Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

et où il termina sa carrière terrestre. En 1743, il survint diverses circonstances pénibles dans notre petite économie, et nous fûmes sur le point de quitter notre poste pour aller rejoindre nos frères à Surinam; mais, grâces à Dieu, nos efforts redoublés furent bénis, et nous fûmes même renforcés par l'ar-. rivée de nouveaux frères, dont un devoit me remplacer. Je partis en conséquence pour l'Europe où je repris le travail de mon état.

En 1753, je reçus de nouveau une vocation de missionnaire, que j'acceptai avec joie. Arrivés à Paramaribo, nous nous y arrêtâmes, en attendant des arrangements ultérieurs, parce que nous y trouvâmes du travail pour vivre. Après des négociations longues et difficiles, nous obtînmes enfin du Gouverneur deux emplacements pour y établir des postes de mission; l'un sur la rivière Saraméca, qui fut nommé Saron, l'autre sur la Corentyn qui reçut plus tard le nom d'Ephrem. C'est dans ce dernier lieu que je fus envoyé à la place d'un frère qui étoit tombé malade, avant même d'avoir établi la mission. Je m'y rendis avec quelques Indiens de Berbice, qui avoient consenti à m'accompagner; mais à peine m'eurent-ils aidé à nettoyer le terrain et à construire une frêle habitation, qu'ils m'abandonnèrent tous à l'exception d'un seul. Celui-ci étant plus tard tombé malade, les ludiens qui passoient, l'effrayèrent en lui persuadant que jamais il ne guériroit s'il demeuroit avec un blanc; et dès qu'il en eut la force il m'abandonna aussi; en sorte que je demeurai entièrement seul. Mais le Sauveur me consola dans ce lieu désert par le sentiment efficace de sa douce présence; tellement que je passai là d'heureux moments. Lorsque des Indiens me visitoient ils me questionnoient beaucoup sur les motifs qui m'avoient fait construire une maison dans un lieu si reculé Lorsque je leur expliquois mon but, ils me répondoient, que je ne manquerois pas d'être tué par quelques Indiens. Les soldats qui occupoient le poste le moins éloigné, m'invitèrent aussi plus d'une fois à me retirer auprès d'eux, si je voulois éviter la mort. J'en pris occasion de m'entretenir avec le Sauveur là-dessus, désirant de connoître sa volonté; et j'éprouvai de nouveau ses consolations et l'assurance de son gracieux secours; ainsi je fus affermi dans la foi.

Un soir, comme j'allois prendre mon repos, un serpent assez grand tomba du toit sur mon épaule, et m'enlaça le cou et la tête d'un triple tour de ses nœuds. Sentant ses replis me serrer de plus en plus fort, je ne doutai pas que ma dernière heure ne fût venue; dans cette attente je me disposois à écrire en toute hâte avec de la craie la cause de ma mort, afin que mes frères ne l'attribuassent pas aux Indiens, et ne fussent pas découragés

de venir prendre ma place. Alors je me ressouvins de ces paroles du Sauveur touchant ses disciples: ils chasseront les serpents; fortifié par la foi, je saisis le reptile qui lâcha prise, et je le jetai loin de moi.

