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où avait passé votre auguste père vous fûtes parvenu jusqu'à l'endroit où il s'était placé pour révéler le secret des dieux (1) qui vous destinaient à l'empire, quels ravissements de toute l'assemblée ! Les acclamations recommencèrent; on eût dit que ce jour était celui où l'on vous adoptait. Que d'autels fumants par toute la ville! que de victimes offertes ! Vit-on jamais tous les vœux réunis par un seul homme (2) et ne paraissait-il pas bien que chacun, en demandant votre conservation aux dieux, croyait leur demander la sienne et celle de ses enfants? De là, vous prites le chemin du palais impérial; mais avec la même convenance, avec aussi peu de faste, que si vous fussiez retourné dans votre maison particulière. Enfin, chacun se retira bien résolu de se livrer à de nouveaux transports dans le sein de sa famille (3) où rien n'oblige à feindre de la joie que l'on ne ressent pas.

L'Abondance.

Nos alliés s'empressent à nous apporter tout ce que leur climat a de plus excellent et on ne voit plus que les subsides extraordinaires les empêchent d'acquitter les anciens. Le fisc achète tout ce qu'il paraît acheter. De là cette abondance de grains, au prix convenu avec les vendeurs, dans les enchères publiques; de là, nos marchés regorgent et ceux des provinces ne sont point affamés.

La fertile Egypte qui se vantait de ne devoir sa fécondité ni au ciel, ni aux pluies, de trouver dans son fleuve des eaux suffisantes pour l'engraisser, était ordinairement si couverte de moissons, qu'elle pouvait, sans crainte d'être vaincue, le disputer aux meilleures terres du monde. Une sécheresse inopinée la réduisit jusqu'à une stérilité totale. Le Nil s'était débordé d'une manière lente et faible; il ressemblait encore aux plus grands fleuves; mais ce n'était plus une mer comme dans les autres années. Il arriva de là qu'une partie des contrées qu'il avait coutume d'inonder, furent couvertes d'une épaisse poussière. En vain alors l'Egypte, voyant que ce père de la fécondité avait

(1) C'est-à-dire pour déclarer au peuple que l'adoption de Trajan lui était inspirée par les dieux.

(2) << Tous les citoyens ne demandèrent aux dieux que la seule conser>>vation de votre personne, sachant bien que c'était faire pour eux-mêmes » et pour leurs enfants, les vœux qu'ils faisaient en votre faveur.» (L'abbé Esprit,.

(3) Les graves pénates romains (coeteri ad penates suos) deviennent, bourgeoisement et françaisement, sous la plume de Sacy, « le sein de la famille. »

mis à l'abondance des bornes aussi étroites qu'à son débordement, implora le ciel et invoqua les nues; car, non seulement ce fleuve, qui aime tant à se répandre, ne s'était point élevé jusque sur les collines qu'il avait coutume d'abreuver, mais il ne s'était même pas arrêté dans les endroits les plus bas, d'où il s'était presque aussitôt retiré; ainsi ces terres, qui n'avaient point été assez trempées, ne réussirent pas mieux que les plus sèches. Cette malheureuse province, privée de son inondation, c'est-à-dire de sa fécondité, vous adressa donc, César, les vœux qu'elle avait coutume d'adresser à son fleuve et elle ne ressentit cette calamité que le temps qu'il fallait pour vous en instruire. On avait cru, autrefois, que Rome ne pouvait subsister et qu'on ne pouvait y vivre sans le secours de l'Egypte; cette nation vaine et légère se vantait de nourrir ses vainqueurs et de tenir dans ses mains et dans le sein de son fleuve notre sort, l'abondance ou la famine. Nous avons rendu à l'Egypte ses richesses, elle a repris ses blés, elle a remporté les moissons que nous en avions tirées. Qu'elle apprenne donc, et qu'elle reconnaisse sur la foi de son expérience, que ce sont des tributs qu'elle nous paie et non des aliments qu'elle nous donne; qu'elle sache qu'elle n'est point nécessaire au peuple romain et qu'elle sente le besoin de lui être soumise.....

