Page images
PDF
EPUB

L'élite sociale observe la dernière réglementation; quelques bons bourgeois reviennent aux 1,750 francs de Claude, mais, par prudence, se font payer d'avance; la masse écorche le client. Au second siècle, le préteur Népos (1) adopte la concession de Claude, malgré les protestations d'une partie des avocats qui veulent la liberté du barreau; puis Trajan, sur la demande du Sénat, frappe de peines rigoureuses les perceptions d'honoraires supérieures à 1,750 francs.

L'avocat-consultant (le jurisperitus) qui donnait des consultations de droit devient magistrat, homme d'État, législateur, ou professeur rétribué soit par l'Etat, soit par ses élèves; celui qui donnait des consultations de procédure se cantonne dans le rôle plus modeste d'avoué (pragmaticus, leguleivs).

Quant aux avocats-professeurs (rhetores), les uns continuent par goût à déclamer toujours et partout; les autres ne font plus qu'apparaître au barreau; la plupart devenus

les maîtres à danser » de la jeunesse romaine (2), se renferment soit dans leurs écoles privées où ils sont payés par leurs élèves, soit dans leurs chaires officielles où ils reçoivent, de l'Etat ou des municipalités, un traitement dont le maximum connu est 20,000 francs (3).

Toujours prisonniers de ce sentiment que M. de Roberty nomme ancestrolâtrie, Quintilien et Pline posent en dogme la partie la plus séduisante (pour un avocat) du programme cicéronien (4): orateurs et avocats sont des

(1) « Les avocats ne tiennent plus aucun compte des lois qui leur défendent de se faire payer par le client; c'est ce qui oblige le préteur Népos à rendre son édit. » (Dr Kreuser, Programm).

(2) « .... L'éloquence était une déclamation, un sophisme, un jeu puéril; cendre éteinte d'un grand feu qui avait donné des clartés éternelles... Rien de vrai, rien de sacré n'était resté dans l'exercice de ce grand art; les jeunes Romains prenaient tout au plus un maître d'éloquence, comme ils prenaient un maître à danser. » (J. Janin).

(3) Voir Pétrone (les premiers chapitres); Sénèque, Suasoriæ et Controversiæ; Suétoné, Rhéteurs illustrés; Tacite, Dialogue des Orateurs, 35.

(4) Il est à noter que Cicéron, malgré ses efforts, ne parvint jamais à trouver une définition précise de son avocat-orateur.

frères siamois; puis tombent d'accord sur deux autres points: 1o le délateur est un orateur-avocat; 2o il serait désirable (le peut-on ?) que le jurisconsulte fût exclu du barreau (1). Alors qu'on se représente assez mal un de Sèze traitant de cher confrère, un Fouquier-Tinville, ils acceptent, sans hésiter, les malfaiteurs qui, durant un siècle, souillèrent la parole humaine (2). En revanche, ils songent à mettre dehors la plus haute gloire du nouveau collège (3).

Avec la définition : les bons penseurs, les bons parleurs, Quintilien (et pour cause) comprend encore dans le barreau, les rhéteurs quels qu'ils soient et quoi qu'ils fassent. A ses yeux, le rhéteur est la base de l'édifice oratoire dont l'homme d'Etat forme le couronnement. Ici le disciple se sépare du maître et adopte ce dictionnaire: le Rhéteur est un Professeur, c'est-à-dire un personnage, fort estimable

(1) Deux modernes confrères de Pline, Me Gaudry et Me Mollot, ne vont pas aussi loin que leur prédécesseur; mais l'auteur d l'Histoire du Barreau de Paris estime faire grand honneur aux jurisconsultes en disant : « Ils ne >> contribuaient pas moins que les avocats à la gloire du barreau romain »>, et le codificateur des Règles de la profession d'avocat, clot par ces lignes le récit des rivalités entre avocats et jurisconsultes « Les jurisconsultes » étaient une classe d'hommes versés dans les mêmes études que les avo>> cats, mais leur mission d'interprétation des lois était moins importante >> que la leur. » La contre-partie nous est fournie par M. Friedlænder : Si l'empereur Claude, qui aimait beaucoup rendre la justice, accordait >> aux avocats plus d'influence sur ses décisions qu'aux jurisconsultes, on » ne saurait trouver une meilleure preuve de son manque de jugement >> personnel. »

« ....

