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né poëte, selon le précepte d'Horace et de Boileau. Pendant les quelques années qu'il avait passées à Paris, il s'était lié avec deux ou trois courtisans des Muses; il avait écrit des charades et des logogriphes dans un journal glorieusement tombé au troisième numéro, et l'on affirmait même qu'il avait composé trois actes que l'Odéon avait refusés, mais que le théâtre Bobino n'avait jamais voulu accepter... En rentrant dans sa ville natale, il s'était bien vengé : il s'était mis à faire des articles d'agriculture, en vers, dans le Compost littéraire, journal d'annonces de la localité, et il avait fondé une académie des sciences, arts, belles-lettres, commerce, agriculture et industrie. Les femmes y étaient admises comme les hommes pour l'un et l'autre sexe, les élections avaient lieu au scrutin secret; l'esprit n'était pas indispensable, le talent n'était pas positivement nécessaire : la grande question consistait à donner vingt francs par an pour les frais d'éclairage.

M. Arthur Plumichet était président-né de cette académie qui, pareille à celle que citent Voltaire et Fontenelle, était une honnête fille qui n'avait jamais fait parler d'elle. Or, ce soir-là, il y avait précisément séance fort intéressante: on devait procéder à une réception et entendre la lecture d'une pièce de vers de M. Arthur, précédée d'une étude du guano comparé au fumier de vache, et d'une dissertation sur

la question de savoir si Marseille, l'anccienne capitale des Phocéens, devait sa prospérité à ses grands hommes, ou à ses savons... M. Grimouillet, marchand de denrées coloniales retiré, et membre de l'académie, devait prendre la parole pour le savon, et M. le président devait faire la controverse. On s'attendait à une chaude discussion; l'académie était partagée en deux camps : le génie avait ses partisans, le savon comptait ses fanatiques; deux ou trois indifférents, qui n'étaient ni de l'un ni de l'autre, — les adeptes du guáno et du fumier de vache, meuraient neutres et s'en lavaient les mains.

de

Le baron et Gaston venaient d'achever leur café, se demandant à quoi il était possible d'employer sa soirée dans une ville où toutes les portes se ferment à huit heures et demie, lorsque l'hôtelier leur remit une large enveloppe ornée d'un gigantesque cachet de cire verte où était gravé, entre deux branches de laurier : - Sic itur ad astra!...

Parbleu! s'écria le baron qui venait de lire la missive: voilà bien notre affaire; nous pensions à aller dormir on nous offre une séance académique.

C'est tout un! riposta Gaston, à qui le vieillard passa la lettre. Et le programme qui y est joint me paraît des plus piquants. Peste!... « Marseille doit-elle... ou doit-il sa prospérité à ses grands hommes ou à ses savons ?... » Voilà une grave ques

tion qui pourra réjouir les épiciers de la Cannebière. Mais que diront les ombres de Roscius, de Pytheas et d'Euthymène parmi les anciens, et les mânes de Mascaron, de Dumarsais, de Plumier, de Puget, de Barthe et de d'Urfé parmi les modernes ?... Je voudrais qu'on convoquât Méry, pour savoir de quel côté il jetterait sa boule blanche.

- Mon cher, dit le baron, je connais assez l'esprit paradoxal de ce gracieux Phocéen, pour être certain d'avance qu'il se mettrait du côté du savon, qu'il plaiderait la cause de la potasse, et qu'il gagnerait son procès... Dites, ajouta-t-il en s'adressant à l'hôtelier, que nous allons nous rendre à l'aimable invitation de M. le président de l'académie... Dans cinq minutes nous y serons... La salle des séances est-elle bien loin d'ici?

Vous y êtes, messieurs, répondit le directeur du Grand-Cerf, ou du moins vous n'avez que la cour à traverser. Ces messieurs m'ont loué un local, et je leur ai fait décorer un ancien grenier à fourrage audessus de l'écurie.

-Oh! oh! laissa échapper Gaston, ils doivent être là comme le rat dans le fromage!

- Mais oui, riposta très-naïvement le brave homme; ils s'y trouvent fort bien : ils sont là chez eux.

Cinq minutes après, en effet, nos deux voyageurs grimpaient une sorte d'escalier en planches évidem

ment construit primitivement pour l'ascension des bottes de foin, mais qui, recouvert d'un tapis et garni d'une rampe, était devenu le plus court chemin pour arriver à ce Parnasse départemental... A la porte du sanctuaire d'Apollon, ils retrouvèrent l'hôtelier qui s'était dépouillé de ses insignes culinaires, et qui avait substitué à son tablier et à son bonnet de coton une grosse chaîne d'acier qui lui couvrait la poitrine et une petite barrette noire à laquelle il ne manquait qu'un peu d'hermine pour être un bonnet de docteur.

- C'est moi qui suis l'huissier de l'académie, leur dit-il à demi-voix, avec un air de fierté mal déguisée; ça me donne la fourniture des bougies et du verre d'eau sucrée pour l'orateur... Et puis, j'aime les arts et la société des savants.

Introduits par l'huissier de l'académie, nos deux héros furent reçus par M. le président, qui leur avait réservé des fauteuils au bureau.

Le local académique était bien, en effet, un vaste parallelogramme ayant servijadis à collectionner les foins de l'auberge du Grand-Cerf, mais on l'avait assez convenablement approprié à sa nouvelle destination. Une tenture de papier vert déguisait la nudité des charpentes, et quelques tableaux en décoraient les parois. Le panneau du fond, qui servait de repoussoir au bureau, représentait l'apothéose de Phoebus entouré des neuf muses et des grands hom

mes de la Grèce huchés sur le Pinde. M. le préside fit remarquer à ses deux visiteurs que l'artiste auqu on devait cette toile, et qui n'était autre que le vitri de l'endroit, avait eu l'heureuse idée de faire d portraits. Le dieu de l'Hélicon était M. Arthur Plum chet lui-même; Homère ressemblait beaucoup monsieur le secrétaire perpétuel de l'académie, et Anacréon, couronné de roses, avait un air de famil avec M. Grimouillet, l'avocat du guano. Quant am neuf muses, deux seulement avaient trouvé leurs of ginales dans la société, car jusqu'ici l'arrondisseme n'avait pu fournir qu'un faible contingent relatif, femmes savantes. La première, par ordre de date réception, était Mile Eulalie-Balbine de Saint-Landry. poëte couronné au concours de plusieurs société savantes, et à qui l'on devait deux volumes de vers très-remarquables, intitulés, l'un; Les voix de haut... et l'autre : Les voix d'en bas. Mlle Eulalie-Balbine de Saint-Landry, qui dans le tableau figuraite Polymnie, muse de la poésie lyrique, confessait trene huit printemps. Quelques mauvaises langues répé taient tout bas qu'on pourrait bien retrouver, dan les archives de la mairie, une ode qu'elle avait publiée, le 20 mars 1811, à l'occasion de la naissance du rê de Rome; puis une autre, imprimée le 29 septem bre 1820, en l'honneur de la naissance du duc de Bordeaux. Quant à elle, sa mémoire ne remontait pas

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