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Pline, tout récemment décédée (1), Domitius Apollinaire, le plus attentionné des amis (2), Ammius Flaccus, l'expéditeur des grives, Satrius Rufus, le confrère, l'émule, l'associé de la Basilique (3), Avidius Quiétus, le confident de Thraséas, Cornutus Tertullus, le plus cher des collègues (4). Sur ces six voix qu'on aurait pu croire assurées, notre auteur n'en recueillit que deux, et encore ne faut-il pas attribuer à son éloquence le concours de Quiétus et de Tertullus acquis d'avance aux Helvidius.

Proculus, Apollinaire, Flaccus firent, avec Fabricius Véiento que nous retrouverons dans les Délateurs, et le prétorien Fabius Postumius (5), l'apologie très nette de Certus, nondum nominatus, ut nominatus. Par courtoisie peut-être, Rufus s'enchevêtra dans des phrases souvent inintelligibles. Si la forme était obscure, le fond du moins était fort clair: « Sénateurs, je pense que ce serait une injustice que de ne pas absoudre Publicius Certus. Il » n'a encore été nommé que par les amis d'Arria et de » Fannia et par ses propres amis. D'ailleurs, nous n'avons » pas lieu d'être inquiets, car c'est nous, nous qui l'esti» mons, qui aurons à le juger. S'il est innocent, comme je l'espère et le veux croire, vous pouvez, me semble-t-il, » l'absoudre, jusqu'à ce qu'il soit prouvé quelque chose » contre lui. »

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Quiétus, avec la prudence d'un vieillard, refusa d'apprécier le mérite de la dénonciation avant que l'affaire fût plaidée contradictoirement, mais conclut à la nécessité d'une information: «Rien n'est plus injuste que de ne

(1) Consul en décembre 98, Vectius Proculus fut proconsul d'Asie entre 103 et 117 (Index Keil). Pline (ce qui soulève plus d'une réflexion) ne lui a dédié aucune de ses lettres.

(2) Amavi curam et sollitudinem tuam quum quod audisses me æstate Tuscos meos petiturum..... (L. V, 6).

(3) L. I, 5.

(4) Pareo, collega carissime..... (L. VII, 21).

(5) Sic Gruter, Cortius et Longolius, Gesner, Giérig, Schaeffer G.-H., Schaeffer M.-J.-A., Weise, Döring. Catanæus, Henri Estienne, Boxhorn, Lallemand lisent Fabius Posthumius, MM. Titze et Keil, Fabius Maximinus, Alde Fabius Posthuminus.

>> pas vouloir écouter les plaintes de ceux qui se prétendent » lésés. Aussi ne doit-on pas priver Arria et Fannia du › droit d'exposer leurs griefs. Ce qu'il importe d'envisager, ce n'est pas le rang social de l'inculpé, mais le délit dont Don l'accuse. »>

Cornutus Tertullus proposa un verdict mitigé : « Les >> consuls m'ont nommé tuteur de la fille d'Helvidius, sur › la demande de la mère et du beau-père de celle-ci. Je ne >> saurais, même en cette occasion, manquer aux devoirs » de ma charge. Toutefois, en les remplissant, je contien» drai ma douleur et ne me départirai pas de la modéra>>tion dont ces nobles femmes me donnent l'exemple. Les » plaignantes se bornent à rappeler au Sénat la flatterie sanguinaire (1) de Certus et à solliciter qu'au cas où on >> lui ferait grâce d'un crime si manifeste, on lui infligeât » une flétrissure égale à la note des censeurs (2). »

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Pline vota ensuite (3), en développant son réquisitoire. Vainement Véiento tenta une réplique. La majorité s'était prononcée en faveur de l'inculpation. Sa voix se perdit dans des hurlements et on leva la séance sans attendre le dernier coup de boutoir du porco ferito.

(1) C'était une façon habile de laisser à Domitien la véritable responsabilité du meurtre d'Helvidius.

