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A l'afpect odieux des mœurs de cette Ville?

Qui pourroit les fouffrir? & qui, pour les blâmer,
140
Malgré Mufe & Phébus, n'aprendroit à rimer?
Non, non, fur ce fujet pour écrire avec grace,
Il ne faut point monter au fommet du Parnaffe,
Et fans aller rêver dans le double Vallon,
La colére fuffit, & vaut un Apollon.

145 Tout beau, dira quelqu'un, vous entrez en furie,
A quoi bon ces grands mots?Doucement,je vousprie:
Ou bien montez en Chaire,& là, comme un Docteur,
Allez de vos Sermons endormir l'Auditeur.
C'eft-là que bien ou mal on a droit de tout dire.

Ainfi

IMITATIONS. Vers 144. La colére fuffit, & vant un
Apollon. ] Juvénal en ce vers célébre, Sat. I. v. 79.
Si natura negat, facit indignatio verfum.
Regnier l'avoit ainfi traduit, Satire II.

Puis fouvent la colére engendre de bons vers.

Mais on voit combien l'expreffion de Mr. Defpréaux eft plus noble & plus animée.

CHANGEMENT. Vers 145. Tout beau, dira quelqu'un.] Dans les premiéres éditions il y avoit : Mais quoi, dira quelqu'un. VERS 154. Attend pour croire en Dieu, que la fiévre le preffe.] Ce vers défigne particuliérement le fameux DES-BarREAUX, qui, felon le langage de Bourfaut dans fes Lettres, ne croyoit en Dieu que quand il étoit malade. Pendant une maladie qu'il eut, il fit un Sonnet de piété, qui eft connu de tout le monde, & qui est très-beau ; mais quand fa fanté fut revenue, il defavoüa fortement ce Sonnet. Il commence par

ce vers:

Grand Dieu, tes jugemens font remplis d'équité, &c.
Voïez la remarque fur le vers 660. de la Satire X.
VERS 155. Et toujours dans l'orage,.] Au lieu de ce vers,
& du fuivant, il y avoit ceux-ci dans les premieres éditions

Et

150 Ainfi parle un Efprit qu'irrite la Satire, Qui contre fes défauts croit être en fureté, En raillant d'un Cenfeur la triste austérité :

Qui fait l'homme intrépide, & tremblant de foibleffe, Attend pour croire en Dieu que la fiévre le preffe ; 155 Et toûjours dans l'orage au Ciel levant les mains, Dès que l'air eft calmé, rit des foibles Humains. Car de penfer alors qu'un Dieu tourne le Monde, Et régle les refforts de la Machine ronde,

Ou qu'il est une vie au-delà du trépas,

160 C'eft-là, tout haut du moins, ce qu'il n'avoûra pas. Pour moi qu'en fanté même un autre Monde étonne, Qui crois l'ame immortelle,& que c'eft Dieu qui ton

ne,

Il vaut mieux pour jamais me bannir de ce Lieu.

Je me retire donc, Adieu, Paris, Adieu.

Et riant hors de là du fentiment commun,

Prêche que Trois font Trois, & ne font jamais Un.

Mais ces vers parurent trop hardis, & même un peu liber tins; aufli-bien que ceux-ci qui venoient un peu après:

C'eft-là ce qu'il faut croire, & ce qu'il ne croit pas ?

Pour moi, qui fuis plus fimple, que l'Enfer étonne. Mr. Arnauld les fit changer. Otex tout cela, lui dit-il, vous aurex trois ou quatre Libertins à qui cela plaira, & vous perdrez je ne sçai combien d'honnêtes-gens qui liroient vos Ouvrages

SDES MARETs avoit cenfuré ces quatre Vers: & rea marqué que celui-ci :

Prêche que Trois font Trois, & ne font jamais Un, font pris de l'Impie en la Comédie du Festin de Pierre. Du MONTEIL.

CHANGEMENT. Vers 157. Car de penfer alors. ] Dans les premieres éditions : il y avoit : Car enfin, de penser.

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SATIRE II

A. M. DE MOLIERE.

RARE & fameux Efprit, dont la fertile veine

Ignore en écrivant le travail & la peine;

Pour qui tient Apollon tous fes trefors ouverts,
Et qui fçais à quel coin fe marquent les bons vers;
5 Dans les combats d'efprit fçavant Maître d'efcrime,
Enfeigne-moi, MOLIERE, où tu trouves la rime,
On diroit, quand tu veux, qu'elle te vient chercher,
Jamais

L E fujet de cette Satire eft, la difficulté de trouver la Ri-
me, & de la faire accorder avec la Raifon. Mais l'Au-
teur s'eft apliqué à les concilier toutes deux, en n'emploi aut
dans cette Piéce, que des Rimes extrêmeinent exactes.

Cette Satire n'a été composée qu'après la feptiéme : ainfi elle eft la quatriéme dans l'ordre du tems. Elle fut faite en 1664.

