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Non, à quelques hauts faits que ton deftin t'apelle, 70 Sans le fecours foigneux d'une Mufe fidelle,

Pour t'immortalifer Tu fais de vains efforts.
Apollon te la doit: ouvre-lui Tes trefors.

En Poëtes fameux rens nos climats fertiles.
.Un Augufte aifément peut faire des Virgiles.
75 Que d'illuftres témoins de Ta vaste bonté
Vont pour Toi dépofer à la Postérité !

Pour moi, qui fur Ton nom déja brûlant d'écrire Sens au bout de ma plume expirer la Satire, Je n'ofe de més Vers vanter ici le prix. 180 Toutefois, fi quelcun de mes foibles Ecrits Des ans injurieux peut éviter l'outrage, Peut-être pour Ta gloire aura-t-il fon usage. Et comme Tes exploits, étonnant les Lecteurs, Seront à peine crûs fur la foi des Auteurs; 185 Si quelque Esprit malin les veut traiter de fables, On dira quelque jour pour les rendre croyables;

tems Heros, &c. ] Horace, L. IV. Od. IX. v. 25.

Vixere fortes ante Agamemnona

Multi : fed omnes illacrimabiles

Urgentur, ignotique longa

Nocte, carent quia vate facro.

DU MONTEIL.

BOI

IMIT. Vers 174. Un Auguste aisément peut faire des

Virgiles.1

BOILEAU, qui, dans fes Vers pleins de fincérité, Jadis à tout fon fiécle a dit la vérité;

Qui

Virgiles. Martial donne à un Mécenas le même pouvoir que l'on donne ici à un Auguste.

Sint Mecanates, non deerunt, Flacce, Marones. Liv.
VIII: Epig. 56.

VERS 187. Boileau, qui dans fes vers, &c. J Cet endroit a été comparé avec un autre de l'Epitre huitiéme. Voyez la Remarque fur le Vers 85. de cette derniere Epitre. *VERS dernier. A pourtant de ce Roi parlé comme l'Hifloire.] Dans le tems que notre Auteur compofa cette Epitre, il travailloit au Poeme du Lutrin. Pour louer le Roi d'une maniere nouvelle il fit l'admirable Récit de la Moleffe, qui eit à la fin du fecond Chant de cé Poëme. Cette ingénieufe fiction eut un fuccès extrémement heureux. Le Roi, qui ne con noiffoit Boileau que par fes Satires, voulut voir le Poëte qui le fçavoit fi bien louer ; & ordonna à Mr. Colbert de le faire venir à la Cour. Quelques jours après, Mr. Defpreaux parut devant le Roi, étant prefenté par Mr. de Vivonne. Il recita à Sa Majesté une partie du Lutrin, qui n'avoit pas encore paru, & quelques autres Piéces, dont le Roi fut très-fatisfait. A la fin, Sa Majefté lui demanda, quel étoit l'endroit de fes Poëfies qu'il trouvoit le plus beau? Il pria le Roi de le difpenfer de faire un pareil jugement: ajoutant qu'un Auteur étoit peu capable de donner le jufte prix à fes propres Ouvrages; & que pour lui, il n'eftimoit pas affez les fiens, pour les mettre ainfi dans la balance. N'importe, dit le Roi, Je veux que vous me difiez votre fentiment. Mr. Defpreaux obeït, en difant que l'endroit dont il étoit le plus content, étoit la fin d'une Epître qu'il avoit pris la liberté d'adrefler à Sa Majefté; & recita les quarante vers par lefquels finit cette Epitre. Le Roi n'avoit pas vû cette fin, parce que l'Auteur l'avoit faite depuis peu, pour être mise à la place de la Fable de l'Huitre & des Plaideurs. Ces derniers vers toucherent fenfiblement le Roi, fon émotion parut dans fes yeux, & fur fon vifage. Il fe leva de fon fauteuil avec un air vif & fatisfait. Cependant, comme il eft toûjours maître de fes mouvemens, & qu'il parle fur le champ avec tant de justesse qu'on ne pourroit mieux dire après y avoir peufé long-tems : Voilà qui est très-beau, dit-il, cela est admirable. Je vous lowerois

Qui mit à tout blâmer fon étude & fa gloire, 90 A pourtant de ce Roi parlé comme l'Hiftoire.

louerois davantage, fi vous ne m'aviez pas tant loué. Le Pu blic donnera à vos Ouvrages les éloges qu'ils méritent ; mais ce n'eft pas affez pour moi de vous louer: Je vous donne une penfion de deux mille livres : j'ordonnerai à Colbert de vous la payer d'avance; je vous accorde le privilége pour l'impref fion de tous vos Ouvrages. Ce font les propres paroles du Roi; & l'on peut croire que l'Auteur ne les a pas oubliées.

