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C'était chez les Grecs un usage
Que sur la mer tous voyageurs
Menaient avec eux en voyage 3
Singes et chiens de bateleurs.

1 Vieux mot qui signifie carnage.
2 Ce verbe exige un complément.
3 Voyageurs, en voyage: négligence.

Un navire en cet équipage
Non loin d'Athènes fit naufrage.
Sans les dauphins tout eût péri.
Cet animal est fort ami

De notre espèce en son histoire
Pline 1 le dit; il faut le croire.
Il sauva donc tout ce qu'il put.
Même un singe en cette occurrence,
Profitant de la ressemblance,
Lui pensa devoir son salut :

Un dauphin le prit pour un homme,
Et sur son dos le fit asseoir

Si gravement, qu'on eût cru voir
Ce chanteur 2 que tant on renomme.
Le dauphin l'allait mettre à bord,
Quand, par hasard, il lui demande :
Etes-vous d'Athènes la grande?
Oui, dit l'autre, on m'y connaît fort:
S'il vous y survient quelque affaire,
Employez-moi; car mes parents
Y tiennent tous les premiers rangs :
Un mien cousin est juge-maire.
Le dauphin dit : Bien grand merci ;
Et le Pirée 3 a part aussi

A l'honneur de votre présence?
Vous le voyez souvent, je pense?-
Tous les jours il est mon ami;
C'est une vieille connaissance.
Notre magot prit, pour ce coup,
Le nom d'un port pour un nom d'homme.

De telles gens il est beaucoup

Qui prendraient Vaugirard 4 pour Rome,

1 Pline, surnommé l'Ancien, écrivain latin, auteur d'une histoire naturelle. Le passage auquel la Fontaine fait allusion se trouve livre IX, ch. VIII.

2 Arion. Dans une traversée, les matelots voulant le tuer, il se jeta à la mer pour échapper à leur fureur; un dauphin que ses chants avaient attiré le reçut sur son dos et le porta jusqu'an rivage.

3 Port d'Athènes.

4 Village voisin de Paris.

Et qui, caquetant au plus dru,
Parlent de tout, et n'ont rien vu.

Le dauphin rit, tourne la tête,
Et, le magot considéré,
Il s'aperçoit qu'il n'a tiré

Du fond des eaux rien qu'une bête.
Il l'y replonge, et va trouver
Quelque homme, afin de le sauver.

V

L'Homme et l'Idole des bois.

Certain païen chez lui gardait un dieu de bois,
De ces dieux qui sont sourds, bien qu'ayant des oreilles1
Le païen cependant s'en promettait merveilles.
Il lui coûtait autant que trois.

Ce n'était que voeux et qu'offrandes,
Sacrifices de bœufs couronnés de guirlandes.
Jamais idole, quel qu'il fût 3,
N'avait eu cuisine si grasse:

Sans que, pour tout ce culte, à son hôte il échût
Succession, trésor, gain au jeu, nulle grâce.
Bien plus,si pour un sou d'orage en quelque endroit
S'amassait d'une ou d'autre sorte,

L'homme en avait sa part, et sa bourse en souffrait :
La pitance du dieu n'en était pas moins forte.
A la fin, se fâchant de n'en obtenir rien,
Il vous prend un levier, met en pièces l'idole,

1 Souvenir du psaume cxIII: Aures habent, et non audient. «Ils ont des oreilles, et n'entendent pas. >>

2 Pour: Ce n'étaient. Boileau a dit :

Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales.

8 Idole est maintenant du féminin.

↳ C'est-à-dire le moindre orage. Cette expression est familière et presque triviale.

Le trouve rempli d'or. Quand je t'ai fait du bien,
M'as-tu valu, dit-il, seulement une obole?
Va, sors de mon logis, cherche d'autres autels.
Tu ressembles aux naturels

Malheureux, grossiers et stupides.

On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton.
Plus je te remplissais, plus mes mains étaient vides.
J'ai bien fait de changer de ton 1.

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Un paon muait un geai prit son plumage,
Puis après se l'accommoda;

Puis parmi d'autres paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.
Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoué,
Berné, sifflé, moqué, joué,

1 « Que conclure de cela ? qu'il faut battre ceux qui sont d'un naturel stupide? Cela n'est pas vrai, et cette méthode ne produit rien de bon. » (Chamfort.) - Du reste cette fable est plus que médiocre.

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Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte; Même vers ses pareils s'étant réfugié,

11 fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.

Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui1:
Ce ne sont pas là mes affaires.

VII

Le Chameau et les Bâtons flottants,

Le premier qui vit un chameau
S'enfuit à cet objet nouveau;

Le second s'approcha; le troisième osa faire
Un licou pour le dromadaire 2.

L'accoutumance ainsi nous rend tout familier.
Ce qui nous paraissait terrible et singulier
S'apprivoise avec notre vue 3

Quand ce vient à la continue 4,

Et puisque nous voici tombés sur ce sujet :
On avait mis des gens au guet,
Qui, voyant sur les eaux de loin certain objet,

1 Le mot ennui avait au XVIIe siècle une force qu'il n'a plus aujourd'hui; il exprimait l'idée de chagrin, de peine. 2 Gradation naturelle dans les sentiments et dans l'expression.

3 C'est la vue qui s'apprivoise avec les objets; mais la poésie se permet sans scrupule ces transpositions qui laissent au sens toute sa clarté. André Chénier a dit de même: Accoutumer la lyre aux doigts; en cela la Fontaine et lui ne font qu'imiter les anciens.

4 Quand cela se renouvelle sans interruption.

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