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COMÉDIE EN TROIS ACTES.

1666.

NOTICE.

Cette comédie, que Molière appelait aussi le Fagotier, et qui se trouve quelquefois désignée sous ce nom, fut mise au théâtre, comme nous l'avons vu plus haut, pendant les premières représentations du Misanthrope, le 9 août 1666. Elle obtint le plus grand succès. Molière la traitait comme une farce sans conséquence; mais le public, dont elle excitait au dernier point l'bilarité, en faisait beaucoup plus de cas que l'auteur lui-même ; c'est ce que Subligny nous apprend dans ces vers de la Muse dauphine:

Molière, dit-on, ne l'appelle

Qu'une petite bagatelle.

Mais cette bagatelle est d'un esprit si fin,

Que, s'il faut que je vous le die,

L'estime qu'on en fait est une maladie

Qui fait que, dans Paris, tout court au Médecin.

Le sujet du Médecin malgré lui se trouve dans un fabliau du douzième siècle, intitulé le Vilain mire. Mais évidemment ce n'est point dans le texte mème de ce vieux conte que notre auteur aura été puiser ses inspirations. Anguilbert, dans le livre intitulé Mensa philosophica, rapporte une anecdote qui reproduit sommairement la donnée du Vilain mire. « Quædam mulier, dit Anguilbert, percussa a viro suo ivit ad castellanum infirmum, dicens virum suum esse medicum, sed non mederi cuique nisi forte percuteretur : et sic eum fortissime percuti procuravit. » (Cap. XVIII, de Mulieribus, in fine, fol. 58.) — Une femme maltraitée par son mari alla trouver le châtelain malade, et lui dit que son mari était médecin, mais qu'il ne guérissait personne s'il n'était battu. C'est ainsi qu'elle trouva le moyen de faire rendre à son mari les coups qu'elle en avait reçus.

L'auteur d'une vie de Molière, écrite en 1724, raconte « qu'il tenait d'une personne fort avancée en âge que Molière avait pris l'idée de cette pièce dans une histoire qui réjouit beaucoup Louis XIV, et qu'on disait arrivée du temps de François Ier, qui lui-même y avait joué un rôle. » On peut croire, d'après ces indications, que si le texte original du Vilain mire était oublié au dix-septième siècle, le sujet de ce fabliau, traditionnellement recueilli et propagé, circulait comme une anecdote tout à fait populaire, et que Molière, qui prenait, ou le sait, son bien partout, s'en est emparé sans en connaître l'origine directe.

La seule critique qu'on ait faite du Médecin malgré lui, a été de dire que c'était une farce. Qu'importe si la farce atteint son but, sans blesser la morale? La gloire de Molière n'a point à souffrir de cette définition; car dans ce genre encore, il reste le maitre de tous ceux qui l'ont précédé, comme de tous ceux qui l'ont suivi.

PERSONNAGES..

GERONTE, père de Lucinde.
LUCINDE, fille de Géronte.
LÉANDRE, amant de Lucinde.
SGANARELLE, mari de Martine.
MARTINE, femme de Sganarelle.
M. ROBERT, voisin de Sganarelle.
VALÈRE, domestique de Géronte.
LUCAS, mari de Jacqueline.

JACQUELINE, nourrice chez Géronte, et femme de Lucas

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Non, je te dis que je n'en veux rien faire, et que c'est à moi de parler et d'être le maître.

MARTINE.

Et je te dis, moi, que je veux que tu vives à ma fantaisie, et que je ne me suis point mariée avec toi pour souffrir tes fredaines!

SGANARELLE.

Oh! la grande fatigue que d'avoir une femme! et qu'Aristote a bien raison, quand il dit qu'une femme est pire qu'un démon!

MARTINE.

Voyez un peu l'habile homme, avec son benêt d'Aristote.

SGANARELLE.

Oui, habile homme. Trouve-moi un faiseur de fagots qui sache comme moi raisonner des choses, qui ait servi six ans un fameux médecin, et qui ait su dans son jeune âge son rudiment par cœur.

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Que maudits soient l'heure et le jour où je m'avisai d'aller dire oui !

SGANARELLE.

Que maudit soit le bec cornu1 de notaire qui me fit signer ina ruine!

'Bec cornu est une imitation du mot italien becco, qui signifie bouc. (Bret.) — Les vieux couteurs emploient quelquefois ces deux mots réunis dans le sens de cornard.

MARTINE.

C'est bien à toi, vraiment, à te plaindre de cette affaire! Devrois-tu être un seul moment sans rendre graces au ciel de m'avoir pour ta femme? et méritois-tu d'épouser une femme comme moi?

SGANARELLE.

Il est vrai que tu me fis trop d'honneur, et que j'eus lieu de me louer la première nuit de mes noces! Hé! morbleu ! ne me fais point parler là-dessus: je dirois de certaines choses...

Quoi? que dirois-tu?

MARTINE.

SGANARELLE.

Baste, laissons là ce chapitre. Il suffit que nous savons ce que nous savons, et que tu fus bien heureuse de me trouver.

MARTINE.

Qu'appelles-tu bien heureuse de te trouver? Un homme qui me réduit à l'hôpital, un débauché, un traître, qui me mange tout ce que j'ai !...

SGANARELLE.

Tu as menti: j'en bois une partie.

MARTINE.

Qui me vend, pièce à pièce, tout ce qui est dans le logis!...

C'est vivre de ménage.

SGANARELLE.

MARTINE.

Qui m'a ôté jusqu'au lit que j'avois!...

SGANARELLE.

Tu t'en lèveras plus matin.

MARTINE.

Enfin qui ne laisse aucun meuble dans toute la maison...

SGANARELLE.

On en déménage plus aisément.

MARTINE.

Et qui, du matin jusqu'au soir, ne fait que jouer et que boire!

SGANARELLE.

C'est pour ne me point ennuyer.

MARTINE.

Et que veux-tu, pendant ce temps, que je fasse avec ma famille?

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Donne-leur le fouet: quand j'ai bien bu et bien mangė, je veux que tout le monde soit soûl dans ma maison.

MARTINE.

Et tu prétends, ivrogne, que les choses aillent toujours de même?

SGANARELLE.

Ma femme, allons tout doucement, s'il vous plaît.

MARTINE.

Que j'endure éternellement tes insolences et tes débauches?

SGANARELLE.

Ne nous emportons point, ma femme.

MARTINE.

Et que je ne sache pas trouver le moyen de te ranger à ton devoir?

SGANARELLE.

Ma femine, vous savez que je n'ai pas l'ame enduranle, et que j'ai le bras assez bon.

MARTINE.

Je me moque de tes menaces.

SGANARELLE.

Ma petite femme, ma mie, votre peau vous démange, à votre ordinaire.

MARTINE.

Je te montrerai bien que je ne te crains nullement.

SGANARELLE.

Ma chère moitié, vous avez envie de me dérober quelque chose1.

'Dicton populaire qui se trouve dans la Comédie des Proverbes, d'Adrien de Montluc: « Si tu m'importunes davantage, tu me déroberas un soufflet. >

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