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CANTON DE VAUD.

Que toutes choses se fassent pour l'édification..... afın que suivant la vérité avec la charité, nous croissions en toutes choses en celui qui est le Chef, Jésus-Christ. 1. Cor. XIV. ✯. 26. EPH. IV. N. 15.

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LES SUITES D'UN DUEL. 1

O Eternel, je t'invoque du fond d'un abîme!

Ps. CXXX. V. I.

DANS une des belles journées du mois de Juin, la

veille du jour du Seigneur, je passai plusieurs heures sur les bords de la mer, puisant au milieu des beautés d'une nature où partout se voit la main de Dieu, des inspirations pour le sermon que je devois prêcher le lendemain au régiment dont j'étois ministre. C'est loin des villes et loin des hommes que l'enfant de Dieu goûte un bonheur tout particulier à se trouver seul avec lui-même, avec ses pensées, avec son Dieu. I! est doux surtout pour un ministre de Jésus-Christ, d'apprendre dans la solitude à connoître son propre cœur, pour pouvoir ensuite aider ses frères dans l'étude du leur. En contemplant cet Océan sans limites, image de l'infini, j'aimois à me dire pour calmer la

(1) Le récit qu'on va lire est vrai jusque dans les moindres circonstances. (L'Auteur.) Nous saisissons cette occasion pour assurer de nouveau nos lecteurs, qu'ils ne trouveront dans ces feuilles, cités comme faits, que des récits, dont la vérité a été reconnue.

(Rédact.)

secrète terreur que cette vue inspire, que le Dieu dont j'étois appelé à prêcher les perfections n'a pas manifesté moins d'amour que de puissance. Cet Océan me rappelle sa grandeur, mais il me rappelle aussi son amour; car son amour aussi est infini. Toutes les merveilles de cet univers sortirent du néant à son ordre; mais pour la nouvelle création, pour la création de nouveaux cieux et d'une nouvelle terre, pour le rachat d'un monde de pécheurs, il fallut le sacrifice du Fils éternel du Père, par qui il avoit créé toutes ces choses. Oh! si l'homme eût conservé un cœur pur pour admirer les œuvres de son Dieu ! si du moins il s'empressoit de se jeter dans l'abîme de sa miséricorde dont cette mer est l'image! Hélas! souvent la Parole de son Dieu, les appels de l'amour du Seigneur, glissent sur son cœur insensible et endurci, comme la vague glisse sur ces rochers où elle vient expirer. Que cette pensée n'accable pas mon cœur! Celui qui a créé toutes ces choses et qui a marqué aux flots qui meurent à mes pieds la place où ils doivent s'arrèler, est puissant aussi pour toucher et convertir un cœur. J'étois doucement absorbé dans ces pensées quand les derniers rayons du soleil couchant reflétés par les voiles blanches des navires qui croisoient en divers sens la rade, m'avertirent qu'il étoit temps de rentrer dans la ville.

A peine y fus-je arrivé, qu'un des soldats de service à l'hôpital militaire, vint me dire que deux des maîtres d'armes du régiment s'étoient battus en duel, et que E*, l'un d'eux, étoit mortellement blessé. Des pensées douces et religieuses qui m'occupoient, aux impressions que produisit sur moi cette nouvelle, la transition fut vive et douloureuse. Je me rends en hâte à l'hôpital; je n'avois point encore franchi le seuil de la salle où le blessé étoit couché, que ses gémissements me dirent toute la vivacité de ses souffrances. Sa douleur étoit trop aiguë et son corps trop

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affoibli, pour qu'il pût proférer une parole distincte, ou reconnoître personne. Déjà le chirurgien avoit sondé sa blessure; il avoit reconnu qu'un coup d'épée avoit traversé le foie; n'ayant aucun espoir de le sauver, il l'avoit abandonné aux soins d'un jeune aide. Tout ce que j'éprouvai à cette vue est encore présent à mon esprit et à mon cœur ; mais il me seroit impossible de l'exprimer. J'avois sous les yeux une preuve effrayante de la dépravation, j'ai presque dit de la férocité du cœur de l'homme; la pensée alterrante que ce malheureux alloit être lancé dans l'éternité et paroître devant Dieu, en sortant de commettre l'action d'un meurtrier, cette pensée remplissoit mon ame de douleur et d'angoisse, et la vue de souffrances plus cruelles que tout ce que l'imagination la plus sombre pourroit se représenter, déchiroit encore mon cœur. Pendant quelque temps, je restai muet comme tous ceux qui contemploient avec effroi cette scène terrible. - « Oui, » dit enfin un jeune officier qui se trouvoit aussi à l'hôpital pour se guérir d'une blessure reçue en duel, oui, la vue de cet homme » est propre à dégoûter du terrain, 2 même ceux qui » ont le moins peur du fer! » Les gémissements du malade remplissoient la salle, où un grand nombre d'autres êtres souffrants s'impatientoient peut-être de ses cris.- Près de nous, un infirmier, accoutumé à la douleur parce qu'il passoit sa vie à voir souffrir, se prit à rire de quelque plaisanterie d'un de ses compagnons de service. Il falloit encore ce trait de barbare insensibilité pour compléter la scène et pour qu'on pût se dire: «< Voilà l'homme, quand il se montre tel qu'il est, ou tel qu'il peut devenir!»> Que les insensés qui plaident pour l'innocence et la bonté naturelle du cœur humain, parce qu'ils ne l'ont observé que sous

