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jeune jacobin nommé Yetzer et lui imprimèrent les sacrés stigmates... Il y a encore une fameuse apparition, dont vous lirez les détails dans le manuscrit no 1770 de la Bibliothèque impériale, où il est établi que la femme du seigneur de Saint-Mémin, morte et enterrée depuis longtemps, vint visiter son mari pour lui reprocher de ne pas avoir assez donné au couvent des cordeliers. L'affaire fut portée au parlement; le procureur général requit que les pères cordeliers fussent brûlés vifs; mais l'arrêt ne les obligea qu'à l'amende honorable, le cierge à la main, et à être expulsés du royaume ledit arrêt est du 18 février 1554... Eh bien, à l'époque où eurent lieu ces apparitions, il ne manqua pas de gens qui y crurent, pourquoi voulez-vous donc que nos deux dévotes soient plus esprits forts que d'autres ?...

Les superstitions du seizième siècle, objecta Gaston, n'auraient plus cours aujourd'hui.

- Aujourd'hui, dites-vous?... Eh! mon jeune ami, notre siècle des lumières ne vaut pas mieux que les âges des ténèbres, et, pas plus tard que demain matin, je vous mènerai au tribunal, où doit se juger, m'a dit l'hôtelier, une cause dans laquelle se trouve un sorcier, qui a su se faire passer pour tel, aux yeux de quelque chose comme deux ou trois cents imbéciles de cet arrondissement.

Au total, dit le jeune homme, j'avoue que, sans

pour cela me déclarer partisan de l'obscurantisme et de la superstition, je préfère cette simplicité naïve aux prétendues lumières du scepticisme et de la philosophie moderne... Ici, du moins, on a sa foi, et si l'on croit mal, en résumé l'on croit... et c'est quelque chose.

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soit

- C'est vrai, et, en ceci, les femmes de la province font généralement preuve d'une grande ardeur. — Mais, voyez la contraction!ici, les hommes, en fait de croyance et de religion, en sont encore aux principes surannés, aux vieilles idées du dix-huitième siècle. A Paris, je vous l'ai dit autre part, par conviction, soit pour s'astreindre aux prescriptions de la mode et du bon ton, les hommes du monde ne rougissent pas de montrer leurs sentiments religieux. Ils vont à l'église, comme ils vont aux Italiens; ils assistent au sermon, de même qu'ils se rendent à une séance de l'Académie, et ils se font gloire d'être catholiques, comme ils s'enorgueillissent d'être Français. A Paris, pour tout dire, l'incrédulité n'est plus de mode. Elle est mal portée... En province, au contraire, entendez raisonner la plupart des hommes,je dis la plupart, et non pas tous ! c'est à se croire reculé d'un demi-siècle en matière religieuse; c'est à se figurer qu'on est en plein Directoire, époque des esprits forts et des bottes à retroussis. Ces messieurs en sont encore et toujours aux idées rationalistes et

philosophiques de Condorcet, de d'Alembert, du baron d'Holbach, d'Helvétius, de Grimm, et de J. J. Rousseau; l'Encyclopédie s'est réfugiée en province; ce n'est plus que là que l'on trouve des déistes et même des athées, qui s'appuient sérieusement sur l'autorité de Diderot et sur les facéties de Voltaire. Le scepticisme religieux est le type de la province ; il y est toujours de mise, par la même raison qu'on s'y habille, parfois encore, comme il y a vingt ou trente ans. Les costumes et les mœurs, les modes et les croyances ne s'adoptent pas aussi vite qu'on le pense une fois enracinés dans les habitudes d'une nation, il faut du temps pour les changer. Paris, qui est la tête, envoie sa vitalité aux provinces, qui sont ses membres; mais ce n'est pas en un jour que son exemple acquiert partout force de loi. De même qu'il est toujours arrivé que les modes parisiennes n'ont été vulgarisées dans les départements que lorsqu'elles étaient déjà usées dans la capitale, de même les progrès moraux n'exercent ici leur salutaire influence que lorsque Paris en a déjà éprouvé depuis longtemps les bienfaisants effets. N'y avait-il pas dixhuit mois que les dames du faubourg Saint-Germain et de la Chaussée-d'Antin portaient les manches plates, lorsque les élégantes d'Ille-et-Vilaine ou du Calvados en étaient encore aux manches à gigot? et plus récemment, n'avons-nous pas vu la province accueillir

de ses sarcasmes l'immense développement des jupes parisiennes, puis en arriver elle-même à outrer l'abus de la crinoline? Aujourd'hui, le gonflement s'apaise à Paris, et il augmente dans les départements. Ils sont en retard, voilà tout.

Nos moralistes en étaient là de leur discussion philosophique, lorsqu'un tumulte épouvantable vint troubler le silence de la nuit. C'était comme un lointain mélange de voix confuses et discordantes qui parcouraient tous les tons d'une gamme désordonnée; des sons inconnus, des accents sauvages se mêlaient à cette étrange cacophonie qui rugissait avee une sorte de frénésie. En un instant, toute l'auberge fut sur pied, et bientôt les corridors furent encombrés de voyageurs réveillés en sursaut et qui, paraissant en costume uniformément nocturne, se demandaient de quoi il s'agissait... Le baron et son compagnon sortirent de l'auberge,et, guidés par le tapage de cette musique inconnue, ils se dirigèrent vers l'endroit d'où venait le bruit.

Voici de quoi il s'agissait.

CHAPITRE XV

Le charivari. Physionomie de bal. Causeries et danses.

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A mesure qu'ils approchaient, le vacarme redoublait, et on distinguait comme des coups de tamtam et des sons de trompe qui formaient une sorte de basse discordante, sur des rafales de sifflet aigües, mélées de chants de coqs, de miaulements de chats et d'aboiements de chiens.

-C'est donc une danse de sauvages sautant la bam” boula, dit Gaston! jamais je n'ouïs un plus horrible charivari.

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- Vous avez deviné, dit le baron: c'est un charivari exécuté par de véritables sauvages, et, si j'en crois quelques mots lancés par les passants qui se rendent comme nous sur le théâtre de l'action, c'est à la porte de M. Rabichon que se joue cette agréable symphonie.

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