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c'est-à-dire lorsqu'elle certifie qu'on n'a jamais été bon à rien de père en fils, elle donne entrée de plein pied dans la société... Eleuthère Godart, par son mariage, ouvrait donc à sa femme les portes du cénacle qui, dans les petites villes, ne s'entrebâillent jamais pour les avoués; les notaires y arrivent, mais les autres n'ont pour se consoler que le salon de môssieur le maire ou du sous-préfet, les jours de réception officielle, à propos de la fête du souverain, ou de la tournée départementale du général ou du préfet.

Voilà pourquoi toute la ville était sens dessus dessous la fille de l'avoué épousant un 'homme de la société, c'était là un de ces événements comparable au mariage de Pierre le Grand avec la cantinière Catherine, ou, dans un sens inverse, à l'union de la grande Mademoiselle avec Lauzun.

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Mais ce n'était pas tout il y avait un autre intérêt, un intérêt principal qui s'attachait à cette charmante cérémonie; jusque-là, il ne se trouvait dans tout ceci qu'un de ces événements heureux qui relèvent la position d'une famille; ce n'était pas l'affaire de la petite ville. Il lui fallait son petit os à ronger, et vous allez voir comme, au lieu d'une mauviette, ce fut une bonne et grasse poularde qu'on servit à sa voracité.

-La mariée paraît, ma foi, jolie! dit Gaston, en

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descendant l'escalier, pour se rendre à la mairerie. Dame! fit l'hôtelier qui les suivait, son bonnet de coton à la main; il n'y a pas que monsieur qui

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s'en soit aperçu.

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Elle a un air de candeur qui intéresse tout d'abord, ajouta le baron en souriant dans le nœud de sa cravate.

- Pour ce qui est de ça, répliqua l'homme, c'est l'usage de chez nous l'air d'innocence fait partie du costume; ça s'attache avec des épingles, tout comme le bouquet de fleurs d'oranger.

Eh! notre hôte, dit Gaston en se retournant, vous insinuez cela d'un air?...

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Ah!... après ça, fit l'homme d'un ton narquois, faut pas croire toutes les méchantes langues. Une jeune fille peut bien ayoir eu une inclination, sans pour ça renoncer au mariage.

Il y a donc eu inclination? demanda le baron. Faut croire! Puisque la femme de chambre passait les billets...

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Après ça, faut croire que c'est des calomnies. A quoi bon s'écrire, quand on se voit, tous les soirs, à une fenêtre du jardin, au rez-de-chaussée, et que l'appui de la croisée est à hauteur de jambe humaine?

Eh mais! s'écria Gaston; voici une candeur

qui me paraît tant soit peu problématique!... Et le futur mari ignore donc ces détails?

-Oh! n'en doutez pas : c'est un brave garçon qui passe sa vie à empailler des oiseaux et à enfiler des papillons au bout de longues épingles: il court les bois, ou dort dans son cabinet, et il ne se mêle pas de ce qui passe dehors: il épouse de confiance. Aussi, me voilà tranquille : à compter d'aujourd'hui, si le vent emporte l'enseigne de mon auberge, je sais bien où je trouverai de quoi remplacer mon Grand-Cerf.

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Voyons, voyons! dit Gaston qui aimait à s'instruire; il y a là-dessous un mystère provincial que je voudrais bien connaître il paraît que nous sommes les seuls qui ignorions cette histoire; racontez-nous-la.

-Bien volontiers; d'autant plus que vous l'apprendriez par les autres, car M. Arthur étant arrivé tout à l'heure par le même train que vous, faut croire qu'il va y avoir du scandale dans Landernau... Aussi, on va rire, et voilà pourquoi toute la ville est en émoi... Ah! ça va être un beau jour !

Et alors l'hôtelier du Grand-Cerf raconta à ces messieurs ce que nous allons analyser nous-mêmes, pour arriver plus vite à la mairerie.

CHAPITRE VIII

Un mariage agréable. Farce de procureur.

Des dîners de province.

Libraires et traiteurs.

Mlle Fulvie Rabichon était jolie, très-jolie: c'est une ravissante prérogative qu'elle avait héritée de madame sa mère, qui de plus lui avait transmis ses autres dispositions à faire valoir sa beauté. En effet, la beauté n'est-elle pas un capital qu'il est malséant de laisser dormir, et, en bonne ménagère, ne doit-on pas le faire produire quand on le possède?... Tous les économistes sont de cet avis, depuis Smith, Malthus, Turgot, Quesnay, Say et autres théoriciens qui ont fait de la science au coin du feu. Parmi ses nombreux adorateurs elle avait distingué M. Arthur Plumichet, et en ceci elle avait fait preuve de goût. Arthur était le lion de l'endroit. Élevé à Paris, où il

avait fait ses études, puis son droit, il en avait rapporté tout ce qui pouvait séduire la naïve Estelle dont il se constituait le Némorin. Il savait Georges Sand sur le bout du doigt, portait la moustache à l'espagnole et avait, le premier, importé dans la petite ville les bottes vernies et les gants paille. On comprend que Mlle Fulvie ouvrit bien vite son cœur à deux battants; Arthur y entra tout éperonné, et ma foi, au dire de la chronique, il s'y établit bientôt comme chez lui... Comme il s'y trouvait bien et que la jeune fille adorait son locataire, elle songea à en faire un propriétaire définitif, et on se jura, un soir, de s'épouser.

Hélas! nous voudrions bien trouver quelque chose comme une périphrase, pour annoncer à nos lecteurs que M. Arthur de Plumichet exerçait des fonctions, fort honorables sans doute, mais dont l'investiture fait supposer d'ordinaire plus de capacité administrative que d'élégance fashionable... Tout amoureux qu'il fût, Arthur, ainsi que bien des jeunes hommes de notre époque positive, avait une passion plus dominante peut-être, et son ambition bien légitime avait rêvé les honneurs être un jour membre du conseil général, député peut-être, et qui sait?... ministre... tant de gens l'ont été. Tel était le songe de sa jeune et bouillante imagination. Du reste, nous devons lui rendre cette justice, que son espoir, en

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