(2) Pour comprendre comment des hommes tels que Quintilien et Pline ont pu se dire les confrères des bandits avérés qui déshonorèrent le barreau du premier siècle, il faut lire ces lignes de M. Cucheval dans l'étude sur Domitius Afer: « Les anciens ont toujours soigneusement distingué l'orateur de l'homme public et privé. Ils ne portent pas sur un personnage un jugement d'ensemble comme font les modernes ils louent ici les dons heureux de la nature, se réservant de blâmer ailleurs l'abus qui en a été fait.... Tacite est sévère jusqu'à l'injustice pour la conduite de Domitius dans ses Annales, tandis que dans le Dialogue sur les Orateurs, il ne songe qu'à rendre hommage à son éloquence. Comme Quintilien, il le proclame un orateur de premier ordre et le compare à son tour aux anciens. >>

:

(3) Après avoir dit qu'au temps de Tacite, il n'y avait plus que des avocats, La Roche-Flavin ajoute impartialement (il était président à mortier au Parlement de Toulouse): « Toutefois les avocats étaient distingués des jurisconsultes; ceux-là plaidaient; ceux-ci consultaient. Sous la République, les avocats, dits orateurs, avaient joui d'une plus grande estime que les jurisconsultes, mais ils eurent sous l'Empire moins d'éclat et de crédit que ces derniers. »

intellectuellement, mais de rang social très inférieur. Professeur, quand il déclame, professeur quand il enseigne, il ne se transforme pas en avocat-orateur, lorsque par aventure il plaide à la basilique, la plaidoirie ne constituant pour lui qu'un intermède (1). L'épistolier n'insère parmi les avocats dont il cite les noms, aucun rhéteur, pas même Quintilien que Martial qualifiait pourtant de Gloria romanæ toga (2); il voit uniquement le collègue de Nicétès, vagæ moderator juventæ.

Indispensables pour éviter une confusion séculaire, ces explications préalables nous permettront de cataloguer, sous quatre numéros, les divers confrères dont Pline nous entretient: 1° les Orateurs (3); 2° les Délateurs; 3° les Avocats; 4o les Jurisconsultes. Nous les suivrons, en cas d'exode, d'un groupe à l'autre, et, après récapitulation, nous annexerons, pour donner satisfaction à Quintilien, un cinquième paragraphe concernant les rhéteurs.

En dépit du costume judiciaire dont Pline prétendit le revêtir, le débat sénatorial de janvier 97 (4) demeura exclusivement politique.

(1) Juvénal reconnait comme Pline (Sat., VII, v. 168 et suiv.) que professer et plaider sont des carrières toutes différentes.

(2) « D'une famille de rhéteurs, Quintilien suivit lui-même cette carrière en même temps que celle d'avocat, et dans l'une et l'autre il fut aussitôt distingué. Il n'avait pas trente ans que déjà l'on recueillait ses plaidoyers par la tachygraphie. Il excellait surtout, d'après son propre témoignage, dans les causes où, faute de preuves directes, tout repose sur l'art de présenter des conjectures, de faire naître des vraisemblances, de manier l'insinuation, le sous-entendu. Il rappelle avec complaisance un ou deux cas où il avait ainsi réussi contre toute attente; aussi quand il plaidait avec d'autres, lui réservait-on la narration. Malgré ses succès, il renonça au barreau de bonne heure, avant cinquante ans..... » (Nageotte).

(3) Nous supprimerions même ce paragraphe si nous allions aussi loin que M. Robert qui a écrit: « L'éloquence n'avait pas conservé la saine et forte couleur de l'époque républicaine, elle n'avait plus qu'un éclat factice, capable de tromper un instant les yeux. Les avocats s'étaient multipliés, il ne restait plus un seul orateur. »

(4) Dans cette affaire, comme dans les procès Priscus, Classicus, Bassus, Varénus, nous renvoyons le lecteur, pour ce qui touche plus spécialement Pline, au paragraphe, Les Plaidoyers.

Les Orateurs.

