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- Ne blâmons pas trop les femmes, répondit le baron. Un grand poëte l'a dit :

Oh! n'insultons jamais à la femme qui tombe;

Qui sait sous quel fardeau sa pauvre âme succombe ?

Mettez-vous à la place de celle-ci, et demandez-vous ce que vous eussiez fait dans les mêmes conditions. Le mariage est organisé de telle façon que je regarde la fidélité des époux comme le plus grand hommage qu'ils puissent mutuellement se rendre. Il y a tant à parier contre elle; il y a tant de chances contre sa durée, que je voudrais voir placer les époux fidèles au nombre des saints qui figurent dans le martyrologe catholique. Au reste, laissons jouir l'infidèle de son éphémère illusion; laissons-la tremper ses lèvres à la coupe de ce bonheur passager l'ivresse durera ce que durent les roses.

-Hélas! c'est trop vrai! répondit le jeune homme. Les amours sont de charmantes fleurs qui se fanent vite... Pauvres femmes!

-Oh! ne les plaignons pas plus qu'il ne faut. Elles ont toujours des compensations que nous avons rarement. Dans les naufrages du cœur, elles savent constamment trouver un port, et aux dédains de la créature, elles substituent volontiers les éternelles bienveillances du Créateur.

Oui, dit Gaston, Madeleine se repent, la femme

adultère pleure aux pieds du Christ, la femme du monde se fait dévote.

-Eh! mon Dieu, oui!... et toutefois, rendons justice à ces mobiles natures qui savent si bien passer de la terre au ciel, et du ciel à la terre, sans que ce double sentiment soit jamais affaibli dans leur âme. Prier, n'est-ce pas aimer? vouloir oublier, n'est-ce pas se ressouvenir?... et voilà pourquoi sans doute, la femme prie avec beaucoup plus de ferveur que l'homme, et cherche souvent à oublier plus vite. La religion et l'amour sont chez elle les seuls instincts dont la force l'emporte sur son intérêt personnel, parce que le premier effet de leur puissance est de la transporter hors d'elle-même, de placer son existence et son bonheur dans une individualité étrangère à la sienne.

Ce que les femmes aiment, ce qu'elles adorent sur la terre comme dans le ciel, est toujours quelque chose d'invisible. L'amante, aussi bien que la dévote, ne vit et n'aspire qu'à vivre pour l'objet aimé; elle s'en fait un héros qui a ses admirations, un Dieu qui a ses prières, et c'est ainsi qu'en mêlant sans le savoir les choses de la terre aux choses du ciel, elle arrive tout innocemment à confondre, sans impiété, dans une même pratique, les rêves religieux de son âme avec les voluptueuses aspirations de son cœur... C'est le double instinct, très-naturel à la femme, qui

nous fait comprendre, sans les blâmer, les étranges contradictions de Mme Chantal et le tendre mysticisme de Mme Guyon; car pour les femmes pieuses, il y a de la religion dans l'amour et de l'amour dans la religion. Aussi, lorsque j'étais à l'âge où les passions parlent plus haut que la raison, j'étais toujours assuré de la victoire, lorsque j'assiégeais le cœur d'une dévote. Une femme mondaine résiste par préjugé ou par devoir; une dévote cède par analogie, par prédisposition, et parce que l'amant n'a qu'à semer l'amour terrestre dans un cœur préparé par l'amour divin. Toutes les prêtresses de l'antiquité ont fait jaser d'elles.

Au détour de la rue, ils rencontrèrent un homme grave, qui marchait avec une certaine majesté, portant des papiers sous son bras.

-Ah! je reconnais ce monsieur, dit Gaston : c'est celui qui siégeait tout à l'heure au fauteuil du ministère public... Sur son front pâle et dénudé on lit les austères pensées qu'il roule dans son âme. De tels hommes ont dû sacrifier leur bel âge à l'étude de leur spécialité: hélas! ils n'ont pas eu de jeunessse! Ils naissent tout venus, comme certains champignons: ce sont les cryptogames du travail.

Connaissez-vous rien de plus gracieusement charmant, interrompit le baron, qu'un essaim de robes blanches surmontées de capotes bleues cou

ronnées d'ombrelles roses?... Et tout cela courant, folâtrant, voltigeant et gazouillant dans les hautes herbes de Saint-Cloud et de Verrières, comme autant de petits colibris babillards, auxquels il, ne manque que la sauvagerie pour être oiseaux ?... Oh! la douce et bonne chose que les champs au mois de mai et à vingt ans !... Comme la brune Amanda y oublie bien vite les six jours de couture et d'ennui! Comme la blonde Céline s'y venge des infidélités d'Arthur, et comme la fière Adèle y défie Oscar de l'abandonner pour Clorinde!... et quels repas somptueux au coin des bois, à l'ombre des lilas parfumés, dans cette solitude à deux, à quatre, à six, à huit, loin des créanciers, loin du quartier latin, et le long de ces rideaux verdoyants, où toute espèce de cervelas à l'ail se change en dinde truffée, où toute sorte de bouteille de liquide à six se métamorphose en flacon de vin de Champagne mousseux! Oh! la joyeuse époque que celle du veau froid dans les pots à confiture, et de l'amour dans l'inconstance !... c'est l'époque des gais souvenirs, des radieuses espérances! Le temps où tous les hommes graves d'aujourd'hui poursuivaient le bonheur dans les coucous de Romainville et dans les pataches de Montmorency; où l'on vendait son habit noir pour acheter une jaquette de coutil, et où l'on mettait sa montre au mont-depiété, avant de partir, afin d'oublier l'heure du re

tour!... Tous les Arthurs d'alors, les voici : c'est cet homme grave qui passe : ils sont aujourd'hui quelque chose comme procureurs impériaux, notaires, banquiers ou conseillers d'État. Tous les Oscars et les Ernests se sont couchés, un soir, dans le doux rêve de leurs charmantes folies, pour se réveiller le lendemain, après la thèse passée, dans la réalité de la froide raison! O Arthur, ô Oscar, qu'êtes-vous devenus?... Le Temps, Rabelais l'a dit, est grand

faucheur de fleurettes; il ferait Ninon dame de charité et Déjazet sœur de Sainte-Camille; il vous a tous faits bien pis encore... il vous a naturalisés provinciaux ; il vous a infligé le droit de bourgeoisie dans des villes de trois mille âmes, où vous êtes forcés de donner l'exemple et de prêcher la morale au nom de ce code, dont jadis vous faisiez de si joyeuses cigarettes pour Céline, Adèle et Amanda! Que la toque Vous soit légère!

Plus loin, ils virent M. Arthur Plumichet se croiser fièrement avec M. Rabichon sans se saluer, et en se toisant de l'œil, comme deux coqs anglais prêts à livrer bataille; à dix pas de là, ils aperçurent M. Pacifique Ledoux faisant une grimace à M. Corniquet, et Mlle Balbine de Saint-Landry regardant de travers Mme Faustine Rigollot, sa rivale en poésie. Puis Mme Rabichon sortant de faire son compte chez le traiteur, et lançant un regard de vipère enceinte à sa

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