6

7

Au mois d'Octobre de la même année, je fus visité dans ma sollitude par le frère Schuhmann, accompagué de quelques Indiens de Berbice. Cette visite me réjouit comme un enfant; et ce fut avec un sentiment inexprimable de la grâce de Dieu, que nous célébrâmes ensemble, pour la première fois dans ce lieu, la Cène de notre Seigneur.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Uu mois après cette douce entrevue, les Caraïbes voulurent enfin exécuter le projet si souvent formé de m'ôter la vie. Pendant que je prenois mon repas de midi, ma demeure fut entourée par une cinquantaine de ces sauvages, armés à leur ma→ nière, et donnant à connoître par l'expression de leurs figures, la cruauté de leur dessein.- - Je sortis auprès d'eux et les saluai amicalement en langue arouaque. Ils me répondirent avec dureté que je devois leur parler caraïbe; mais lorsqu'ils se furent assurés que je n'entendois pas leur langue, ils firent avancer un interprète, et nous entrâmes en conversation: «< Qui est-ce qui t'a permis, » me dirent-ils, « de demeurer ici? » « C'est le gouverneur. » Pourquoi es-tu venu dans notre pays et sur nos terres? » — Je m'approchai alors du chef, et lui dis en toute liberté : « Mes frères qui sont au-delà des mers ont appris qu'il y a dans ce pays des Indiens qui ne connoissent point leur Créateur, et c'est par amitié pour vous qu'ils m'ont envoyé ici, afin que j'apprenne d'abord votre langue, et que je puisse m'entretenir avec vous: il doit venir encore d'autres de mes frères dans le même but. » «<< Tu es sans doute un Espagnol ? « Non. » — « Un Français ? )) -- << Non. »> « Un Hollandais? ou viens-tu de plus loin? » - « Je viens bien de la Hollande, mais aussi de plus loin encore. Mais il suffit, que je suis du nombre des frères qui vous aiment et qui habitent au-delà des mers. » — « N'as-tu donc pas entendu dire que <«<les Indiens veulent te tuer?» — « Oui, mais je ne l'ai pas cru; et tu as toi-même parmi tes gens, de ceux qui ont été auprès de moi, et qui savent que j'ai de l'amitié pour vous. » — « ][ << est vrai ; et ils m'ont aussi dit que tu es un Chrétien différent « des autres blancs. » — « Eh! bien, maintenant que tu sais que je suis ton ami, voudrois-tu encore me tuer? » - Il me répondit avec un air bienveillant: « cela est pourtant vrai. »

[ocr errors]
[ocr errors]

(6) Marc XVI. 18.

[ocr errors]

(7) Le plus zélé et le plus actif des missionnaires de la Guyane dans ces temps-là.

- Dès ce moment, l'expression de toutes ces figures fut chan-. gée. Lorsque les Indiens se retirèrent, le chef resta encore avec moi, et m'adressa diverses questions auxquelles je répondis de mon mieux, selon sa portée. Quand il apprit qu'il ne viendroit demeurer ici que des frères, il se montra fort amical, et me laissa même une partie de ses provisions, en me promettant de revenir me visiter. C'est ainsi que le Seigneur m'accorda de jour en jour sa gracieuse assistance; et ce fut avec un cœur joyeux et confiant que je commençai l'année 1758.

J'avois quelquefois bien de la peine à couper les arbres dont j'avois besoin; mais alors je demandois aux Indiens qui venoient à passer, leur assistance, et elle ne m'étoit point refusée. Un jour, en ramassant du bois pour brûler, une fourmi me piqua à la main, ce qui me causa une si grande douleur, que je crus perdre connoissance. C'étoit une de ces grandes fournis noires, d'un pouce de long, et que les Indiens craignent autant que les serpents. A cette époque, j'eus bien des peines et des besoins quant à l'extérieur: souvent en me levant, je ne savois pas ce que je mangerois dans la journée, ni même où je cher-. cherois ma nourriture. Mais j'ai toujours pu m'appliquer ce qui est raconté d'Elie près du torrent de Kerith; car le Seigneur n'a jamais manqué de me nourrir.

(Le missionnaire tombe malade, est remplacé à Ephrem par deux autres frères, et va poursuivre ses travaux dans la station moins pénible de Saron.)

[ocr errors]

Le 25 de Janvier 1761, qui étoit un dimanche, j'étois allé promener avec un autre missionnaire de Saron, lorsque nous entendimes plusieurs décharges de fusil. Nous nous hâtames de retourner sur nos pas; mais avant que nous eussions atteint la station, nous vimes accourir un des frères sans souliers sans chapeau, et avec la paleur de la mort; il nous apprit que les nègres des bois avoient surpris notre établissement; que le frère Zander étoit blessé, et notre maison en flammes. Il fut bientôt suivi par une partie des Indiens qui fuyoient aussi ; l'un d'eux avoit une flèche plantée dans le corps et perdoit beaucoup de sang. Ils nous entraînèrent dans la forêt, et le soir quand nous nous approchâmes de la station, nous trouvâmes le reste de nos gens ainsi que le frère Odenwald qui avoit reçu une balle, et dont la plaie n'avoit pas été pansée. Je déchirai le linge que j'avois sur le corps pour la bander tant bien que je pus. Le lendemain, nous partîmes pour conduire nos bles

(8) Des esclaves échappés qui se réfugient dans les forêts, et vivent de pillage.