Tacite a dit (1):

Aussi longtemps que Tibère, Cali» gula, Claude, Néron, ont été puissants, la crainte altéra » les récits de leurs règnes; après leur mort, des haines » récentes dictèrent l'histoire. Ces haines récentes sont ce que nous nommons en langage courant, La Réaction (2), réaction d'autant plus violente qu'on s'était montré plus lâche et plus servile.

Après la chute ministérielle de Séjan, le Sénat frappa à tort et à travers, tous ceux qui avaient eu, avec le favori de Tibère, des rapports plus ou moins intimes sans discer» ner l'étranger du parent, l'ami de l'inconnu, le fait récent » de celui que le temps rendait obscur (3). »

D

Après Tibère, on se contenta de parler et d'écrire; on ne bougea pas, car la transmission du trône s'était effectuée tout naturellement au profit de Caligula. Après Caligula, la Curie accabla d'outrages le défunt, et de récompenses ses assassins. Un vote d'acclamation flétrit la mémoire du tyran et qualifia Chéréas de Restaurateur de la Liberté. Valérius Asiaticus, commissionné par ses collègues, criait sur les places publiques : « Plût aux dieux que je l'eusse » frappé moi-même ! »

Après Claude, le Sénat applaudit au meurtre de Narcisse qu'il venait de décorer des ornements questoriens pour sa fidélité envers le prince.

Après Néron, le Sénat ne rêve que massacres. Les délateurs sont décrétés en bloc d'accusation. Dès le signal de la vengeance (signo ultionis in accusatores dato), Mauricus réclame la communication des registres impériaux pour ne laisser échapper personne. Musonius Rufus s'attaque à

(4) Ann., 1. 1. 1.

(2) C'est ce que Tacite appelle, La Liberté (Hist., 1. IV, 44) lorsqu'il emploie cette phrase: Patres cœptatam libertatem, postquam obviam itum, omisere, pour dire que le Sénat céda aux conseils de Domitien qui, comme un véritable homme d'Etat, recommandait à l'Assemblée en ébullition après la mort de Vitellius : « l'oubli des douleurs, des colères, des fatalités du » passé. »

(3) Ann., 1. VI, 7.

Céler qu'il fait condamner, Curtius Montanus se jette sur Régulus qui échappe péniblement à ses coups.

Après Vitellius, un sénatus-consulte abroge les consulats que le de cujus a décernés; un autre accorde des funérailles censoriales à Fabius Sabinus dont le cadavre gît encore aux Gémonies. Et raillant, avant de le haïr, le prolixe Mucien parce qu'il conclut à l'amnistie, la majorité sénatoriale projette, contre tous les vaincus, des représailles qui comprendront quatre règnes.

La mort du dernier Flavien fut accueillie par le même concert de colères, de haines, d'imprécations, et Pline prit le bâton de chef d'orchestre.

Au temps de Domitien, le Sénat avait condamné Helvidius à la peine capitale. Certus ne s'était pas contenté de sa quote-part; s'abaissant au rôle d'agent de police, il avait, de sa propre main, commencé l'exécution du verdict.

A l'avènement de Nerva, Pline escorté d'Arria et de Fannia requit la mise en accusation du bourreau. La jurisprudence sénatoriale admettait, comme nous l'avons constaté, ces procédures stupéfiantes qui tendaient à obtenir des juges eux-mêmes la proclamation de leur iniquité, et au fond, quelle qu'eût été l'inconvenance de Certus, il ne pouvait s'agir que de cela. Néanmoins, le vengeur d'Helvidius rencontra une très vive résistance, parce que le dénoncé comptait de nombreux amis, parce que le nouvel Empereur se proposait de limiter les représailles au menu fretin de la délation, parce que soit la honte, soit le repentir, soit la sagesse, inclinait vers l'amnistie une partie de l'Assemblée, parce que les timorés apercevaient dans l'ombre l'épée du prétorien et redoutaient une saute de vent au décès prochain du très vieux Nerva.

Sans nommer Certus, Pline le désigna, dès le début de la séance, de la façon la plus manifeste. On passa immédiatement aux votes.

Huit sénateurs expliquèrent le leur. Parmi eux se trouvaient Vectius Proculus, le beau-père de la femme de

3

« PreviousContinue »