de décembre,
Ayant pour tout laquais leur ombre seulement.
La république a bien assaire

De gens qui ne dépensent rien.

Je ne sais d'homme nécessaire

Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien.
Nous en usons, Dieu sait! Notre plaisir occupe
L'artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe,
Et celle qui la porte, et vous, qui dédiez
A messieurs les gens de finance

De méchants livres bien payés.
Ces mots remplis d'impertinence
Eurent le sort qu'ils méritaient.
L'homme lettré se tut; il avait trop à dire.
La guerre le vengea bien mieux qu'une satire.
Mars détruisit le lieu que nos gens habitaient;
L'un et l'autre quitta sa ville.
L'ignorant resta sans asile;

Il reçut partout des mépris:

L'autre recut partout quelque faveur nouvelle.
Ceci décida leur querelle.

Laissez dire les sots: le savoir a son prix.

XIX.

Jupiter et les Tonnerres.

Jupiter, voyant nos fautes,
Dit un jour du haut des airs:
Remplissons de nouveaux hôtes
Les cantons de l'univers

1 Sans cesse.

2 Au troisième étage.

Habités par cette race

Qui m'importune et me lasse.
Va-t'en, Mercure1, aux enfers,
Amène-moi la Furie

La plus cruelle des trois.
Race que j'ai trop chérie,
Tu périras cette fois!
Jupiter ne tarda guère
A modérer son transport.

O vous, rois qu'il voulut faire
Arbitres de notre sort,
Laissez, entre la colère
Et l'orage qui le suit,
L'intervalle d'une nuit.

Le dieu dont l'aile est légère,
Et la langue a des douceurs,
Alla voir les noires sœurs 2.
A Tisiphone et Mégère
Il préféra, ce dit-on,
L'impitoyable Alecton.
Ce choix la rendit si fière,
Qu'elle jura par Pluton
Que toute l'engeance humaine
Serait bientôt du domaine
Des déités de là-bas.
Jupiter n'approuva pas
Le serment de l'Euménide3.
Il la renvoie; et pourtant
Il lance un foudre à l'instant
Sur certain peuple perfide.
Le tonnerre, ayant pour guide
Le père même de ceux
Qu'il menaçait de ses feux,
Se contenta de leur crainte;
Il n'embrasa que l'enceinte

1 Mercure est 1 messager du ciel et le dieu de l'éloquence.

2 Les trois Furies.

3 Surnom des Furies.

2

D'un désert inhabité ;
Tout père frappe à côté 1.
Qu'arriva-t-il? Notre engeance
Prit pied sur cette indulgence.
Tout l'Olympe s'en plaignit.
Et l'assembleur de nuages
Jura le Styx 3 et promit
De former d'autres orages:
Ils seraient sûrs. On sourit.
On lui dit qu'il était père,
Et qu'il laissât, pour le mieux,
A quelqu'un des autres dieux
D'autres tonnerres à faire.
Vulcain entreprit l'affaire.
Ce dieu remplit ses fourneaux
De deux sortes de carreaux 4 :
L'un jamais ne se fourvoie;
Et c'est celui que toujours
L'Olympe en corps nous envoie.
L'autre s'écarte en son cours;

Ce n'est qu'aux monts qu'il en coûte;
Bien souvent même il se perd;

Et ce dernier en sa route

Nous vient du seul Jupiter.

1 Vers ingénieux qui exprime bien l'indulgence paternelle.

2 Epithète de Jupiter dans Homère.

3 C'était un serment terrible parmi les dieux.

4 Grosse flèche à pointe triangulaire; les poètes ont fait ce mot synonyme de foudre.

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Une traîtresse voix bien souvent vous appelle:
Ne vous pressez donc nullement :

Ce n'était pas un sot, non, non, et croyez-m'en,
Que le chien de Jean de Nivelle1.

Un citoyen du Mans 2, chapon de son métier,
Etait sommé de comparaître
Par-devant les lares du maître,

Au pied d'un tribunal que nous nommons foyer.

1 Qui s'enfuit quand on l'appelle, dit le proverbe. Voici l'origine de ce mot, selon un commentateur: «< Jean II, duc de Montmorency, voyant que la guerre allait se rallumer entre Louis IX et le duc de Bourgogne, fit sommer à son de trompe ses deux fils, Jean de Nivelle et Louis de Foss use, de quitter la Flandre, où ils avaient des biens considérables, et de venir servir leur roi aucun des deux ne voulut se rendre à cette sommation. Leur père, irrité, les traita de chiens, et les déshérita. » (Walckenaer.)

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2 Le Mans est renommé pour ses excellents chapons.

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