Avant que le Roi eût ainfi parlé, Mr. de Vivonne, frapé de la beauté des vers qu'il venoit d'entendre, prit brufque ment l'Auteur à la gorge, & lui dit, par une faillie que la prefence du Roi ne put retenir : Ah! Traître, vous ne m'aviez pas dit cela.

Notre Poëte revint de la Cour, comblé d'honneurs & de biens. Cependant il a dit plufieurs fois, que la premiere réfléxion que lui infpira fa nouvelle fortune, fut un fentiment de triflene: envifageant la perte de fa liberté, comme une fuite inévitable des bienfaits dont il venoit d'être honoré.

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EPITRE II.

'A M. L'ABBE' DES ROCHES.

A

Quoi bon réveiller mes Mufes endormies,

Pour tracer aux Auteurs des Régles ennemies? Penfes-tu qu'aucun d'eux veüille fubir mes loix, Ni fuivre une Raifon qui parle pår ma voix ?

O le plaifant Docteur, qui, fur les pas d'Horace, Vient prêcher, diront-ils, la réforme au Parnaffe! Nos Ecrits font mauvais, les fiens valent-ils mieux ? J'entens déja d'ici Liniere furieux,

Qui m'apelle au combat, fans prendre un plus long

terme.

De

L A principale raifon, pour laquelle l'Auteur compofa cette Epitre, fut pour conferver la fable de l'Huitre & des Plaideurs, qu'il avoit retranchée de l'Epître précédente. L'Abbé DES ROCHES à qui l'Epitre II. eft adrestée, fe nommoit JEAN-FRANÇOIS ARMAND FUME'E, fils de FRANÇOIS FUME' E, Seigneur DBS ROCHES. 11 defcendoit d' ADAM FUM E'E, Premier Médecin de Charles VII. L'Abbé des Roches, mourut en 1711. âgé d'environ 75. ans, & c'eft à ce même Abbé qu'eft dédié le Parnaffe Réformé de GABRIEL GUERET.

VERS 1. A quoi bon réveiller, &c.] Les fix premiers vers font connoître que l'Auteur travailloit alors à fon Art Poëtique.

VERS 8. J'entens déja d'ici Liniére furieux. ] Le Poëte LINIE'RE avoit beaucoup de facilité à faire de méchans vers. Notre Auteur l'avoit pourtant nommé honorablement dans la Satire IX. vers 236. Mais Liniére s'avifa de faire une Critique très-offenfante de l'Epitre IV. qui avoit été faite avant celle-ci. Pour toute vengeance, notre Auteur le plaça

10 De l'encre, du papier, dit-il; qu'on nous enferme.
Voyons qui de nous deux plus aifé dans fes Vers,
Aura plûtôt rempli la page & le revers?
Moi donc qui fuis peu fait à ce genre d'efcrime,
Je le laiffe tout feul verfer rime fur rime,
15 Et fouvent de dépit contre moi s'exerçant,
Punir de mes défauts le papier innocent.

Mais toi qui ne crains point qu'un Rimeur te noir-
ciffe,

Que fais-tu cependant feul en ton Bénéfice?

Attens-tu qu'un Fermier payant, quoiqu'un peu
tard,

20 De ton bien pour le moins daigne te faire part?
Vas-tu, grand défenfeur des droits de ton Eglife,
De tes Moines mutins réprimer l'entreprise?
Croi-moi, dût Auzanet t'affurer du fuccès,

Abbé,

plaça ici, & en quelques autres endroits de fes Ouvrages. Voyez l'Epitre VII. vers 89. & l'Art poëtique, Chant II.

vers 194.

IMIT. Ibid. J'entens déja d'ici Liniére furieux. ] Ho race, L. 1. Sat. IV. v. 14.

Crifpinus minimo me provocat: accipe, fi vis,
Accipe jam tabulas, detur nobis locus, hora,
Cuftodes: videamus uter plus fcribere poffit.

VERS 23. Dût Auxanet t'aßurer du fuccès. ] BARTHELEMI AUZANET, célébre Avocat au Parlement de Paris. Il étoit extrémement verfé dans la connoiffance du Droit François ; & les principales affaires fe régloient ordinairement par fes confeils, ou par fon arbitrage. Il mourut le 17. d'Avril, 1693. âgé de 82. ans, ayant été honoré par le Roi d'un brevet de Confeiller d'Etat, quel ques années avant la mort,

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