Page images
PDF
EPUB

Adopté! cria-t-on, mais soyez bref. -Lorsqu'un grand homme mourait à Athènes... Au fait!.. au fait !... hurla l'auditoire.

[ocr errors]

Alors, je descends de quelques siècles... Lorsque l'empire romain tomba au pouvoir de Constancius Chlorus et de Galerius, deux nouveaux Césars furent créés, en leur place, par les empereurs qui se dépossédaient; les Gaules, l'Espagne et la Grande-Bretagne...

Au fait!... aux voix!... la clôture!... à bas le Montesquieu!

Le président frappa sur sa bouteille et dit, en s'adressant à moi :

[ocr errors]

Vous demandez l'enveloppe mortelle de votre ami?... Répondez oui ou non.

[ocr errors]

Oui!

- Pour lui rendre ce que vous appelez les honneurs funèbres?

[ocr errors][merged small]

La Cour va délibérer; passez dans la pièce à colé.

J'aime mieux ça! dit M. Martial-Napoléon de Saint-Maur.

Je vous avoue, cher ami, que je ne pus m'empêcher de rire, en me demandant si c'était ainsi que cette insoucieuse jeunesse se préparait au grand art de guérir l'humanité; mais on ouvrit une porte qui se referma sur nous : nous nous trouvions

dans l'amphithéâtre de dissection, dans la salle des

morts...

Qu'est-ce que cela? fit Gaston, en laissant tomber son cigare.

-

Vous allez le savoir, répondit le baron, en lui présentant un autre panatellas.

CHAPITRE XXX.

Manière de ressusciter les morts et de faire mourir les ressuscités. Le meilleur médecin. Temps d'arrêt.

-

Le jour entrait à peine dans cette espèce de caveau humide, qu'une odeur pénétrante de sang et quelques lambeaux épars de chair humaine faisaient ressembler au hideux charnier d'un abattoir. Des cadavres d'hommes et de femmes gisaient étendus sur des tables ensanglantées, et je me rappellerai toujours l'impression que produisit sur mon esprit, déjà excité par les scènes précédentes, la vue d'un énorme rat qui s'enfuit, à notre brusque entrée, en traînant un débris sanglant, reste informe que son ancien possesseur aura bien du mal à récupérer, lors de la grande revue de la vallée de Josaphat...

Et vrai, mon cher ami!... la position était étrange, excentrique. Là, à côté, des éclats de la plus stridente gaieté; ici, le silence éternel, la tristesse morne

et sans écho; là, la vie avec ses rayonnements d'ivresse, de folie, de jeunesse et de mouvement; ici, la mort avec son muet linceul, ses sombres et ternes reflets, ses froids et pesants attributs!...

Nous contemplâmes, un instant, cet émouvant spectacle sur une table de pierre, je remarquai un cadavre; c'était celui de notre ami, celui que nous venions réclamer; il était intact et le scalpel avait épargné ses suprêmes insultes à ce pauvre jeune homme moissonné avant l'âge; ses yeux, à demi fermés, n'avaient rien de ce mat horrible qui glace le glauque regard des morts; sa moustache brune tombait sur ses lèvres décolorées, et je reconnus la place où mon épée, il y avait bien longtemps déjà, avait imprimé une cicatrice sur la poitrine, ce qui nous avait faits amis jusqu'à la mort... hélas ! et plus loin encore, comme vous le voyez... Et, malgré l'horreur du spectacle, étrange mystère que le cœur humain!- nous nous mîmes tous à rire, en pensant au contraste établi entre les deux chambres adjacentes... Qu'est-ce que la mort? nous disions-nous, en admirant le calme peint sur le visage du cadavre... La mort, c'est le plus doux, le plus paisible sommeil que l'homme puisse goûter; c'est la cessation de toutes les douleurs physiques et morales... et, que sont, après tout, les regrets, les larmes dont on honore, dont on étourdirait peut-être, s'il pouvait les ouïr, l'homme qui en est l'objet ? Tout cela, néant et dérision! néant, comme tout ce qui est!... heureux

[ocr errors]

et raisonnables sont ceux qui, comme ces jeunes fous, rient et chantent sur les tombes, boivent et s'enivrent sur les cadavres ; car la mort est un épouvantail dont on n'a peur que par préjugé, que par tradition: qu'on s'accoutume à l'idée de mourir, comme à celle de boire et de dormir, et...

- Et voilà le hic! me fit judicieusement observer un de mes camarades.

- Et cependant, m'écriai-je, il nous faut ce cadavre !

Vous l'aurez! cria, en entrant, un des carabins qui venait nous chercher.

Nous rentrâmes dans la première pièce... Encore une fois, le président frappa sur sa bouteille et dit, avec le plus grand sérieux du monde :

- Considérant que la demande des officiers ici présents est basée sur un sentiment noble et généreux; considérant que l'amitié est aussi, chez nous, le lien sacré qui nous unit dans nos réunions bachiques et que, si l'un de nous faisait la sottise de se laisser mourir, nous ne serions pas fâchés de l'inhumer honnêtement, ne fût-ce que pour faire une dernière et pieuse libation à sa santé, comme c'est l'antique usage; considérant, d'autre part, que les carabins sont frères du soldat, puisque tous ont été organisés pour tuer régulièrement et légalement; accordons le cadavre demandé, aux conditions suivantes : 1o Les demandeurs resteront avec nous, toute la journée, afin d'aider leurs juges à consommer

[ocr errors]
« PreviousContinue »