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ceux qui lui firent un tel reproche ne savaient pas, et peut-être ne savent point encore que c'est dans la métaphysique qu'il faut aller attaquer les erreurs qui corrompent et désolent aujourd'hui la société ; c'est parce que les bases de cette science sont fausses, depuis Aristote jusqu'à nos jours, que je ne sais quoi de faux s'est glissé partout et jusqu'au sein de la vérité même, c'est-à-dire, jusque dans les paroles et dans les écrits d'un grand nombre de ses plus sincères et plus ardents défenseurs. Nous pouvons concevoir quelque espérance de voir bientôt se faire cette grande et utile réformation, et M. de Maistre aura la gloire d'y avoir puissamment contribué.

En 1816, parut sa traduction française du traité de Plutarque, intitulé : Sur les délais de la justice divine dans la punition des coupables. Dans les notes savantes et profondes dont il accompagna cetta traduction, M. de Maistre fit voir l'esprit du Christia nisme exerçant son influence secrète et irrésistible sur un philosophe païen, l'éclairant à son insu, et lui faisant dire des choses que toute la sagesse humaine abandonnée à elle-même n'eût jamais pu dire ni même imaginer. On voit dès lors que ces grands mystères dé Ja Providence occupaient fortement cet esprit dont la vue était si juste et si percante; qu'il cherchait, autant qu'il est permis à un homme de le faire, à en pénétrer les profondeurs et à en justifier les décrets. C'est en effet à suivre la Providence dans toutes ses voies qu'il

s'était appliqué sans relâche dans ses longues et laborieuses études; et l'on vit bientôt paraître le livre fameux dans lequel, s'élevant d'un vol d'aigle au-dessus de tous les préjugés reçus, attaquant toutes les erreurs accréditées, renversant tous les sophismes de la mauvaise foi et de la fausse érudition, il nous rendit cette Providence visible dans le gouvernement temporel des papes, qu'il a présentés hardiment, sous ce rapport, comme les bienfaiteurs et les conservateurs de la société européenne, aprés tant de déclamations ineptes qui, depuis trois siècles, ne cessent de les en déclarer les tyrans et les fléaux. On n'a point répondu aux deux premiers volumes de ce livre, qu'un des plus grands esprits de notre âge a qualifié de SUBLIME (1); et, bien que le sujet en soit plutôt politique que religieux, l'impiété, qui se croit justement attaquée dès que l'on parle du chef de l'Eglise autrement que pour l'insulter, me l'eût point laissé sans réponse, s'il eût été possible d'y répondre. On ne répondra pas davantage au troisième qui vient de paraître, et qui traite spécialement du pape dans ses rapports avec l'Eglise gallicane. Il ne convaincra pas sans doute des esprits passionnés et vieillis dans les habitudes d'une doctrine absurde et dangereuse, mais les passions les plus irascibles seront elles-mêmes réduites au silence.

Nous ne dirons point que les SOIRÉES DE SAINT

(1) M. le vicomte de Bonald.

PÉTERSBOURG que nous publions aujourd'hui, dernière production de cet homme illustre, soient un ouvrage supérieur au livre du PAPE. Tous les deux sont l'œuvre du génie; tous les deux nous semblent également beaux : cependant quelque admiré qu'ait été celui-ci, nous ne doutons point que les SOIRÉES ne trouvent encore un plus grand nombre d'admirateurs. Dans le livre du PAPE, M. de Maistre ne dé– veloppe qu'une seule vérité : c'est à mettre cette vérité unique dans tout son jour qu'il consacre toutes les ressources de son talent, qu'il prodigue tous les trẻsors de son savoir; ici le champ est plus vaste, ou, pour mieux dire, sans limites: c'est l'homme qu'il considère dans tous ses rapports avec Dieu; c'est le libre arbitre et la puissance divine qu'il entreprend de concilier; c'est la grande énigme du bien et du mal qu'il veut expliquer; ce sont d'innombrables vérités, ou plutôt ce sont toutes les grandes et utiles vérités, dont il s'empare comme de son propre bien, pour les défendre en possesseur légitime contre l'orgueil et l'impiété qui les ont toutes attaquées. Au milieu d'une route semée de tant d'écueils, il marche d'un pas assuré, le flambeau des traditions à la main; et sa raison en reçoit des lumières qu'elle fait rejaillir sur tous les objets dont elle sonde les profondeurs. Jamais la philosophie abjecte du dix-huitième siècle ne rencontra d'adversaire plus redoutable: ni la science, ni le génie, ni les renommées ne lui imposent ; il avance sans cesse, abattant devant lui tous ces colosses aux