[ocr errors]

sés à Paramaribo, en consolant nos Indiens par l'espérance que l'un de nous reviendroit bientôt auprès d'eux.

Nous ne pousserons pas plus loin cette citation : elle suffit pour nous faire connoître les missionnaires de ces temps-là. Nous n'ajoutérons que quelques

mots sur l'histoire de ces stations elles-mêmes.

A Pilguerhout, les missionnaires avoient déjà rassemblé 400 Indiens, et l'Eglise marchoit d'une manière réjouissante, lorsque le gouverneur prit ombrage de ce grand concours d'Indiens, et les força de se disperser. Dès-lors la station languit encore quelques années, et fut enfin complètement détruite dans la grande révolte des nègres qui ravagea la colonie de Berbice en 1762. On ne put pas même sauver de l'incendie les précieuses traductions en langue arouaque, laissées par l'infatigable missionnaire Schuhmann. Ephrem, voisin de Berbice, dût aussi être abandonnée; et nous avons entendu tout-à-l'heure le récit de la destruction de Saron, qui comptoit déjà 200 habitants Arouaques.

[ocr errors]
[ocr errors]

Ainsi sembloit anéantie la mission des Indiens de la Guyane. Cependant quelques années après elle se ranima, et vit encore des jours de bénédictions et de grâce. Saron fut rétabli. Ephrem fut remplacé par une autre station mieux choisie, que l'on nomma Hope (Espérance), et qui devint le centre, puis enfin le seul point de la mission, lorsque de nouvelles menaces des nègres des bois, et surtout l'invasion dévastatrice des fourmis, forcèrent les frères d'abandonner Saron. La station de Hope elle-même fut souvent sur le point de prendre fin; mais le désir de réunir et de fortifier dans la foi les Indiens convertis engagea les frères à persévérer, jusqu'à ce qu'en 1815 la mission cessa entièrement.

une

Nous avons la joie d'annoncer à nos lecteurs qu'une société anglaise vient de former le plan d'une nouvelle mission chez les Indiens de la Guyane, dont nous espérons annoncer autrefois l'existence à nos lecteurs. Nous leur ferons connoître en même temps les stations modernes de Démérari, de Berbice et d'Essequibo.

[ocr errors]

PASSAGE DE LA BIBLE.

v.

ACTES XX. . 24. Ma vie ne m'est point précieuse.

Tel est le langage que tenoient les Missionnaires de la Guyane; et tel est celui que doit tenir tout Chrétien, quand il s'agit du service de Jésus. Que chaque enfant de Dieu se demande après ces exemples: qu'est-ce que je fais, qu'est-ce que je souffre, qu'est-ce que je sacrifie pour l'amour de mon Sauveur? »

[ocr errors]

IMPRIMERIE DES FRERES BLANCHARD A LAUSANNE.

No. 31. 1831.

DU 20 NOVEMBRE.

FEUILLE RELIGIEUSE

DU

CANTON DE VAUD.

Que toutes choses se fassent pour l'édification..... afin que suivant la vérité avec la charité, nous croissions en toutes choses en celui qui est le Chef, Jésus-Christ 1. COR. XIV. . 26. EPH. IV. . 15.

[ocr errors]

LA CHARITÉ

COUVRIRA UNE MULTITUDE DE PÉCHÉS. *
(1. Pierre IV. 8.)

CES paroles, mal comprises, ont souvent servi

d'aliment à une fatale et grossière erreur: on s'en est autorisé pour considérer la bienfaisance comme une sorte d'expiation du péché. Rien de plus commun que d'entendre exprimer cette opinion. On convient qu'on n'est pas très-scrupuleux dans sa conduite; qu'on ne vit pas selon la morale de la Bible; mais on se tranquillise en pensant à la compassion qu'on éprouve pour les malheureux, aux aumônes qu'on répand, et l'on se dit avec complaisance et satisfaction de soi-même, que la charité couvrira une multitude de péchés. Or, rien de plus contraire aux déclarations formelles de la Parole de Dieu et à l'ensemble de la doctrine chrétienne, que de donner un tel sens à ce passage, et d'en faire une telle application. La bienfaisance, même quand elle seroit pure dans sa source et parfaite dans son exercice, ne sauroit effacer une seule faute devant Dieu; d'abord

« PreviousContinue »