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mieux; la femme a du bonheur pour jusqu'au point du jour, et nos deux hussards boiront demain en déjeunant à la santé d'Alcindor et d'Adélina. Il y a là pour quinze jours d'amour et d'amitié, après quoi le régiment partira pour quelque garnison lointaine. Adélina pleurera et Alcindor fera promettre à son ami de lui écrire souvent. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des ménages possibles.

Le baron et son compagnon se retrouvèrent sur le boulevard.

CHAPITRE XV.

Femme jolie et jolie femme.

La gênante maternité.

De l'éducation des filles.

C'est dommage! dit Gaston,car cette femme m'a paru charmante, et, si j'en crois le peu que j'en ai vu, elle est jolie.

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Vous avez mal vu, répondit le baron; ce n'est pas une femme jolie, c'est tout bonnement une jolie femme.

-C'est jouer sur les mots; car je ne comprends pas que l'adjectif, placé avant ou après le substantif, puisse considérablement modifier le sens de l'idée...

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— Cela le modifie du tout au tout, et je vais vous en convaincre. Une jolie femme, mon cher, peut être laide, car ce n'est pas sa figure qui constitue sa joliesse elle n'est ni chair ni os; elle est gaze, plumes, dentelles, crêpe, festons, falbalas, soie, cachemire et crinoline; enlevez tous ces accessoires, et il ne reste à la propriétaire que ce qui reste à l'enfant qui déshabille son poupart, un morceau de bois avec une tête à perruque. La jolie femme est une chose tout

artificielle, une nature toute factice, esclave de la mode, amoureuse du désœuvrement, et dans la composition de laquelle les cosmétiques, essences, pâtes, pommades et parfumeries entrent pour le moins autant quela matière première employée par le Créateur. C'est une sorte de salade vivante, à laquelle il ne manque ni huile, ni vinaigre... de toilette; c'est une figure de cire ou de sucre candi, dont l'histoire se rattache intimement à celle de la rubannerie, de la passementerie et de la couture. La jolie femme, a dit un profond observateur, ne naît pas de ses parents, fi donc !...' elle naît de sa maîtresse de pension, de son coiffeur, de sa femme de chambre, de sa couturière, de ses romans et de ses rêveries; c'est par leurs soins et leurs conseils, qu'après cinq ou six ans de séjour dans un pensionnat, la jeune fille en sort, à seize ans, bien bichonnée, pomponnée, crêpée, ballonnée, crinolinée, sachant festonner, polker, mazurker et minauder. Bref, pour le reste de ses jours, jolie femme et définitivement bonne... à rien... quand ce n'est pas à tout.

La jolie femme adore l'harmonie parfaite; aussi, petite au moral, elle l'est toujours au physique. Parlez-lui de son pied, c'est le plus petit du département; sa bouche, son nez, tout est mignon, excepté ses yeux qu'elle soutient être fendus en amande. Elle a un petit esprit, une petite santé, un petit appétit ;

1 Boucher de Perthes.

elle fait de petits cris, de petits sauts et se trouve mal au plus petit danger; si le petit dieu d'amour exauce ses petits voeux, il lui donnera, sans le moindre petit retard, un petit amant qui lui procurera de petits bonheurs. Sa vie se passe à combiner les nuances d'un ruban, la coupe d'un corsage ou la passe d'un chapeau. Sa grande affaire, c'est la toilette, et si, ce qui est rare, elle a le malheur d'avoir des enfants, elle ne les nourrit pas; non que la nature lui ait refusé le lait qu'elle donne à toutes les génératrices, mais parce que les nourrissons chiffonnent la dentelle et tachent le satin. Si elles accouchent elles-mêmes, soyez sûr que c'est parce que le progrès de la civilisation n'a pas encore découvert un procédé de parturition par procuration. Du jour où l'on pourra se faire suppléer en ceci, tenez pour certain que la jolie femme se procurera une accouchante, comme elle se procure une nourrice. Quant à son mari, son rôle serait une sinécure, si la jolie femme ne lui avait réservé les importantes fonctions de caissier, qui ne sont, à vrai dire, qu'un emploi de payeur en permanence.

Quelle est la croyance de la jolie femme? croit-elle au vice et à la vertu, au bien ou au mal, à la prose ou à la poésie, au ciel ou même à l'enfer! Mon Dieu, elle croit à la mode qui est sa religion, à la toilette qui est son culte, à l'élégance qui est son dogme, à Delisle qui est son dieu, à Laure qui est son grand prêtre, et à l'Opéra qui est son église; tout cela ne l'empêche pas d'aller à Notre-Dame de Lorette ou à

la Madeleine, pour faire prendre l'air à son chapeau; elle ne se refuse pas à faire la quête, parce que cela légitime une solennelle exhibition de rubans, de dentelles; elle a un confesseur, comme on a un KingCharles; un prie-Dieu, comme on a sa loge aux Italiens; et, si elle ne communie pas, c'est que cela dérangerait l'heure de son chocolat.

En amour, elle exige peu: elle n'oublie jamais que les amants sont un peu comme les enfants qui fripent les toilettes, et elle est de l'avis de cette marquise de Simiane qui disait : « Je me serais bien jetée à l'eau pour sauver ce pauvre chevalier; mais j'avais des bas de soie à coins d'or et j'ai craint de les mouiller. » Lorsqu'elle aborde la quarantaine, la jolie femme a un immense avantage sur la femme jolie ; comme sa figure n'a jamais été pour rien dans le charme de sa personne, la vieillesse ne peut rien ôter à sa puissance que lui font les rides?... elle ne les voit pas elle-même sous la couche épaisse de ses cosmétiques; le fard compense amplement les pertes de la fraîcheur, et l'Eau Berger donne à la chevelure tout le brillant de la jeunesse. C'est alors qu'elle bénit le ciel, s'il l'a rendue mère : elle aime à se faire voir avec son petit enfant, et c'est toujours le plus jeune qu'elle choisit pour cette exhibition : après l'avoir frisé, pomponné et musqué, elle en fait un accessoire. de sa propre toilette et le pendant du camélia de son bouquet de corsage. Quant à sa grande fille, soyez sûr qu'elle est à la pension ou chez sa grand'maman,

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