pieds d'argile; il a des armes de toute espèce pour les combattre c'est le cri de l'indignation; c'est le rire amer du mépris ; c'est le trait acéré du sarcasme; c'est une dialectique qui atterre; ce sont des traits d'éloquence qui foudroient. Jamais on ne pénétra avec plus de sagacité dans les replis les plus tortueux d'un sophisme pour le mettre au grand jour et le montrer tel qu'il est, absurde ou ridicule; jamais une érudition plus étendue et plus variée ne fut employée avec plus d'art et de jugement pour fortifier le raisonnement de toute la puissance du témoignage. Puis ensuite, quand il pénètre jusqu'au fond du cœur de l'homme, quand il visite, pour ainsi parler, les parties les plus secrètes de son intelligence, soit qu'il en explique la force soit qu'il en dévoile la faiblesse, quelle foule d'aperçus ingénieux, de traits inattendus, de vérités profondes et nouvelles! Que de sentiments tendres, délicats et généreux ! quelle foi pieuse et inébranlable! quel esprit que celui qui a pu concevoir des pensées si grandes, si étonnantes sur la GUERRE! quel cœur que celui d'où il semble s'écouler, comme d'une source pure et vivifiante, des paroles si animées et si touchantes sur la PRIÈRE !

Dans tous les ouvrages qu'il avait publiés jusqu'à celui-ci, la manière d'écrire de M. de Maistre a été jugée claire, nerveuse, animée, abondante en expressions brillantes et en tournures originales: ce sont là ses principaux caractères. Dans les SOIRÉES, où des

sujets variés et innombrables semblent en quelque sorte se presser sous sa plume, l'illustre auteur s'abandonne davantage et prend tous les tons. A la force et à l'éclat il sait unir, au besoin, la grâce et la douceur; il sait étendre ou resserrer son style avec autant de charme que de flexibilité, et ce style est toujours vivant de toute la vie de cette âme où il y avait comme une surabondance de vie. Ce n'est point un style académique, à Dieu ne plaise! c'est celui des grands écrivains, qui ne prennent des écrivains classiques que ce qu'il en faut prendre, et qui reçoivent le reste de leurs propres inspirations. Et n'est-ce pas ainsi qu'il convient en effet d'entendre et de mettre en pratique les traditions de notre grand siècle littéraire ? Ces traditions ne sont point perdues, ainsi que semblent le craindre quelques amateurs délicats des lettres, trop épris peut-être de certaines beautés de langage, partisans trop exclusifs de certaines manières d'écrire qui ne sont plus de notre âge, et ne prenant pas garde que l'imitation servile, qui fait les rhéteurs, est justement dédaignée de l'écrivain qui sait penser, qui a de la conscience et des entrailles. Les princes de notre littérature, qui sans doute doivent être éternellement nos modèles, comment s'y prenaient-ils eux-mêmes pour enrichir leurs écrits des précieuses dépouilles qu'ils avaient enlevées aux génies sublimes de la Grèce et de Rome? se faisaient-ils Grecs et Romains? non sans doute ils demeuraient Français, et Français comme on l'était au temps de Louis XIV. Avec un goût exquis

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