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HARPAGON.

Je ne me soucie ni de Don Thomas ni de Don Martin. une.) 1

(Harpagon, voyant deux chandelles allumées, en souffle une.

ANSELME.

De grâce, laissez-le parler; nous verrons ce qu'il en veut dire.

VALÈRE.

Je veux dire que c'est lui qui m'a donné le jour.

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1. Ce jeu de théâtre n'est pas indiqué dans les éditions originales. Il l'est pour la première fois dans l'édition de 1682. Les comédiens ne s'en tiennent pas là et prolongent ce jeu pendant toutes les explications qui vont suivre. L'acteur Grandmesnil le décrit comme il suit, dans une lettre citée par Aimé Martin:

« Les comédiens, dit-il, ont imaginé le jeu de la bougie pour égayer une scène que le public n'écoute jamais sans quelque impatience. Voici comment ce jeu s'exécute: Harpagon éteint une des deux bougies placées sur la table du commissaire. A peine a-t-il tourné le dos que maître Jacques la rallume. Harpagon, la voyant brûler de nouveau, s'en empare, l'éteint, et la garde dans sa main. Mais pendant qu'il écoute, les deux bras croisés, la conversation d'Anselme et de Valère, maître Jacques passe derrière lui, et rallume la bougie. Un instant après, Harpagon décroise ses bras, voit la bougie brûler, la souffle, et la met dans la poche droite de son haut-de-chausses, où maître Jacques ne manque pas de la rallumer une quatrième fois. Enfin, la main d'Harpagon rencontre la flamme de la bougie, et c'est ainsi qu'il occupe la scène jusqu'au moment où l'idée lui vient de se faire rendre par Anselme les dix mille écus qui lui ont été volés. »

Parmi les commentateurs de Molière, les uns, comme Aimé Martin, ont reproché à ce jeu de théâtre d'être en opposition avec le caractère d'Harpagon, qui doit être tout entier à sa chère cassette; les autres, comme Auger, croient qu'on le justifie suffisamment par la nécessité de faire diversion à l'ennui des explications romanesques où vont entrer Anselme et ses enfants. Ces derniers ont sans doute raison : la tradition qui consacre quelque jeu de théâtre de cette sorte pourroit bien remonter jusqu'au temps de Molière; mais on doit éviter de le pousser trop loin; et c'est aux comédiens à s'arrêter dans les limites tracées par la vraisemblance et le bon goût.

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ANSELME.

Allez, vous vous moquez. Cherchez quelque autre histoire qui vous puisse mieux réussir, et ne prétendez pas vous sauver sous cette imposture.

VALÈRE.

Songez à mieux parler. Ce n'est point une imposture, et je n'avance rien ici qu'il ne me soit aisé de justifier.

ANSELME.

Quoi! vous osez vous dire fils de Don Thomas d'Alburci?

VALERE.

Oui, je l'ose; et je suis prêt de soutenir cette vérité contre qui que ce soit.

ANSELME.

L'audace est merveilleuse! Apprenez, pour vous confondre, qu'il y a seize ans, pour le moins, que l'homme dont vous nous parlez périt sur mer avec ses enfants et sa femme, en voulant dérober leur vie aux cruelles persécutions qui ont accompagné les désordres de Naples, et qui en firent exiler plusieurs nobles familles.1

VALÈRE.

Oui; mais apprenez, pour vous confondre, vous, que son fils, âgé de sept ans, avec un domestique, fut sauvé de ce naufrage par un vaisseau espagnol; et que ce fils sauvé est celui qui vous parle. Apprenez que le capitaine de ce vaisseau, touché de ma fortune, prit amitié pour

1. L'action de cette comédie n'ayant point d'époque déterminée, Molière a pu parler à l'aventure des désordres de Naples, pays où ont éclaté beaucoup de révolutions. Il est possible aussi qu'il ait fait allusion à la révolution populaire dont Mazaniello fut l'auteur, le héros et bientôt la victime, et pendant laquelle, en effet, les familles nobles eurent à souffrir de cruelles persécutions. Cette révolution eut lieu en 1647 et 1648, c'étoit une vingtaine d'années avant la représentation de l'Avare; et l'âge des divers personnages s'accorde assez bien avec cette date. (AUGER.)

moi; qu'il me fit élever comme son propre fils, et que les armes furent mon emploi dès que je m'en trouvai capable; que j'ai su depuis peu que mon père n'étoit point mort, comme je l'avois toujours cru; que, passant ici pour l'aller chercher, une aventure, par le ciel concertée, me fit voir la charmante Élise; que cette vue me rendit esclave de ses beautés; et que la violence de mon amour et les sévérités de son père me firent prendre la résolution de m'introduire dans son logis, et d'envoyer un autre à la quête de mes parents.

ANSELME.

Mais quels témoignages encore, autres que vos paroles, nous peuvent assurer que ce ne soit point une fable que vous ayez bâtie sur une vérité ?

VALERE.

Le capitaine espagnol; un cachet de rubis qui étoit à mon père; un bracelet d'agate que ma mère m'avoit mis au bras; le vieux Pédro, ce domestique qui se sauva avec moi du naufrage.

MARIANE.

Hélas! à vos paroles je puis ici répondre, moi, que vous n'imposez point; et tout ce que vous dites me fait connoître clairement que vous êtes mon frère.

VALÈRE.

Vous, ma sœur?

MARIANE.

Oui. Mon cœur s'est ému dès le moment que vous avez ouvert la bouche; et notre mère, que vous allez ravir, m'a mille fois entretenue des disgrâces de notre famille. Le ciel ne nous fit point aussi périr dans ce triste naufrage; mais il ne nous sauva la vie que par la perte de notre liberté; et ce furent des corsaires qui nous recueillirent,

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