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et-Loire, que vous avez été chercher vos impressions... Eh! mon Dieu! la chose est évidente, et votre livre, qui n'est pas une monographie, ne pouvait être fait autrement. Mais n'est-il pas de l'essence même de l'esprit provincial de s'attribuer tout ce qui a l'air d'une satire, et avez-vous oublié le mot de Monvel à Mlle Mars: « Mon enfant, lui disait-il, un jour qu'elle devait aller jouer en province, rappelle-toi toujours, lorsque tu es en scène hors de Paris, qu'il ne faut pas avoir l'air trop grande dame, parce que cela ressemble à une critique à l'adresse des spectatrices qui ne le sont pas. De plus, si, dans ton rôle, tu as quelque blâme à lancer sur la province, atténue ton jeu, ne parais pas trop partager l'avis de l'auteur, car les provinciaux seront persuadés que la pièce, fût-elle de Molière, a été composée exprès pour les ridiculiser. » Voilà ce que disait Monvel, et il avait raison. Toutes les petites villes où s'introduira votre livre ne douteront pas un instant de votre intention de les peindre personnellement, et l'on ne manquera pas de vous en vouloir tout autant que si vous étiez réellement coupable de ce crime de lèse-province, pire que le crime de lèse-majesté.

En vérité, cher maître, lui répondis-je, je confesse que vos objections m'étonnent grandement! Je n'avais jamais pensé qu'elles me pussent être faites. J'écris en moraliste, en philosophe, qui a adopté une morale et une, philosophie joyeuses; je fais comme Démocrite, de riante mémoire, qui, après avoir parcouru diverses contrées, revient dans sa petite ville qu'on nommait Abdère. Là, il compose un livre intitulé le Monde, et il se moque de tout et de lui-même; ses compatriotes, loin de lui en vouloir, lui firent présent de cinquante talents, ce qui, à cette époque et dans la Thrace, équivalait à la somme de cinq cent mille francs... Et pourtant, au dire de Leucippe, les Abdéritains étaient des provinciaux fort chatouilleux à l'endroit de la satire... Je n'ai jamais espéré que ceux que je tâche d'égayer me feraient don de cinquante talents ou de vingt-cinq mille francs de rente à leur choix. Mais, que diable! j'ai bien le droit de me

figurer qu'ils ne sont pas plus bêtes que les Abdéritains du quatrième siècle avant Jésus-Christ.

Lorsque Picard composa sa Petite Ville, chef-d'œuvre inimitable d'humour et de vérité, lorsque Piron fit jouer ses Bourgeois de Beaune, est-ce qu'ils se souciaient de ce qu'on pourrait dire et penser de leur satire ?.. A ce compte, il ne faudrait jamais écrire, et le métier de prosateur ou de poëte deviendrait impossible, car, à bien voir, il y a matière à se fâcher tout rouge, dans chaque chapitre et dans chaque ligne qui s'imprime. Ah çà, voyons, qu'est-ce que nous dirions, nous autres écrivains, si nous voulions prendre la mouche contre tous ceux qui nous attaquent et nous ridiculisent?... Est-ce que tous les jours on ne se moque pas des poëtes?... Eh bien, je suis poëte, j'ai publié trois volumes de vers et autant de comédies rimées... Est-ce qu'on ne rit pas des prosateurs?... Eh bien, je le suis aussi; j'ai fait imprimer, hélas! quatorze in-octavo ou in-douze de romans, de nouvelles et d'études à la Démocrite... Est ce qu'on ne ridiculise pas les chasseurs maladroits?... Eh bien, voilà quinze ans que je bats tous les terroirs de France, et je déclare hautement que lorsque j'abats un perdreau, je le fais empailler... j'en ai déjà cinq!... Est-ce qu'on n'a pas été jusqu'à dire à la tribune qu'il fallait pendre tous les propriétaires ?... Eh bien, n'en déplaise à M. Proudhon et consorts, je suis bon à pendre, et je m'en félicite. Mais jamais, au grand jamais, je n'ai songé une minute à croire que tout cela était dit ou écrit à mon intention particulière... Je vais plus loin et je vous affirme, cher maître, que si je n'avais eu pour modèles que les gens et les choses que je connais le plus intimement, je n'aurais pas pu aller plus loin que mon quatrième chapitre; bien plus, pour écrire un seul de ces chapitres, il m'a fallu parfois faire deux cents lieues, c'est à-dire aller prendre un croquis dans l'Orne, par exemple, un trait dans la Côte-d'Or, et une esquisse dans l'Oise. J'ai imité Grandville, Charlet, Philippon et tous les caricaturistes qui ont voulu se montrer vrais. J'ai pris le nez de Hyacinthe, la bouche de Grassot, le

