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sont pas fâchées de rêver au bonheur prochain d'une maturité anticipée. De plus, ce brave dieu, se rappelant que Mahomet avait trouvé un puissant point d'appui dans le dogme de la pluralité des femmes, s'est demandé pourquoi il ne renverserait pas le principe de l'islamisme, et s'il n'aurait pas un bien plus solide levier dans la promulgation d'une loi autorisant la pluralité des hommes?... C'était accaparer, d'un seul coup de filet, tout ce qui porte une âme sensible, une tête tant soit peu volcanisée et une constitution convenablement prédisposée. Il s'est dit que le cœur féminin est un coffre-fort qui n'a qu'une clef qu'on ne donne qu'une fois, mais qui peut fort bien se prêter souvent; que le mariage est une pièce de monnaie frappée à l'effigie d'un seul, mais qu'on met en circulation au profit de tous; et alors il a décrété un immense harem dont les femmes sont les sultans et dont il est, lui, le premier favori; il s'est réservé, pour lui seul, le droit exceptionnel d'aimer au pluriel, et, en sa qualité de tout-puissant, il s'acquitte assez bien jusqu'ici des fonctions fort complexes de ses nombreux devoirs.

- Quoi! fit Gaston fort scandalisé, c'est dans ce but?...

-Oh! ce côté-là est l'agréable, mais l'organisateur n'a pas oublié l'utile: à la porte figure un tronc dans lequel chaque adepte verse son offrande en quittant le sanctuaire, car ici c'est comme à la foire, on ne paye qu'en sortant si on est content, et il pa

raît qu'on l'est toujours, car les profits du culte permettent à ce dieu de vivre d'une façon assez confortable. Il y en a qui se font ingénieurs, cordonniers, magistrats ou marchands d'allumettes chimiques, car item il faut vivre : lui, a trouvé plus simple et moins coûteux de se faire dieu tout de suite, et il rend justice à sa condition en s'avouant à lui-même que le métier est lucratif... quoique fatigant; aussi songet-il parfois à s'adjoindre deux ou trois sous-dieux qui pourraient l'aider dans l'exercice de son terrestre ministère.

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Quelle est la jeune femme au nez retroussé qui l'aidait dans ses invisibles mystères du tabernacle, et qui vient d'entrer avec lui?

C'est la prêtresse de service; chacune a son jour, et dès qu'elles ont été honorées de cette secrète initiation, elles deviennent sacrées; de fleurs qu'elles étaient elles passent fruits et on les nomme en langage mystique Sirva... Depuis six mois que la religion marche, le dieu a fait trois cent quarantecinq sirvas.

Les dieux sont grands! dit Gaston en s'inclinant.

En cet instant, le susdit dieu qui était resté comme plongé dans un océan de réflexions, et qui semblait se complaire silencieusement dans la contemplation de sa majesté, leva lentement les yeux, secoua sa brune et luxuriante chevelure, puis promena sur toute cette féminine assemblée le velours chatoyant

de son regard. Une sorte de fascination s'empara des adeptes, les joues s'empourprèrent, les poitrines poussèrent de tendres roucoulements et les fruits de quarante ans. parurent l'emporter sur les fleurs de dix-huit dans cette subite inhalation de l'Esprit inspirateur. Celui qui soufflait ainsi sur les âmes tint, à son fervent auditoire, au discours tel que Gaston, jeune homme fort moral, se crut obligé de se boucher les oreilles, ainsi que le sage Ulysse, son modèle, l'avait fait à son passage, près de Charybde et Scylla. Il entendit donc peu ou point de la passionnelle homélie, et il serait, dès-lors, difficile à l'historien de raconter les détails dogmatiques de cette séance.

Gaston fut tiré de son isolement volontaire par un geste mystérieux que fit le dieu. Ce geste consistait à agiter au-dessus de l'assistance un mouchoir consacré par certains signes cabalistiques. Tous les yeux bleus et noirs se tendaient vers ce bienheureux mouchoir, et, enfin, le dieu le laissa tomber sur la tête d'une jeune fleur blonde, au grand désespoir des fruits châtains; la jeune fleur s'en fit comme un voile, se leva lentement et suivit le dieu qui rentra avec elle dans le tabernacle, dont la porte se referma sans bruit.

-Ce sera, dit le baron, la trois cent quarantesixième sirva.

-Les dieux sont de plus en plus grands, répondit le jeune homme.

La porte s'ouvrit avec fracas, et Gaston reconnut le

même commissaire qu'il venait de voir dans la maison de jeu. Son entrée ne produisit point un effet pareil à celui dont il avait été témoin; personne ne songea à s'enfuir, et l'aspect de l'écharpe tricolore n'effraya aucun des adeptes. Seulement, lorsque le magistrat, qui paraissait connaître les êtres et détours du temple, se dirigea vers le tabernacle, toute l'assistance en masse se jeta sur la porte pour en défendre l'entrée... Jeunes et mûres, jolies et douteuses, fleurs et fruits se précipitèrent, faisant un rempart de leurs corsets, de leurs crinolines et des mille autres boucliers dont la nature a amplement fourni la plus dodue moitié du genre humain. Le commissaire, aidé de son escouade, perça victorieusement ce bataillon sacré, et lorsqu'il porta la main sur la clef du tabernacle, un cri d'horreur jaillit de toutes les bouches et les mots : sacrilége! anathème ! tombèrent drus comme grêle sur le fonctionnaire public, qui, malgré la gravité de sa mission, avait bien du mal à ne pas éclater de rire.

Enfin, force resta à la loi, la porte fut ouverte, le commissaire entra; mais le baron, entraînant Gaston vers le palier, profita, comme il l'avait déjà fait dans la maison de jeu, du tumulte général, pour s'esquiver; en descendant l'escalier, ils aperçurent une longue robe blanche qui disparaissait derrière une petite porte.

Le Dieu est sauvé! dit le baron, il avait une porte dérobée à son tabernacle.

Et où donc se réfugie sa divinité ? demanda Gaston.

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Dans l'endroit où Calvin trouva la mort et où M. Domange trouve la fortune !...

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Les dieux ne sont pas toujours grands et tous ne sont pas en bonne odeur! fit le jeune homme en descendant de ce paradis perdu.

-Eh bien! jeune théïste, que vous disais-je ? lui dit le baron, lorsqu'ils furent redescendus dans la rue, vous ne vous attendiez certes pas à trouver ici même un cinquante millième dieu qui succède à tant d'autres; et pourtant Paris, en ce moment, en compte quatre autres à ma connaissance. Ce que vous venez de voir n'est pas une plaisanterie; ce Dieu existe, il a son dogme, son culte, ses mystagogues, ses religionnaires, ses dévots et ses fanatiques; ce n'est pas une histoire inventée à plaisir, et, il y a huit jours, les tribunaux avaient à juger un autre dieu qui, sous prétexte que l'Être suprême ne doit de compte qu'à lui-même, refusa de répondre aux interpellations du président qui lui demandait son âge : il fut condamné, en correctionnelle, à quinze jours de prison et à vingt-cinq francs d'amende. Il avait rêvé le martyre et n'obtint que le ridicule.

Eh quoi! dit Gaston, il y a donc des âmes assez crédules pour se prêter à d'aussi absurdes jongleries, et comment peut-il se faire que de telles folies aient cours dans le progrès moderne ?

- Voulez vous, reprit le Boiteux, vous faire une

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