(2) Les censeurs pouvaient infliger des notes de flétrissure (subscriptio censoria). Depuis Auguste jusqu'à Domitien, le pouvoir censorien fut partagé entre l'Empereur et des censeurs élus ; partage, il est vrai, fort inégal, puisque le prince se réservait la lectio senatus - la recognitio equitum, la direction générale de tous les travaux publics. Domitien se proclama censor perpetuus, et la censure élue disparut à tout jamais. Voir Willems, p. 456, et Mispoulet, Les Institutions politiques des Romains (Pedone Lauriel, t. II). (3) Pour recueillir les voix, on suivait ordinairement les préséances : consuls en charge, consuls désignés, consulaires, au titre de consul réitéré, consulaires, au titre de consul ordinaire, consulaires, au titre de consul suffectus, préteurs, prétoriens, tribuns, ou édiles, tribunitiens, ou édilitiens, questoriens; et dans chaque grade l'ancienneté. Les orateurs du débat Certus parlèrent dans l'ordre suivant : 1o Apollinaire, consul désigné ; 2o Véiento, consulaire, au titre de consul suffectus; 3° Fabius Postumius, prétorien ; 4 Vectius Proculus, prétorien; 50 Ammius Flaccus, prétorien; 6o Avidius Quiétus, prétorien; 7o Cornutus Tertullus, prétorien ; 8o Satrius Rufus, prétorien; 9 Pline, prétorien. Nous ignorons le motif pour lequel M. Adam tire précisément de cette lettre, 1. IX, 13, la preuve que « sous les Empereurs, on interrogeait les sénateurs dans l'ordre qu'il plaisait au président » du Sénat d'adopter. »>

Là, ou peu s'en faut, se borne ce que nous savons de cette joûte oratoire, car nous avons perdu le volume de Pline qui insérait tous les discours in extenso.

Ajoutons seulement un commentaire sur la marche très bizarre du débat. On ne pouvait modifier l'ordre du jour (extra ordinem referre) sans que le consul, ayant toute faculté à cet égard, saisît l'Assemblée et que cette dernière donnât son consentement. Il était interdit à l'auteur de la motion d'entrer dans la discussion, règlement que nos Chambres suivent encore aujourd'hui. On ne pouvait, d'autre part, ouvrir une information sans l'autorisation de l'empereur. Les étapes régulières sont donc les sui

vantes :

1o Pline expose sommairement sa proposition;

2o Le consul saisit ou non le Sénat;

3o Le Sénat saisi, vote ou non la modification;

4° Après adhésion au projet, le Sénat discute s'il y a lieu ou non d'informer;

5o Le décret d'information, s'il intervient, est soumis à la ratification impériale.

Malgré l'interpellation, Scimus qui sit de quo extra ordinem referas! Pline observa le règlement en conservant une telle concision qu'il ne nommait pas « le cou

pable. Toutefois ses allusions furent si transparentes qu'un sénateur s'écria: «Qui donc accuse-t-on avant que >> la question soit mise à l'ordre du jour (relatio)? » et que le consul lui retira la parole: « Pline, vous direz ce qu'il >> vous plaira quand votre tour d'opiner sera venu. »

Le consul, peu favorable à Certus (1), saisit l'Assemblée. Si Pline eût parlé le premier ou si les votants eussent

(1) Favorable à Certus, il maintenait l'ordre du jour et ne mettait point en délibéré la proposition; d'autre part, il leva la séance dans des conditions inconvenantes pour Véiento: «.... Il congédia le Sénat, laissant de» bout Véiento qui s'efforçait toujours de parler. Véiento se plaignit avec > amertume de ce traitement qu'il appelait une injure.... » Mais au début, il conserva les apparences de l'impartialité en imposant silence à Pline qui eut le tort de se froisser,

exprimé leur avis par simple oui, par simple non, la troisième étape eût été franchie sans cahots. Mais son titre de prétorien reculait le justicier à un rang assez lointain et les préopinants tinrent à faire des discours; or, les consuls n'avaient pas le droit d'interrompre, en cours de votes, un orateur, lors même qu'il sortait de la question (1). Conséquence la charrue se trouva mise avant les bœufs par les votants originaires et Pline se lança tête baissée au fond du dossier criminel. Proculus, Apollinaire, Flaccus, Véiento, Postumius, réfutèrent des arguments qu'ils ne connaissaient pas; Cornutus Tertullus considéra, comme documents officiels, les confidences de deux femmes qui n'avaient pas encore ouvert la bouche dans le Sénat, et Rufus dit, ou plutôt laissa entendre qu'en l'absence de délation régulière, on ne rencontrait devant soi que des racontars. Seul, Quiétus sentit l'incohérence d'un pareil délibéré qu'il essaya de ramener au point de départ, logique sinon légal : « L'exposé des griefs par les parties » lésées. >>

