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EPITRE VI.

357

A M. DE LA MOIGNON,

AVOCAT GENERAL.

OUI,LAM OIGNON, je fuis les chagrins de

la Ville,

Et contre eux la Campagne eft mon unique azile. Du Lieu qui m'y retient veux-tu voir le Tableau ? C'eft un petit Village, ou plûtôt un Hameau, 5 Bâti fur le penchant d'un long rang de collines,

D'où

Cree petite Seigneurie près de la Roche-Guion, qui apartenoit à Mr. Dongois fon Neveu. Mr. de LAMOIGNON le Fils Avocat Général, lui écrivit une Lettre par laquelle il lui reprochoit fon long séjour à la Campagne, & l'exhortoit de revenir à Paris. Mr. Defpreaux lui envoya cette Epitre, dans laquelle il décrit les douceurs dont il joüit à la Campagne & les chagrius qui l'attendent à la Ville. On peut lire la Satire fixieme d'Horace, Livre fecond, qui eft fur le même fujet. Mr. CH RESTIEN FRANÇOIS DE LAMO.IGNON, à qui cette Epitre eft adreflée, étoit né le 26. de Juin, 1644. & il mourut le 7. d'Août, 1709. après s'être fait admirer fucceffivement dans les Charges d'Avocat Général, & de Préfident à Mortier.

a paner quelqué 77, she tau pe Ette Epitre a été composée en l'année 1677. après l'Epi

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VERS 4. C'est un petit Village, &c. ] Hautile, près de la Roche-Guyon, du côté de Mante à treize lieues de Paris. Dans toutes les éditions il y avoit à la marge: Hautile, proche la Roche-Guyon. Je fis remarquer à l'Auteur cette confonance vicieufe, proche la Roche, & il la corrigea dans fa derniere édition de 1701, La defcription qu'il a faite de ce village & des environs, eft très-exacte & d'après nature.

YERS

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D'où l'œil s'égare au loin dans les plaines voifines. La Seine au pié des monts, que fon flot vient laver, Voit du fein de ses eaux vingt Ifles s'élever, Qui partageant fon cours en diverses manieres, D'une Riviere feule y forme vingt Rivieres. Tous fes bords font couverts de Saules non plantez, Et de Noïers fouvent du Paffant infultez. Le Village au deffus forme un amphithéatre, L'Habitant ne connoît ni la chaux ni le plâtre. Et dans le roc, qui cede & fe coupe aisément, Chacun fçait de fa main creufer fon logement. La Maison du Seigneur, feule un peu plus ornée, Se prefente au dehors de murs environnée.

Le Soleil en naiffant la regarde d'abord; 20 Et le mont la défend des outrages du Nord.

C'eft

VERS 25. Tantôt, un Livre en main &c.] Illifoit alors les Effais de MONTAGNE, dont il marque le caractére par

ce vers:

J'occupe ma Raison d'utiles revêries.

En effet, Montagne donne lui-même à fes Ecrits le nom de Rêveries: Auffi moi, dit-il, je vois mieux que tout autre que ce font ici des rêveries d'homme qui n'a goûté des Sciences que la croûte premiere. L. I. ch. XXV.

VERS 29. Quelquefois aux apas. ] On croit que l'Auteur auroit dû mettre à l'apât: ce dernier mot ne se mettant au pluriel, que dans le fens figuré : les apas d'une Belle. IMIT. Ibid. Quelquefois aux apas &c.] Martial, I. Epigr. 56.

Et pifcem tremula falientem ducere feta.

C'eft-là cher LAMOIGNON, que mon esprit

tranquile

Met à profit les jours que la Parque me file.
Ici dans un vallon bornant tous mes defirs,

J'achète à peu de frais de folides plaifirs.

25 Tantôt, un Livre en main errant dans les prairies, J'occupe ma Raifon d'utiles rêveries.

Tantôt cherchant la fin d'un Vers que je conftrui, Je trouve au coin d'un Bois le mot qui m'avoit fui. Quelquefois aux apas d'un hameçon perfide, 30 J'amorce, en badinant, le poiffon trop avide;

Ou d'un plomb qui fuit l'œil, & part avec l'éclair, Je vais faire la guerre aux habitans de l'air. Une table, au retour, propre & non magnifique Nous prefente un repas agréable & ruftique. 35 Là, fans s'afsujettir aux dogmes du Brouffain,

Tout

VERS 31. Ou d'un plomb qui fuit l'œil, & part avec Téclair.] Il faut lire, fuit l'ail, & non pas, fuit, comme quelques-uns l'ont cru. La legereté & le fon de ce vers, expriment bien l'éclat & le promt effet d'un coup de fufil.