toupet d'Alexandre Dumas, le sourire de Sainte-Foy, les lunettes de M. Thiers, le parapluie de M. Guizot et les mollets de Lablache... et, de tous ces détails, j'ai composé, comme eux, un ensemble grotesque. Pensez-vous que Hyacinthe, Grassot, Dumas, Sainte-Foy, MM. Thiers et Guizot, et Lablache, aient jamais éprouvé la velléité de se fâcher?... Ils ont ri tout les premiers, et ils ont bien agi, sans quoi, le lendemain, Grandville, Charlet et Philippon recommençaient de plus belle... et c'eût été bien autre chose!...

Et puis, voyons encore. Il y a quelque temps, lorsque je publiai mon DIABLE A PARIS, ne m'avez-vous pas prophétisé que j'allais me faire jeter la pierre, de la barrière du Trône à l'arc de triomphe, des buttes Montmartre à l'Observatoire?... Je disais, en effet, bien autre chose de Paris, que je n'en dis aujourd'hui de la province. Qu'est-il advenu?... Les braves Parisiens ont acheté mon livre, et ont ri comme des gens d'esprit qu'ils sont, et m'ont donné des poignées de mains à tous les coins de rue. J'avais fait un chapitre contre le journalisme, et ce sont précisément les journaux qui ont montré à mon égard la plus unanime bienveillance. J'avais critiqué les bals masqués... Strauss, l'habile directeur de ces fêtes décolletées, m'envoya une entrée à l'Opéra, pour étudier mon sujet de plus près. Je m'étais moqué de...

En ce moment, arriva un compositeur d'imprimerie, qui me déclara que mon éditeur réclamait mon manuscrit, et qu'il était décidé à exiger le dédit de cinq cent mille francs, juste les cinquante talents de Démocrite! -dédit stipulé dans notre traité signé et paraphé. Il n'y avait pas à hésiter.

Et voilà pourquoi, malgré les sages conseils de mou vieil et excellent ami, cette seconde partie de mon ouvrage a vu le jour (style adopté).

Le lecteur comprendra que ce n'est pas ma faute..... ou alors, c'est qu'il y mettra de la mauvaise volonté, et je m'en lave les mains.

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Pour les gracieux lecteurs qui ont bien voulu parcourir les trois ou quatre cents pages de notre volume intitulé LE DIABLE A PARIS, nous aurons peu ou point à dire, en commençant la seconde partie de la série de nos études sociales; ils seront bien vite initiés aux secrets de nos changements de décors à vue, et ils comprendront que, voulant, avant tout, éviter la

monotonie dans nos récits, nous allons pousser une reconnaissance autour de nos murailles, avec l'intention de rentrer bientôt dans la place. Si Paris nous a offert une ample pâture, que nous sommes loin d'avoir épuisée, la province nous promet une récolte non moins abondante; là s'agitent les mêmes intérêts, les mêmes passions et les mêmes ridicules; seulement, nous abordons la caricature après avoir peint le tableau, et nous aurons du mal à persuader nos lecteurs de la véracité de nos esquisses: pourtant nous faisons de la photographie, et la photographie ne rend que ce qu'on présente à son objectif.

Pour ceux qui n'ont pas lu notre premier livre, nous commençons, dans l'intérêt de notre estimable éditeur, par les engager à se procurer ce volume, dont le mérite vaut toujours bien, modestie à

part, les vingt sous qu'exige la Librairie Nouvelle... Puis, nous ajouterons quelques lignes, afin de rendre plus facile l'intelligence de ce qui va suivre, en le reliant au récit, dont il est la conséquence.

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On se souvient, ou l'on apprendra, que notre jeune héros, Gaston de Chavrières, après une nui! passée à explorer les mœurs parisiennes, en compagnie du baron Asmodée, s'était tout à coup trouvé dans le splendide hôtel de son étrange compagnon: la blessure du comte de Silly, son rival, la lettre qui remettait indéfiniment le rendez-vous au bois

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