La même année, l'Auteur étant chez Mr. Du Brouffin, avec Mr. le Duc de Vitri, & Moliere; ce dernier y devoit Jire une Traduction de Lucrèce en vers François, qu'il avoit faite dans fa jeuneffe. En attendant le diner, on pria Mr. Defpréaux de reciter la Satire adreffée à Moliere ; mais après ce recit, Moliére ne voulut plus lire fa Traduction, craignant qu'elle ne fut pas affez belle pour fontenir les louanges qu'il venoit de recevoir. 11 fe contenta de lire le premier Acte du Mifanthrope, auquel il travailloit en ce tems-là: difant, qu'on ne devoit pas s'attendre à des vers auffi parfaits & aufii achevez que ceux de Mr. Defpréaux ; parce qu'il lui faudroir un tems infini, s'il vouloit travailler fes Ouvrages comme lui.

VERS 17. Si je veux d'un Galant, &c.] Ces deux vers étoient ainfi :.

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Jamais au bout d'un vers on ne te voit broncher; Et fans qu'un long détour t'arrête, ou t'embarraffe, 10 A peine as-tu parlé, qu'elle même s'y place.

Mais moi, qu'un vain caprice, une bizarre humeur
Pour mes péchez, je croi, fit devenir Rimeur:
Dans ce rude métier, où mon esprit se tuë,

En vain, pour la trouver, je travaille & je fuë.
15 Souvent j'ai beau rêver du matin jufqu'au foir:
Quand je veux dire blanc, la quinteufe dit noir.
Si je veux d'un Galant dépeindre la figure,
Ma plume pour rimer trouve l'Abbé de Pure;
Si je penfe exprimer un Auteur fans défaut,

Si je pense parler d'un Galant de nôtre âge
Ma plume pour rimer rencontrera Ménage.

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La

Mais heureufement pour l'Abbé, Ménage, l'Abbé de Pure fit en ce tems-là des Vers contre notre Auteur. C'étoit une Parodie de la Seine de Corneille, dans laquelle Auguite confond Cinna après la découverte de fa conjuration; & dans cette Parodie, Mr. Colbert convainquoit Mr. Defpréaux d'être l'Auteur de quelques Libelles qui paroiffoient alors. Mr. Defpréaux n'étoit pas affuré que de Pure eût fait cette Parodie maligne ; mais il fçavoit bien que cet Abbé la diftribuoit. Pour toute vengeance d'une fi noire calomnie, notre Auteur fe contenta de mettre le nom de l'Abbé de Pure dans cette Satire, où il le traite ironiquement de Galant, parce que cet Abbé affectoit un air de propreté & de galanterie, quoi qu'il ne fut ni propre ni galant.

MICHEL DE PURE étoit de Lyon, où fon Pere avoit été Prevot des Marchands, en 1634. & fon Aïeul, Echevin en 1596. Il avoit publié en 1663. une fort mauvaise Traduction de Quintilien, Dans la fuite il traduifit encore

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20 La Raifon dit Virgile, & la Rime Quinaut.
Enfin quoique je faffe, ou que je veuille faire,
La bizarre toûjours vient m'offrir le contraire.
De rage quelquefois, ne pouvant la trouver,
Trifte, las, & confus, je ceffe d'y rêver:

25 Et maudiffant vingt fois le Démon qui m'inspire Je fais mille fermens de ne jamais écrire,

30

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Mais quand j'ai bien maudit & Mufes & Phébus,
Je la voi qui paroît, quand je n'y pense plus.
Auffi-tôt, malgré moi, tout mon feu fe rallume
Je reprens fur le champ le papier & la plume,
Et de mes vains fermens perdant le fouvenir,
J'attens de vers en vers qu'elle daigne venir.
Encor fi pour rimer, dans fa verve indifcrete,

Ma

PHiftoire des Indes, écrite en Latin par le P. Maffée ; & PHiftoire Africaine, écrite en Italien par J. B. Birago. Ik a auffi traduit la Vie de Leon X. du Latin de Paul de Jove & de plus il a fait un Roman, qui a pour titre, Les Précieufes; la Vie du Maréchal de Gaffion, &c.

VERS 20. La Raifon dit Virgile, & la Rime Quinaut. ] PHILIPPE QUINAUT, Auteur de plufieurs Tragédies, imprimées en deux volumes, mais qui font abfolument tom bées dans l'oubli. Il a depuis compofé des Opera. Il fut reçû à l'Académie Françoife, en l'année 1670. & mouruten 1688.

VERS 35. Je ferois comme un autre. ] GILLES MENAGE, dont les Poëfies font remplies d'expreffions fembla bles à celles que notre Auteur reprend dans les vers fuivans ce qui marque un génie froid & fterile, tel qu'étoit celui de l'Abbé Ménage, qui n'avoit point de naturel à la Poëfie, & qui ne faifoit des vers qu'en dépit des Mufes; comme il l'a dit lui-même dans la Préface de fes Obfervations fur Malherbe

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