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chissent du joug coûteux de la modiste et de la couturière, et se composent elles-mêmes des toilettes d'un goût exquis et dont l'élégance n'est point attestée, au bout du mois, par un certificat sur facture. Charmantes, vives et enjouées au bal, elles redeviennent sérieuses, laborieuses et économes à la maison, et ce que je vous dis là se fait sans acception de fortune et de position, depuis la fille de la duchesse jusqu'à la simple grisette, depuis l'héritière du banquier jusqu'à la fille de l'artisan ; c'est là ce qui constitue l'éducation parisienne moderne.

Quant à la province, ne l'accusons pas plus qu'elle ne le mérite: elle a de très-grands et de très-réels obstacles à vaincre pour arriver à de si précieux résultats. Peu ou point de ressources, au point de vue de l'instruction, pas de cours publics, de pitoyables pensionnats, des maîtres insuffisants, une pénurie désolante, sous le rapport des arts d'agrément, absence complète de bibliothèques, de musées et de collections scientifiques; tels sont les auxiliaires indispensables qui manquent à son bon vouloir; et puis, ajoutez à cet absence d'éléments la tyrannie de la mode, qui entraîne les provinciaux à ne trouver bien que ce qui est marqué de l'estampille parisienne. Il faut bien alors que la mère de famille, se sentant incapable de diriger elle-même l'éducation de sa fille, se décide à s'en séparer et l'envoie dans un pensionnat de Paris. Ma fille a fait son éducation à Paris!... tel est le grand mot, et une mère

croit avoir tout dit quand elle l'a prononcé, non sans orgueil... et c'est là précisément où est le vice capital; car autant l'éducation publique et commune des colléges est nécessaire au garçon, autant elle est nuisible à la fille. Ces pensions sont des sortes d'omnibus où l'on rassemble une centaine d'élèves, sans se préoccuper de leur rang ni de leur fortune. Qu'elles soient un jour destinées à épouser un prince ou un manufacturier, un millionnaire ou un employé d'administration, qu'importe ! on leur donne à toutes une même éducation; on les élève toutes sur le même plan, sur le même modèle, on les taille sur le même patron, comme si elles étaient toutes destinées à avoir cinquante mille francs de rente. Qu'advient-il? La fille de l'officier, celle de l'employé y apprend à singer la grande dame; son père meurt, et avec lui son traitement et sa pension. Que deviendra-t-elle avec sa sonate, sa romance, son feston et ses minauderies? il faudra qu'elle souffre, meure de faim ou se vende. C'est déplorablement évident, et elle eût appris autre chose en restant auprès de sa mère.

Et puis, ajouta Gaston, à quoi bon la peinture, la musique et toutes ces inutilités qu'on nomme des arts d'agrément et que je serais tenté d'appeler les désagréments de l'art?..... Ne sait-on pas que le piano, par exemple, ce supplice permanent de la société mo derne, est un ennemi d'enfance que toute jeune femme s'empresse de répudier le jour de son mariage?

- Et savez-vous pourquoi ? répliqua le baron,

c'est qu'il en est de la musique comme de toute chose, et qu'on se fatigue bien vite de ce qui exige des efforts et de la peine. Au lieu de faire du piano un travail, arrangez-vous de façon à en faire un plaisir, et on ne le délaissera pas. Faites en sorte que vos filles deviennent assez fortes musiciennes pour pouvoir déchiffrer une partition aussi facilement qu'elles lisent un roman, et, loin d'abandonner leur art, il deviendra pour elles un salutaire besoin, une charmante distraction. Vous fatiguez-vous de lire chaque matin votre journal ? vous admettez donc qu'une femme puisse chaque jour lire avec bonheur une page de Mozart, de Beethoven et d'Haydn. Il en est de même des sciences: au lieu de leur faire effleurer une foule de connaissances dont elles n'ont retenu que le nom, tout au plus, faites qu'elles approfondissent, qu'elles acquièrent et qu'elles sachent; au lieu de dresser des papillons qui sucent à peine les fleurs, faites des abeilles qui distillent le miel; vous aurez alors des femmes sérieuses, solides, savantes, sans pédantisme, dont la conversation raisonnée et attrayante saura un jour enchaîner l'époux au foyer conjugal. Vous en ferez des filles gracieuses, des femmes vraiment fortes, et surtout des mères capables d'élever leurs filles à leur hauteur. Hors de là, vous n'obtiendrez que de petites femmes lestes, pimpantes, sautillantes, sans fond, sans consistance, rêvant quadrilles et colifichets, s'ennuyant et ennuyant leurs maris, et se préparant un âge mûr sans com

pensation, et une vieillesse sans consolation relative.

Tenez, ajouta le baron en se retournant vers sa voiture, qui suivait au pas: vous voyez ces deux magnifiques chevaux anglais qui m'ont coûté quatre mille francs pièce; eh bien, si pour dresser la jeunesse française, les législateurs se donnaient la centième partie du mal que se donnent les éleveurs pour améliorer les races équinales, nous finirions par obtenir d'immenses résultats. Ces éleveurs se gardent bien d'éduquer un cheval de trait comme un cheval de course, un limonier comme un sauteur de manége, et ils s'en trouvent bien. Nous devrions les imiter, et il y a quelque chose à faire avec la palingénésie sociale.

CHAPITRE XVI.

La prostitution.- La femme honnête et... l'autre.

Tout en moralisant ainsi, le baron avait pris le bras de son jeune compagnon, et ils venaient de tourner la rue. Ils se préparaient à appeler leur cocher, lorsqu'une femme, vêtue d'une robe d'étoffe fort légère et surtout fort décolletée, passa près d'eux : elle n'avait pour toute coiffure que ses cheveux hardiment crêpés et relevés à la Marie Stuart; un châle de fabrique douteuse enveloppait ses épaules, de façon à laisser entrevoir tout ce qu'il était destiné à cacher : l'office de ce cachemire bâtard était, bien évidemment, devenu une sinécure. A l'aspect des deux hommes, cette femme fit un temps d'arrêt sur le trottoir, murmura, lorsqu'ils passèrent près d'elle, quelques mots que le baron seul entendit, sans y répondre, et reprit sa course, en voyant que son action avait été inutile.

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Voilà, dit Gaston de Chavrières, une jeune femme fort brave, mais fort imprudente, qui revient

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