En définitive, tous ces flots d'éloquence, et la majorité de « jeunes gens (2) », qui confondirent la quatrième étape dans la troisième, aboutirent au refus de l'Empereur de laisser informer.

En dehors de l'affaire Certus, Pline ne nous signale. aucun débat purement politique du Sénat de Nerva ou de Trajan; il n'y avait jamais, d'ailleurs, de débat politique qu'à l'avènement d'un nouveau régime. D'autre part, si nous

(1) Aussi les minorités employaient-elles souvent le système irlandais de l'obstruction.

(2) Nous avons constaté que sur neuf orateurs, sept n'appartenaient qu'au rang prétorien. situation exceptionnelle, car en général les interventions oratoires ne sortaient pas des plus haut grades. Certus, alors préfet du Trésor, était, en effet, un prétorien. Si les « gros bonnets », très compromis par les faveurs de Domitien, hésitèrent à suivre le vengeur d'Helvidius, les petits jeunes gens », moins liés au régime déchu et plus fougueux, acclamèrent la proposition; ce qui appert de la qualification (véo:) que Véiento donna à la majorité.

suivons les travaux ordinaires du Parlement romain, nous n'entendons que la voix d'Homullus (1). La liste des orateurs semblerait close. Cependant lorsque la Curie se constituait en tribunal de répression (et ce sont ses seules séances intéressantes), l'éloquence du juge dut, en raison du cadre, revêtir une ampleur parlementaire. D'où la faculté de comprendre parmi les orateurs les membres du Sénat (autres que les avocats) qui prirent la parole en 99, 100, 104, 105, 106, 107.

Dans l'affaire Priscus qui occupa le Sénat depuis la fin de 99, jusques et y compris les premiers mois de l'année 100, Pline fait défiler nommément devant nos yeux six orateurs Julius Férox, le consulaire qui se piquait d'écrire des chefs-d'œuvre au pied levé, un autre consulaire Tutius Céréalis, Cornutus Tertullus, Pompéius Colléga, le consul ordinaire de 93, Régulus, le délateur, Acutius Nerva, consul désigné en l'an 100, qui fut plus tard légat propréteur de la Germanie inférieure.

I. Escarmouche préliminaire. Le Sénat devait-il retenir la cause? « Grande contestation, grandes clameurs de » part et d'autre. Selon les uns, la loi assujettissait le » Sénat à juger lui-même; selon les autres, elle lui laissait » la liberté pleine et entière d'agir selon la grandeur des >> crimes. Enfin Julius Férox, consul désigné, homme >> droit et intègre, ouvrit un troisième avis. Il voulut que, » par provision, on donnât des juges à Priscus, mais qu'on » citât aussi ceux à qui Priscus était accusé d'avoir vendu >> le châtiment d'innocents. Cet avis non seulement préva>> lut, mais même après tant de disputes, il n'y en eut » presque plus d'autres, et l'on remarqua que si les pre

(1) Le Sénat avait précédemment émis ces vœux : « Que les candidats aux honneurs ne donnent pas de banquets, qu'ils n'envoient pas de présents, qu'ils ne déposent pas d'argent à l'avance. » Les deux premiers abus furent facilement atteints; le troisième était de répression plus difficile ; aussi, à une session ultérieure, Titius Homullus (nous le reverrons parmi les avocats) émit-il, dans un discours énergique, cette motion nouvelle qui fut adoptée à l'unanimité : Supplier l'Empereur de remédier au troisième chef de scandale par sa prévoyance.

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