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de pensée que je viens d'indiquer n'avait pas entraînés jusqu'à son terme, les hommes du « pur » xvш siècle, les hommes à la d'Holbach, qui s'en tenaient à la púre négation, et qui se refusèrent à n'abandonner un culte que pour en embrasser un autre. Plus tard et la pure et simple négation, comme trop sèche et trop attristante; et le sentiment et la raison comme choses trop évidemment individuelles, et qui sont trop autres d'un homme à un autre, pour être de vrais liens des âmes, relligiones, et soupçonnées de n'être devenues des divinités que par un effort singulier et un coup de force d'abstraction, devaient cesser d'exercer un empire sur les esprits; et les hommes devaient, ou s'essayer à revenir à l'ancienne foi, ou se remettre en marche vers d'autres solutions encore ou expédients.

Mais il était important de marquer la dernière borne du stade parcouru par le xvIe siècle, et celle surtout où il a comme « tourné ». On a fait remarquer, et avec grande raison (1), que le xvi° siècle, à le prendre en général, et avec beaucoup de complaisance, avait eu une irréligion plutôt déiste, tandis que l'irréligion du xvi° siècle était athée. Cette vue est très ingénieuse et elle est presque vraie. La minorité irréligieuse du xvi° siècle nie Dieu;

(1) Vinet, Histoire de la littérature française au XVIII® siècle. Appendice: Les moralistes français au XVIIIe siècle.

la majorité irréligieuse du xv siècle, je n'ose-
rais trop dire croit en Dieu, mais aime à
y croire.
La raison c'est précisément qu'elle est majorité.
Tout parti qui réussit devient conservateur, et toute
doctrine qui a du succès, se moralise et s'épure et
s'élève autant que sa nature et son essence le com-
portent. Le succès est une responsabilité, et se
fait sentir comme tel. Une doctrine qui a des par-
tisans, à mesure que le nombre en augmente, sent
qu'elle a charge d'âmes, cherche à aboutir à une
morale, et à prendre au moins un air et une di-
gnité théocratique. C'est pour cela que la philoso-
phie du xvìo siècle, et d'assez bonne heure, mé-
nagea au moins le mot Dieu, sous lequel on sait
qu'on peut faire entendre tant de choses, et toujours
et de plus en plus transforma en véritables objets
de culte, sanctifia et divinisa les instruments mêmes
de sa critique, et les armes mêmes de sa rébellion.

Voilà comme le fond commun et l'esprit général du siècle que nous étudions. Quelle littérature en est sortie, c'est ce qui nous reste à examiner.

Ce pouvait être une admirable littérature philosophique; et c'est bien ce que les hommes du temps ont cru avoir. Il n'en est rien, je crois qu'on le reconnaît unanimement à cette heure. Il n'y a point à cela de raison générale que j'aperçoive. La faute n'en est qu'aux personnes. Les philosophes du

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XVIIe siècle ont été tous et trop orgueilleux et trop affairés pour être très sérieux. Ils sont restés très superficiels, brillants du reste, assez informés même, quoique d'une instruction trop hâtive et qui procède comme par boutades, pénétrants quelquefois, et ayant, comme Diderot, quelques échappées de génie, mais en somme beaucoup plutôt des polémistes que des philosophes. Leur combativité leur a nui extrêmement; car un grand système, ou simplement une hypothèse satisfaisante pour l'esprit (et non seulement les philosophes modernes, mais Pascal aussi le sait bien, et Malebranche) ne se construit jamais dans l'esprit d'un penseur qu'à la condition qu'il envisage avec le même intérêt, et presque avec la même complaisance, sa pensée et le contraire de sa pensée, jusqu'à ce qu'il trouve quelque chose qui explique l'un et l'autre, en rende compte, et, sinon les concilie, du moins les embrasse tous deux. Infiniment personnels, et un peu légers, les philosophes du xvIIIe siècle ne voient jamais à la fois que leur idée actuelle à prouver et leur adversaire à confondre, ce qui est une seule et même chose; et quand ils se contredisent, ce qui pourrait être un commencement de voir les choses sous leurs divers aspects, c'est, comme Voltaire, d'un volume à l'autre, ce qui est être limité dans l'affirmative et dans la négative tour à tour, mais non pas les voir ensemble.

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Aussi sont-ils intéressants et décevants, de peu de largeur, de peu d'haleine, de peu de course, et surtout de peu d'essor. Deux siècles passés, ils ne compteront plus pour rien, je crois, dans l'histoire de la philosophie.

Il était difficile, à moins d'un grand et beau hasard, c'est-à-dire de l'apparition d'un grand génie, chose dont on n'a jamais su ce qui la produit, que ce siècle fût un grand siècle poétique. Il ne fut pour cela ni assez novateur, ni assez traditionnel.

Il pouvait, avec du génie, continuer l'œuvre du XVIIe siècle, en remontant à la source où le xvii siècle avait puisé et qui était loin d'être tarie; il pouvait continuer de se pénétrer de l'esprit antique et même s'en pénétrer mieux que le XVII° siècle, qui, après tout, s'est beaucoup plus inspiré des Latins que des Grecs, maintenir ainsi et prolonger l'esprit classique français qui n'avait pas dit son dernier mot, et le revivifier d'une nouvelle sève.

Et il pouvait, décidément novateur, avec du génie, créer, à ses risques et périls, ce qui est toujours le mieux, une littérature toute nationale et toute autonome.

Il n'a fait ni l'un ni l'autre. Il a commencé par être novateur stérile; puis il a été traditionnel timide, cauteleux, servile, traditionnel par petite imitation, traditionnel par contrefaçon,

Il a commencé par être novateur. Il était nature

qu'il le fût en littérature comme en tout le reste, et qu'il repoussât la tradition littéraire comme toutes les autres. C'est ce qu'il fit. Fontenelle, Lamotte, Montesquieu, Marivaux, sont en littérature les représentants d'une réaction presque violente contre l'esprit classique français en général, et le xvII° siècle en particulier. Ils sont «< modernes »>, et irrespectueux autant de l'antiquité classique que de l'école littéraire de 1660. Et cela est permis; ce qui ne l'était point, c'était d'être novateur par simple négation, et sans avoir rien à mettre à la place de ce qu'on prétendait proscrire. Les novateurs de 1715 ne sont guère que des insurgés. Ils méprisent la poésie classique, mais ils méprisent toute la poésie; ils méprisent la haute littérature classique, mais ils méprisent à peu près toute la haute littérature. Si, comme font d'ordinaire les nouvelles écoles littéraires, ils songeaient à se chercher des ancêtres par delà leurs prédécesseurs immédiats qu'ils attaquent, ils remonteraient à Benserade et à Furetière. Esprit précieux et réalisme superficiel, voilà leurs deux caractères. « Roman bourgeois avec le Gil Blas, comédie romanesque et spirituellement entortillée avec les Fausses Confidences, croquis vifs et humoristiques de la ville, sans la profondeur même de La Bruyère, avec les Lettres Persanes, églogues fades et prétentieuses, fables élégantes et malicieuses sans un grain de poésie, voilà ce que

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