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- Mais, objecta Gaston, il en est sans doute qui trouvent, dans toutes ces horreurs mêmes, un motif de repentir et des aspirations à bien faire.

-Sans contredit. L'homme n'est pas si profondément dépravé, que la voix de sa conscience ne vienne, parfois, crier au fond de son cœur; mais, voyez ce qui advient alors: éloigné du foyer du vice et sorti de l'abîme où hurlent toutes ces immoralités contagieuses, le voici qui se prend à rougir de sa dégradation; le remords l'ébranle, le repentir l'émeut; il a honte de sa faute; des pleurs coulent de ses yeux, une bonne pensée luit dans son âme, une ferme résolution la fortifie; il redresse son front, qu'illumine l'espérance, il se lève, boucle ses sandales, ceint ses reins, prend son bâton de voyage et repart sur le chemin de la vie; c'est un nouvel homme, qui a dépouillé les hideux haillons de son passé; il marche, il s'avance dans la société: place à lui, place au soleil et au banquet commun!, c'est un frère, c'est un enfant prodigue qui revient au foyer natal: tuez le veau gras, soyez heureux; car votre Dieu a dit : « Il y aura plus de joie dans le ciel pour un coupable qui reviendra, que pour quatre-vingtdix-neuf justes qui seront restés! »

Mais voici que le monde, quand il n'a pas imprimé sur son épaule, à l'aide d'un fer rouge, la marque indélébile de sa honte, s'empresse de coller sur tous ses murs une large et voyante affiche, où brillent les nom, prénoms, qualités, signalement, signes particu

liers et adresse du libéré; il le sépare, il le séquestre du reste de ses frères, lui interdit l'estime, l'excommunie, le déclare ladre et lépreux, et le biffe du grand livre de l'humanité... Le vent, ce souffle du Créateur, plus juste que la créature, - enlève l'affiche et la disperse en lambeaux; l'âge et le chagrin ont modifié les traits de ce paria; il peut donc espérer que le signalement du criminel ne va plus s'appliquer au visage de l'homme repentant... Oh! le monde a prévu cette chance de réhabilitation naturelle; à l'aide d'une mesure de surveillance, il s'est arrangé de façon que, chaque mois, chaque semaine, chaque jour et chaque heure, le passé de cet homme soit ressuscité et ravivé; c'est l'ignominieuse aftiche qui se recolle périodiquement sur le mur de la publicité, et le libéré se retrouve constamment attaché au carcan de l'infamie et au pilori du mépris collectif. La mythologie antique avait deviné le forçat libéré, lorsqu'elle força Sisyphe, échappé des enfers, à rouler sans cesse un bloc énorme au haut d'un rocher escarpé d'où, sans cesse et toujours, il retombait pour l'écraser.

Alors, signalé, chassé et repoussé, pour lui, ni travail, ni secours, ni pitié, ni aumône; poursuivi, traqué comme un chien pris de rage, il s'irrite, s'arrête, se redresse, et, se souvenant des enseignements du bagne, il finit par se jeter sur cette société qui lui donne la chasse, et, d'un fautif vous faites un criminel, d'un voleur un assassin et d'un affamé

de pain un affamé de sang! Voici votre rat passé hyène !

Gaston, tout ennemi qu'il fût du paradoxe, ne put s'empêcher de s'avouer à lui-même qu'il y avait du vrai dans l'argumentation du vieillard, et il marchait, baissant la tête et gardant un silence qui accusait la profondeur de ses réflexions... Un bruit se fit entendre, il leva la tête et vit, avec effroi, que d'une fenêtre du troisième étage tombait un corps humain qui venait s'écraser à ses pieds, sur le pavé. Le baron qui se préparait à allumer un second cigare, se précipita vers la place où gisait cette masse inerte qui ne présentait plus qu'un amas de chair et de sang. Quelques personnes sortirent de la maison en poussant des cris et des gémissements, et on ne releva qu'un horrible cadavre... C'était celui d'une jeune femme! Un homme presque nu accourait donnant les signes du plus violent désespoir. Il se tordait les mains, s'arrachait les cheveux, et le baron, aidé de Gaston, eut bien du mal à le contenir, tandis que l'on emportait le cadavre dans la maison.

Lorsqu'ils furent parvenus à s'en rendre maître et à le calmer, cet homme s'écria: Je l'aimais tant!... Voici quatre ans que je travaille à m'en rendre digne; pendant ces quatre années, ouvrier laborieux, citoyen paisible, fiancé respectueux, j'ai eu sans cesse devant les yeux le noble but auquel j'aspirais. Je voulais devenir tendre époux, bon père, honnête homme, travailleur utile; elle eut foi en mon avenir, elle me

dit je t'aime ! mit sa main dans la mienne, et, aujourd'hui même, Dieu et les hommes avaient sanctionné notre union. Elle était ma femme et je la mé. ritais!...

A ces mots, comprenant sans doute mieux encore toute l'horreur de la perte en la comparant au bonheur de la possession, le malheureux se mit à pousser des cris qui étaient de véritables hurlements; dans le paroxysme de sa rage, il échappa aux mains qui le retenaient, et, comme pris de vertige, il tourna deux fois sur lui-même, s'arrêta une seconde et se précipita contre l'angle du mur où sa tête se brisa, laissant jaillir des flots de sang et de cervelle. Le baron courut à lui; il était trop tard, et quand il se baissa pour relever ce nouveau cadavre, il vit que sa chemise s'était déchirée à son épaule; alors, faisant signe à Gaston, il lui dit :

Ne semble-t-il pas que le destin ait voulu fournir le corollaire de mes assertions. Voici un homme devenu honnête; il était parvenu à cacher les plaies de son passé sous le voile d'un présent honorable; aujourd'hui, il touchait le prix de ses nobles efforts, il épousait celle qu'il aime et voilà qu'en entrant au lit nuptial, un accroc fait à cette toile révélé à la fille candide l'horrible secret qu'elle ignorait; elle aussi a fait comme le monde, et ne pouvant chasser le paria, elle a choisi le chemin de plus court pour rompre une union qu'elle regardait comme infamante. Elle s'est jetée par la fenêtre.

Quoi!... cet homme! s'écria Gaston, en se penchant vers le cadavre.

Voyez, dit le baron en allongeant le doigt.

Et le jeune homme vit sur l'épaule du mort, et gravé par le fer rouge du bourreau comme des stigmates éternels, ces deux lettres trop significatives: TF!...

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