On devait regarder comme un prodige, César, que la paresse du Nil, que la stérilité de l'Egypte n'eût causé aucune cherté dans Rome. Vous avez porté votre prévoyance et vos soins bien plus loin; on ne s'en est pas ressenti en Egypte, et vous avez ainsi fait voir que nous pouvions bien nous passer d'elle, mais qu'elle ne pouvait se passer de nous (1).

Les Jeux.

Vous n'avez pas négligé nos plaisirs; vous avez donné un spectacle non pas de ceux qui peuvent nous amollir et nous efféminer, mais de ceux qui sont propres à nous enflammer le courage, à nous familiariser avec de nobles blessures et à nous inspirer le mépris de la mort même. Vous nous avez fait voir

(1) Pline oublie (ici) que la subvention en blé accordée par Rome à l'Egypte provenait de cette dernière. L'Italie, convertie en propriétés de plaisance, ne produisait même pas le blé suffisant pour sa consommation (Lettre de Tibère au Sénat Italia externæ opis indiget Tacite, Annales, 1. III, 54); et, pour prévenir toute éventualité de disette, on emmagasinait, dans les greniers romains, des quantités considérables de blé égyptien.

l'amour de la gloire et l'ardeur de vaincre jusque dans l'âme des scélérats et des esclaves.....

Nous avons vu la troupe des délateurs exposés à nos yeux comme une troupe de voleurs et d'assassins.....

Vous ne nous avez offert rien de plus agréable, rien de plus digne de votre siècle que lorsque vous nous avez donné à voir, du haut de l'Amphithéâtre, les délateurs forcés de se montrer à découvert et de renverser la tète en arrière (1). Nous prenions plaisir à les reconnaître et à jouir de leur douleur lorsqu'en les faisant marcher sur le sang des criminels (2), comme des victimes destinées à expier les alarmes et les calamités publiques, on les traînait à des supplices plus lents et plus cruels que la mort. On les a jetés sur les premiers vaisseaux que le hasard a fait trouver et on les a livrés à la merci des tempêtes.....

Spectacle mémorable! Une flotte chargée de délateurs devient le jouet des vents! Elle est forcée d'exposer ses voiles à toute leur fureur, et de suivre les flots irrités sur tous les rochers où ils les jetteront! Quel plaisir de regarder du port ces infâmes vaisseaux dispersés d'abord en le quittant! et à la vue de la mer même de rendre gràce au prince qui, sans intéresser sa clémence, avait confié la vengeance des hommes aux dieux de la mer! C'est alors que l'on connut parfaitement ce que peut la différence des temps. Les scélérats languissent sur ces mêmes rochers où tant de gens de bien avaient langui autrefois, et ces funestes iles qui n'avaient jamais été peuplées que de sénateurs injustement bannis, ne sont plus remplies que de délateurs (3).

(1) « Vous ne nous avez offert rien de plus agréable, rien de plus digne » de votre siècle que le spectacle de ces délateurs forcés de se montrer à » découvert et la tête renversée. » (Revision de J. Pierrot).

(2) Fruebamur quum.... supra sanguinem noxiorum, ad lenta supplicia gravioresque poenas ducerentur..... I. Lipse: noxiorum super cadavera aut vestigia gladiatorum. Gravioresque poenas. Nam gladiatores brevi morte defuncti: ipsi intabescere poenis suis destinati. II. Noxiorum -« C'est-à-dire » ceux qui, à titre pénal, avaient été contraints de combattre dans le cirque, >> soit entre eux, soit avec des bêtes féroces. Les délateurs furent conduits » dans le cirque avec eux pour voir ce qu'ils auraient mérité. » (Gesner). III. Au lieu de noxiorum, Hearne indique une autre version gladiatorum qui se lirait en marge de l'édition aldine de la bibliothèque bodléienne. (3) I. J. Pierrot rappelle, ici, l'imitation de Racine, dans Britannicus: Les déserts autrefois peuplés de Sénateurs,

Ne sont plus habités que par leurs délateurs.

II. On pourra rapprocher de la traduction de Sacy, celle de M. Burnouf à laquelle nous avons emprunté précédemment notre citation de ce même passage du Panégyrique.

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