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de beurre pendant le carême; jeûner parfois jusqu'à midi, et faire ainsi, de l'hommage dû à Dieu, une question d'horlogerie; s'accuser régulièrement, tous les mois, de fautes qu'elles recommettent périodiquement le mois suivant; faire des petites chapelles à la Vierge, des petits vœux à saint Joseph, des petits reproches à sainte Catherine; craindre le Père, adorer le Fils, négliger fortement le Saint-Esprit, et se croire sauvée pour aller, tous les dimanches, bâiller à la messe et dormir au prône... voilà la religion des sept huitièmes de la jeunesse féminine dont vous admirez les touchantes fer veurs... Et voyez la fatalité! ce sont précisément toutes ces dévotes, que je ne confonds pas avec les femmes vraiment pieuses, qui constituent le fond de la société provinciale : c'est chez elles qu'on trouve cet esprit d'intolérance si opposé aux maximes évangéliques; la médisance et parfois la calomnie se sont élevées, pour elles, à la hauteur d'une question d'art; c'est leur principale occupation; le dénigrement du prochain fait partie de la mission céleste qu'elles croieut accomplir, el, comme dit saint Augustin lui-même, dans ses Confessions « La langue des dévotes est cent fois plus à craindre que la langue des impies, car elle a l'apparence de l'autorité. » A leurs yeux, toute femme qui se conforme à leurs petites pratiques est un vase d'élection renfermant tous les parfums;

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quant à celle qui n'est que bonne mère, épouse dévouée et qui donne l'exemple de toutes les vertus sociales, sans s'astreindre à toutes ces puérilités de congrégations, oh! celle-là, c'est un esprit fort, une philosophe... c'est même une athée, que toutes les flammes du purgatoire ne suffiront jamais à purifier de ses crimes!... Ah! il serait bien temps de ramener votre religion aux grands principes de sa splendeur primitive; car, si l'on n'y prend garde, il se trouvera bientôt que les chrétiens du dix-neuvième siècle n'eussent été que des hérétiques au temps des apôtres, et que le Christ ne reconnût plus son propre culte.

Je ne me serais jamais figuré, dit Gaston, que la grande religion de Bossuet, de Leibnitz et de saint Jérôme pût, en certains cas, rapetisser le cœur humain.

-Elle le rapetisse tellement, dit le baron, que, parfois elle fait commettre des fautes que les simples lumières de la philosophie humaine eussent prévenues, en éclairant l'esprit... De la petite dévotion à la superstition la plus absurde, il n'y a que la distance du Dixit au Confitebor, et je vais vous raconter, à ce propos, une anecdote qui, certainement, = vous paraîtra inventée à plaisir, mais qui n'en est pas moins vraie elle vous montrera jusqu'où peut aller la crédulité de ces esprits rabougris qu'a com

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plétement annihilés l'abus des accessoires de la religion; car la religion est comme ces vins généreux qui soutiennent et réconfortent; ils n'enivrent et ne font mal que lorsqu'ils sont sophistiqués par le mélange de substances frelatées.

CHAPITRE XIV

Apparition de saint Jean. Un forçat libéré évêque. — La femme du seigneur de Saint-Mémin.

Le baron s'assit sur un banc de la cour, avec Gaston, et il lui raconta l'aventure suivante :

Dans une petite ville qui désire garder l'anonyme, existent deux sœurs, ayant toutes deux dépassé leur majorité de quelques lustres, et qui, si l'on en croit le bedeau de la paroisse, sont tout bonnement des saintes, à qni il ne manque qu'un nimbe d'or autour de la tête et une roue dentelée à la main gauche, pour ressembler à sainte Catherine... pas la Catherine de Sienne, laquelle, en 1378, eut une conversation avec le Père éternel, mais l'autre, celle qui est malheureusement leur trop fidèle patronne. Fort bien avec M. le curé qui a son couvert mis, tous les dimanches, à la table de ces béates, gourmandes

comme... des dévotes; très-appréciées des dames de l'Enfant-Jésus pour lequel elles brodent de petites camisoles et enfilent des colliers de verroteries, on comprend que leur réputation de vertu ne souffrit jamais aucune atteinte. Jouissant d'un assez confortable revenu mis en commun, elles n'ont point poussé l'abnégation jusqu'à s'abstenir des bonheurs permis. Leur cave est digne d'un abbé de Citeaux, leur office ne craint pas celui de monseigneur l'évêque, et elles connaissent à fond l'art de confectionner le ratafia, le brou de noix et le vespétro, liqueurs aimées du clergé. Nulle part les confitures et les conserves ne se font plus à point, et on les cite surtout pour leur talent à pétric le massepain et les brioches qu'on bénit les jours de fête de la sainte Vierge. Point n'est besoin de certifier que les jeûnes, les quatre-temps et les maigres y sont rigoureusement observés. Les marchandes de marée le comprennent si bien, que, tous les vendredis, elles réservent leur plus belle pièce de poisson pour les deux saintes; les crieuses de quatre saisons leur mettent également de côté la fleur du panier, et savent bien où porter la première botte de petits pois qui paraît dans le canton... Dame! c'est que nos deux sœurs sont orthodoxes!

Elles sont naturellement de toutes les congrégations, brodent les nappes d'autel, festonnent les aubes, plissent les surplis, embaument de muguet

!

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