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qu'une chose, c'est qu'on appelle cet apôtre... MONSIEUR LE CURÉ.

Voilà les hommes qui accomplissent véritablement la grande et imposante mission!... Voilà ceux qui ont vraiment été utiles à l'humanité !... Ce sont ceuxlà que les Turenne, les Vauban, les Fabert et les Condé ont honorés à l'égal des grands capitaines, sachant bien que ces courageux soldats de l'Évangile remportaient d'aussi utiles victoires avec la croix que d'autres avec l'épée. Et qui sait ce que le cœur de ces obscurs héros de l'Église militante renferme de mystères connus de Dieu seul? Qui connaît leurs luttes secrètes, leurs combats ignorés, leurs découragements ou leurs victoires? Oh! il y a parfois tout un long poëme dans l'existence, en apparence si calme, de ces hommes à l'œil limpide et doux; leur sécurité ne leur vient pas de la terre, et si leur front semble paisible, c'est qu'ils sont un peu comme l'azur du ciel, qui peut rester pur malgré les agitations d'ici-bas.

Le baron avait prononcé ces paroles avec le feu d'un saint enthousiasme, et Gaston regardait avec étonnement cet homme qui, semblable au Protée de la Fable, avait le don de lui apparaître sous mille formes différentes tantôt croyant, tantôt athée, pieux ou impie... et, comme il gardait un silence qui dénotait sa stupéfaction, le baron reprit :

- Vous êtes étonné, mon ami, de me voir proférer des paroles aussi édifiantes; mais, tout diable que

vous me croyez, soyez certain que je n'en suis pas moins orthodoxe, et vous allez en juger...

Dans une excursion que je faisais, il y a bien longtemps déjà, sur les bords de la mer, non loin du Tréport, je m'arrêtai pendant une journée chez le curé d'un petit hameau perdu dans les sables, et que les géographes ont peut-être oublié de mentionner sur leurs cartes dédaigneuses. Le presbytère, sorte de cottage enfoui dans les falaises, dans la verdure et dans les flots, m'avait séduit par son aspect véritablement pittoresque; et j'ajoute que, par le plus heureux des hasards, le vieux prêtre qui l'habitait se trouvait être précisément un de mes anciens amis, mon meilleur ami, puisqu'il avait été mon confesseur. Pour les hommes de croyance et de foi, il y a dans ces rencontres fortuites, après les longs jours de l'absence, une indicible félicité que viennent sanctifier les douces souvenances du passé; il y a alors d'intimes émotions qui se réveillent dans le fond du cœur, comme lorsqu'on retrouve un ami qu'on croyait disparu, soit dans la mort, soit dans l'oubli. Ce fut donc et pour le vieillard et pour le jeune homme un de ces jours aimés où tout est joie et soleil, souvenir et espérance; où, remontant tous deux par la pensée vers les heures si fugitives écoulées dans l'étude et la prière, nous repassions ensemble toutes les péripéties de ce drame qu'on nomme la vie... Sa vie à lui, saint prêtre de Dieu et sujet fidèle du roi, ç'avait été la persécution, presque l'exil, puis, après

tout, la résignation et le pardon des offenses. La mienne à moi, je la lui racontai comme autrefois, comme au temps où il répondait à chacun de mes aveux par le conseil et l'absolution;... comme autrefois aussi sa voix me conseilla, puis sa main me bénit.

Nous eûmes bientôt parcouru et visité tout son petit domaine enclos de haies vives et dans lequel Dieu avait fait éclore plus de fruits que de fleurs. Une vieille servante, un chien fidèle, deux ou trois couples de pigeons domestiques et une poule entourée de ses poussins, telle était la paisible famille au milieu de laquelle ce bon vieillard oubliait les splendeurs envolées de son brillant sacerdoce, et nul moins que moi sans doute, pas même sa pieuse et naïve compagne, ne se doutait que cet homme si simple, si obscur aujourd'hui, avait été l'un des plus illustres orateurs sacrés de son ordre... On a dit que l'humilité était une vertu chrétienne; je crois, avec Bossuet, qu'elle est bien plutôt une essence du catholicisme.

Il y avait toutefois chez ce pauvre curé une chose qui tranchait par son luxe sur toutes les autres; c'était sa bibliothèque. Là, on retrouvait toutes les plus précieuses créations de l'esprit humain : historiens, poëtes, orateurs, théologiens; en un mot, tout ce qui constitue le fond d'une bibliothèque sérieuse était là occupant la seule salle un peu vaste du presbytère... J'admirais, depuis un moment, ce trésor

dont j'étais loin de soupçonner l'existence en pareil lieu, lorsque ma vue tomba sur un petit corps de bibliothèque isolé et dont les rayons en palissandre incrusté d'ivoire étaient chargés de brochures toutes reliées en noir cette particularité était d'autant plus remarquable que presque tous les autres volumes offraient des couvertures bigarrées de diverses couleurs.

:

J'en fis tout haut la remarque, et mon curé répondit à ma curiosité en prenant une des brochures qu'il me présenta. Je l'ouvris et vis qu'elle avait pour titre Office des morts... Il m'en présenta une seconde, puis une troisième et presque toutes enfin, et je fus plus étonné qu'auparavant quand je m'aperçus que toutes portaient le même titre et étaient le même ouvrage absolument semblable, renfermant la messe des morts, les vêpres, les matines, les laudes, etc., etc.

« Vous paraissez étonné, me dit-il enfin, de me voir donner ainsi la place d'honneur à tous ces petits livres qui, tous ensemble, n'ont peut-être pas coûté dix francs?... Mais, pour moi, pour mon cœur, ces quelques brochures grossièrement imprimées ont un prix bien supérieur à celui de toutes ces pompeuses éditions qui brillent autour d'elles. J'appelle cette petite collection de brochures ma bibliothèque commémorative, parce que, en effet, dans chacun de ces volumes est déposé un souvenir qui, bien souvent, éveille en moi la mémoire des choses éteintes, et que

čes pages sont pour mon âme comme ces vases mystérieux d'où s'échappent parfois les suaves émanations de parfums ignorés. J'ai longtemps habité un pays où l'usage veut qu'à chaque enterrement on distribue aux assistants un de ces petits livres noirs où se trouve l'office complet des funérailles; comme prêtre, et souvent, hélas! comme ami, il m'a fallu conduire bien des cadavres à la fosse où viennent s'effeuiller toutes les roses de la vie. Il m'a fallu, moi, pauvre âme détachée de toutes les âmes d'ici-bas, pleurer et prier sur bien des tombes entr'ouvertes... et je pleurais et je priais, mon fils; car parmi tous ces livres funèbres, il en est peu qui ne rappellent à ma mémoire une triste et mélancolique souvenance. A la première page de ces brochures, vous voyez que ma plume a inscrit le nom de chaque défunt, avec la date de sa naissance et de sa mort : joie et tristesse, sourire et larmes, heur et malheur !... Et quand, parfois, je me trouve dans un de ces moments où l'âme inquiète a besoin d'amertume et de rêverie! quand il faut une pâture à cette imagination que saint Augustin appelle l'ennemie du logis, alors je prends au hasard le premier venu de ces livres, et sur cette première page, sans jamais la retourner, mon cœur lit bien des volumes tracés par le souvenir, bien des drames lugubres avec leurs nœuds, leurs péripéties et leurs dénouements qui sont tous la mort; car, mon fils, il n'est ici-bas qu'une seule vérité vraiment vraie,

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