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très-active entre ses agens. Deux foyers principaux paroissent avoir existé alors : l'un à Turin, l'autre, plus redoutable, dans le sein de l'Assemblée nationale elle-même. Quelques désordres prirent aussi leur source dans l'excessive défiance que devoient nécessairement inspirer au peuple les tentatives sans cesse renaissantes de ses ennemis, et les fantômes dont ses faux amis ne cessoient de l'épouvanter.

Les réfugiés de Turin avoient de grands projets sur les provinces méridionales ; ils ne pouvoient renoncer à l'espérance d'entraîner dans la ligue anti-révolutionnaire le roi de Sardaigne, et de faire entrer les troupes pié montoises par Embrun dans le Dauphiné, par Nice dans la Provence, dans le Lyonnois par la Savoie. Ils mettoient tous leurs soins à entretenir par tout l'effervescence, dans l'espoir d'augmenter le nombre des mécontens, de les voir accourir sous leurs drapeaux, et de se ménager des intelligences dans des villes qui pussent leur servir de places d'armes.

On se rappelle les troubles de Marseille, et les vexations que l'on fit éprouver à cette

ville après y avoir fait entrer, sous un vain prétexte, trois régimens d'infanterie et deux cents dragons. La nouvelle municipalité ne fut pas plutôt formée, qu'elle demanda au roi l'éloignement de ces troupes qui lui faisoient ombrage. La scène extravagante que donna vers ce tems-là M. d'Ambers, colonel d'un de ces régimens, engagea les ministres à montrer quelque condescendance sur cet objet. Ce fougueux aristocrate, après avoir brutalement insulté la garde nationale, qui trop forte et trop généreuse pour se venger d'un frénétique, n'opposa à ses fureurs que le courage de la modération, osa saisir au collet le commandant du poste, le défier de le suivre à la plaine avec toute la garde nationale, se vantant de la mettre en pièces avec une seule compagnie de ses soldats. Mais bientôt effrayé lui-même de cet excès de démence, que sa troupe étoit bien loin de partager, il se rendit à la municipalité

pour y faire ses excuses, lui demander protection,et se mettre sous la sauve-garde de ces guerriers citoyens qu'il n'avoit pas eu honte d'injurier. Il ne voulut pas sortir de l'hôtel-de-ville, que l'Assemblée nationale

et le roi n'eussent prononcé sur son sort. Le prince indigné de ses transports de rage, ordonna de s'assurer de sa personne, et de l'enfermer dans une citadelle. Pour appaiser les Marseillois, on fit partir les dragons et Royal-Marine: on les déchargea de plus du logement des deux autres régimens, dont l'un fut caserné dans des couvens de religieux, et l'autre en entier dans les ferts.

Les commandans affectèrent de ne remplir cet ordre qu'un mois après l'avoir reçu. Cette lenteur déplacée fit naître des soup çons; la défiance augmenta lorsqu'on vit les préparatifs hostiles, les approvisionnemens qu'ils faisoient avec activité, les batteries. dirigées sur la ville, et plusieurs autres manœuvres également propres à donner de l'inquiétude. Trente - sept paquets venant de Nice, et adressés à tous les commandans du royaume, saisis dans le même tems, redou blèrent les alarmes, et firent sentir la nécessité de prévenir, par un coup de vigueur,, des complots évidens contre la liberté de Marseille.

M. Doinet, sergent de la garde nationale, conçut le dessein de délivrer sa patrie des

dangers dont la menaçoient les projets d'op pression et la perfidie des chefs militaires. Il associe à cette généreuse entreprise MM. Troubat, capitaine de la garde nationale, Garnier fils, lieutenant, la Forêt, ancien militaire, Brard, Chaix et Monbrillon l'aîné. Ceux-ci s'assurent d'un petit nombre de patriotes intrépides. Le jeudi 29 Avril, à onze heures du soir, on se rassemble chez M. Troubat. Le 30, à trois heures du matin, la petite troupe se met en marche ; elle étoit composée de cinquante - deux volontaires. M. Garnier fils les divise en plusieurs pelotons, place chacun à son poste, et lui indique la marche qu'il doit suivre. Le peloton commandé par M. Chaix, va se poster contre la redoute de la Croix ; celui du chef ; de bataillon se met près de la vieille tour isolée, et celui de M. la Forêt se glisse le long du mur du fort, au pied de la poudrière; mais comme de-là on ne pouvoit apercevoir le signal que devoit donner M. Garnier, il s'avance jusqu'au coin du bastion.

Une heure s'étoit à peine écoulée, que le jour commençant à poindre, on baisse le

lui

pont, et on y pose une sentinelle, Dans cet instant, MM. Renaud et Julien de Feissolle. feignant de venir entendre la messe, passent le pont, et sautant sur le factionnaire, appliquent un pistolet sur la poitrine, en lui disant « Si tu parles, je te tue, c'est la nation qui vient s'emparer du fort». M. Garnier qui étoit au pied de l'escalier, donne aussitôt aux volontaires le signal convenu. Tous les pelotons se précipitent. dans le fort, s'emparent des postes, lèvent le pont, et arborent sur la muraille la plus plus élevée le drapeau de leur district, qui portoit cette devise LA MORT OU LA LIBERTÉ. Après avoir désarmé la garnison, ils courent chez le commandant et les officiers qu'ils constituent prisonniers.

M. Doinet va sur-le-champ annoncer au maire la prise du fort. Des commissaires de la municipalité s'y rendent, et en dressent procès-verbal. Ils annoncent ensuite aux soldats de Vexin qui s'y trouvoient, qu'ils sont libres, et que ceux qui voudront rester sont à la solde de la ville, dans le cas où ils perdroient la leur. Tous demandent à mourir pour la patrie, tous se décorent de la co.

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