IMIT. Vers 33. Une table au retour &c.] Martial, I. Epigr. LVI.

Pinguis inequales onerat cui Villica mensas,
Et fua non emptus præparat ova cinis.

VERS 35.

Aux dogmes du Broussain. ] REN BRULART, Comte du BROUSSIN, fils de LOUIS BRULART, Seigneur du BROUSSIN & du RANCHER; & de MADELAINE COLBERT. Voyez la Remarque qui eft au commencement de la Satire troifiéme.

Tout ce qu'on boit eft bon, tout ce qu'on mange eft fain.

La maifon le fournit, la Fermiére l'ordonne,
Et mieux que Bergerat l'apétit l'affaisonne.

O fortuné Séjour ! ô Champs aimez des Cieux!
40 Que pour jamais foulant vos prez délicieux,
Ne puis-je ici fixer ma courfe vagabonde,
Et connu de vous feuls oublier tout le monde !
Mais à peine du fein de vos vallons chéris
Arraché malgré moi, je rentre dans Paris,
45 Qu'en tous lieux les chagrins m'attendent au paffage.
Un

VERS 38. Et mieux que Bergerat. ] Fameux Traiteur qui demeuroit à la ruë des Bons Enfans, à l'Enseigne des bons enfans.

IMIT. Vers 39. O fortuné séjour ! ô champs &c. ] Hora. ce, Livre II. Satire VI. v. 222.

O rus, quando ego te aspiciam ? quandoque licebit
Nunc Veterum libris, nunc fomno & inertibus horis
Ducere follicite jucunda oblivia vita?

VERS 46. Un Confin, abusant &c.] Ce Coufin fe nom. moit BALTAZAR BOILEAU. Il avoit eu des biens confidérables & entr'autres, trois Charges de Payeur des Rentes; mais ces Charges ayant été fuprimées, il étoit obligé de folliciter le remboursement de fa Finance : & il avoit engagé notre Auteur dans fes follicitations, fur tout auprès de Mr. Colbert.

IMIT. Vers 50. L'un demeure au Marais, & l'autre aux Incurables. ] Horace, Epître II. du Livre II. 68.

Cubat hic in Colle Quirini,

Hic extremo in Aventino: vifendus uterque ›

Intervalla vides humanè commoda.

Un Coufin, abufant d'un fâcheux parentage,
Veut qu'encor tout poudreux, & fans me débotter.
Chez vingt Juges pour lui j'aille folliciter.

Il faut voir de ce pas les plus confidérables.
50 L'un demeure au Marais, & l'autre aux Incurables.
Je reçoi vingt avis qui me glacent d'eftroi.
Hier dit-on, de vous on parla chez le Roi.
Et d'attentat horrible on traita la Satire.
Et le Roi, que dit-il? le Roi fe prit à rire.
55 Contre vos derniers Vers on eft fort en courroux :
Pradon a mis au jour un Livre contre vous,

Et

VERS $4. Le Roi fe prit à rire. ] M. le Duc de MONTAUSIER ne fe laffoit point de b amer les Satires de notre Poète. Un jour le Roi, peu touché des cenfures que ce Seigneur en faifoit, fe prit a rive, & lui tourna le dos. Quand l'Auteur recita au Roi cette Piece, Sa Majefté remarqua cet endroit fur tous les au res, & fe mit encore à rire de mémoire. Horace (1. Sar. II. 82.) comptoit auffi fur le fuffrage d'Augufle, en pareil cas.

Si mala condiderit in quem quis carmina, jus eft,
Judiciumque. Efto, fi quis mala : fed bona jî quis
Judice condiderit laudatur Cafare? Si quis
Opprobriis dignum latraverit, integer ipfe?
Solventur rifu tabula, tu missus abibis.

VERS 55. Contre vos derniers Vers, &c. ]. C'est l'Epitre VII. à Mr. Racine, qui avoit été composée depuis peu. Comme elle contient plufieurs traits faririques, elle avoit excité de nouvelles rumeurs fur le Parnaffe. Pradon fur tout qui y étoit nommé en mal, publia une Critique des Poëfies de Mr. Defpréaux, intitulée le Triomphe de Pradon. C'est Tome I.

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