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(2) Terme de régiment qui désigne le lieu où deux malheureux se donnent rendez-vous pour s'entr'égorger.

le verni de la politesse ou d'une vaine sensibilité, viennent l'étudier dans ces lieux de misère, et qu'ils reçoivent instruction!

Tout ce que le malade essayoit de dire se perdoit dans ses cris de douleur. Cependant, je l'entendis distinctement s'écrier: « O mon Dieu! pardonne-moi mes péchés!»>A ces mots je me penche vers son oreille. L'aide-chirurgien, pensant que j'allois prononcer une absolution à la manière des prêtres catholiques-romains, s'éloigne un peu: « Mon ami,» disje au malade, « savez-vous qu'un Sauveur est mort pour vous obtenir le pardon de vos péchés dont l'idée vous trouble à cette heure? Si la douleur vous le permet encore, regardez à sa croix, regardez à son amour. Par lui, Dieu peut devenir votre Père. Pensez au criminel reçu en grâce, au moment où, comme vous, il étoit prêt à paroître devant son juge. » Ces paroles parurent le calmer pour un instant; il essaya de dire qu'il me comprenoit; mais hélas! la douleur étoit si violente que tout ce qu'il avoit encore de vie et de pensée se concentroit dans le désir ardent d'en être promptement délivré. Nous crûmes, en effet, que le moment de sa fin étoit arrivé. Ses gémissements. deviennent plus foibles, plus sourds; puis ils cessent entièrement; ses yeux se ferment, ses membres se relâchent; l'aide - chirurgien lui ouvre la paupière pour voir si son œil réfléchit encore la vie. Mais après un instant d'incertitude, le malade sort de cette espèce d'assoupissement, il recommence à souffrir et à gémir, mais il ne dit plus rien; il ne connoît per

sonne.

Vers une heure après minuit, je me retirai pour quelque temps, le cœur plein de tristesse ; mon imagination ébranlée par ce que je venois de voir, me présentoit les plus tristes images; je ne pus goûter aucun repos. A la point du jour je revins à l'hôpital, je n'avois presqu'aucun doute de la mort d'È*.

Quel fut mon étonnement d'entendre, en montant les degrés, les mêmes gémissements que j'avois entendus la veille, et d'apprendre que tel avoit été son état toute la nuit! J'essayai de lui parler, il ne put me comprendre. Devant prêcher à 7 heures du matin, je le laissai encore. Après mon sermon, je revins auprès de lui; son état étoit le même. Cependant il parut me reconnoître ; je lui parlai; il fit signe qu'il comprenoit. Pendant que je l'entretenois du Sauveur des pécheurs, des larmes rouloient dans ses yeux. J'espérai que son cœur étoit touché; mais hélas! il ne pouvoit me le dire; il n'avoit plus de force que pour souffrir et gémir. Je dus le quitter encore pour aller prêcher à P*, dans la forteresse qu'occupoit un détachement du régiment. Nous en étions séparés par un bras de mer de quelques lieues de largeur; je m'embarquai, plein des tristes pensées qui m'occupoient alors. Le temps étoit magnifique; on respiroit l'air frais et vif du matin; le ciel étoit pur; les rayons du soleil, brisés et reflétés par les eaux limpides légèrement agitées, formoient des accidents de lumière variés et brillants. Plusieurs navires qu'on venoit d'appareiller quittoient la rade à pleines voiles; les malelots exprimoient par leurs chants, la joie et l'espérance que leur inspiroit un si beau jour.

« Hélas! >> me disois-je, « pourquoi le cœur de l'homme, ses affections et ses désirs, ne répondentils pas à l'harmonie de ces belles œuvres de son Créateur! Pourquoi la vue des hommes remplit-elle le cœur d'une sombre tristesse, et forme-t-elle un si douloureux contraste avec l'harmonie de tout ce qui est sorti de la main de Dieu. Ah! c'est que le péché a exercé ses ravages dans ce coeur que Dieu avoit formé pur, heureux, aimant. Et pourquoi, ô mon Dieu! quand, dans ton amour, tu as trouvé un remède à tant de maux, un Réparateur de tous ces désordres; quand, en Christ, nos cœurs peuvent re

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