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COMÉDIE-BALLET EN TROIS ACTES.

1665.

NOTICE.

L'Amour médecin est, dans la plus stricte acception du mot, un impromptu, puisqu'il fut composé, appris et représenté dans l'espace de cinq jours. Il fut donné à Versailles le 15 septembre 1665, et à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 22 du même mois.

On a dit et souvent répété que l'Amour médecin était le premier acte d'hostilité de Molière, et comme sa déclaration de guerre contre la faculté. Mais cette remarque est complétement inexacte, puisque déjà les médecins avaient été attaqués dans le Festin de Pierre, acte III, scène I.

On a dit aussi que Molière avait composé cette pièce pour se venger des insultes que la femme d'un praticien aurait adressées à sa propre femme; mais ce fait a été contesté, et avec raison, ce nous semble, par les commentateurs les plus sérieux, qui ont cherché dans des motifs moins personnels la cause des moqueries de notre auteur, et l'ont trouvée tout naturellement dans les ridicules de ceux qui pratiquaient l'art de guérir, et aussi dans l'impuissance trop souvent démontrée de cet art.

Qu'on se reporte en effet au dix-septième siècle. A cette date, la médecine, fidèle encore aux traditions du moyen âge, ne reposait sur aucune observation positive. On invoquait Hippocrate, mais c'était là avant tout une affaire d'érudition; et personne dans la pratique ne profitait de la science de ce grand homme. On le citait souvent sans le comprendre. On attribuait au hasard, à tel ou tel remède, des propriétés merveilleuses; chacun avait sa panacée universelle, et les esprits positifs pouvaient, avec d'autant plus de raison, se montrer sceptiques, qu'on affichait vis-à-vis d'eux une plus grande confiance, et que souvent cette confiance n'était que trop cruellement démentie par les faits.

Déjà compromis par leur ignorance, les médecins se compromettaient encore par leur formalisme et l'appareil d'un vain

cérémonial; et Molière n'était pas seul à saisir leurs ridicules, comme le témoignent les vers suivants :

Affecter un air pédantesque,
Cracher du grec et du latin,
Longne perruque, habit grotesque,
De la fourrure et du satin,
Tout cela réuni fait presque

Ce qu'on appelle un médecin.

Molière, qui poursuivait impitoyablement les rédants de toutes les classes et de toutes les nuances, et les charlatans de savoir comme les charlatans de vertu, Macroton comme Tartufe, Molière, avec son génie observateur, n'avait qu'à choisir des types. On se rappelait ce qui s'était passé au lit de mort de Mazarin, lors de la consultation faite à Vincennes entre Guenaut, Desfougerais, Brayer et Valot, qui voulaient, l'un que le cardinal fût malade du foie, l'autre du mésentère, le troisième de la rate, le dernier du poumon'.

Le public assistait en riant aux débats sur le vin émétique, aux factums lancés par les facultés de Rouen et de Marseille contre les apothicaires de ces deux villes. La comédie se disposait pour ainsi dire d'elle-même, Molière n'avait plus qu'à l'arranger pour la scène.

M. Bazin, que nous avons souvent occasion de citer, parce qu'il pénètre toujours avec une ingénieuse sagacité les plus intimes détails de la vie de notre auteur, dit, à l'occasion de la pièce qui nous occupe : « On a cherché un motif puéril à cette violente déclaration de guerre contre la médecine et les médecins ', nous croyons qu'on serait plus près de la vérité en lui donnant une cause affligeante. Cet homme, qui se moquait si bien des prescriptions et des remèdes, se sentait malade. Avec une dose ordinaire de faiblesse, il aurait demandé à tous les traitements une guérison peut-être impossible. Ferme et emporté comme il

'C'est entre les mains de ce même Valot que mourut Henriette d'Angleterre, pour avoir pris une dose d'opium administrée à contre-temps: cet événement donna lieu à l'épigramme suivante :

Le croirez-vous, race future,
Que la fille du grand Henri

Eut, en mourant, même aventure
Que feu son père et son mari!
Tous trois sont morts par assassin,
Ravaillac, Cromwell, médecin :
Henri, d'un coup de baïonnette,
Charles finit sur un billot,
Et maintenant meurt Henriette

Par l'ignorance de Valot.

Il s'agit de la querelle entre les deux femmes, dont nous avons parlé plus haut.

était, il aima mieux nier d'une manière absolue le pouvoir de la science, lui fermer tout accès auprès de lui, et employer ce qui lui restait de santé à remplir sa vie selon son goût et sa passion. Il y avait donc dans son fait, à l'égard de la médecine, quelque chose de pareil à la révolte du pécheur incorrigible contre le ciel, une vraie bravade d'incrédulité; mais il la soutint avec tant de constance et de bonne humeur, il se livra lui-même si gaiement pour enjeu à cette folle gageure, qu'on ne peut se défendre d'une admiration compatissante en voyant une raillerie, qui naît du désespoir, ne s'arrêter que par la mort. » C'est là une conjecture très vraisemblable, et comme nous aurons occasion de revenir plusieurs fois encore sur les attaques de Molière contre les médecins, nous avons cru devoir la rapporter ici, pour n'avoir plus une autre fois à chercher la cause première de ces attaques qui seront éternellement célèbres.

Les quatre praticiens qui figurent dans cette comédie, étaient les quatre premiers médecins de la cour: Desfougerais, Esprit, Guenaut et Dacquin. «Comme Molière vouloit, dit Cizeron-Rival, déguiser leurs noms, il pria M. Despréaux de leur en faire de convenables. Il en fit en effet qui étoient tirés du grec, et qui marquoient le caractère de chacun de ces médecins. Il donua à M. Desfougerais le nom de Desfonandrès, qui signifie tueur d'hommes, à M. Esprit, qui bredouilloit, celui de Bahis, qui signifie jappant, aboyant; Macroton fut le nom qu'il donna à M. Guenaut, parcequ'il parloit fort lentement; et enfin celui de Tomès, qui signifie un saigneur, à M. Dacquin, qui aimoit beaucoup la saignée. »

Si l'on s'en rapporte aux témoignages des contemporains, ces quatre personnages méritaient de tous points les sarcasmes de Molière. « Je ne crois pas, dit Guy Patin en parlant de Desfougerais, qu'il y ait sur la terre un charlatan plus déterminé et plus perverti que ce malheureux chimiste, boiteux des deux côtés comme Vulcain, qui tue plus de monde avec son antimoine que trois hommes de bien n'en sauvent avec les remèdes ordinaires. Je pense que si cet homme croyoit qu'il y eût au monde un plus grand charlatan que lui, il tâcheroit de le faire empo sonner. Il a dans sa pochette de la poudre blanche, de la rouge, et de la jaune. Il guérit toutes sortes de maladies, et se fourre partout. >>

Dacquin n'est pas mieux traité. Guy Patin l'appelle « pauvre cancre, race de juif, grand charlatan. C'est un médecin de la cour, qui est véritablement court de science; mais riche en fourberies chimiques et pharmaceutiques. »

Molière, par l'École des Femmes, s'était fait les prudes pour ennemies; par la Critique, il souleva contre lui les précieuses et les marquis; par les premiers actes de Tartufe et par Don Juan,

il s'était attiré la haine des dévots, des hypocrites, et même celle des personnes sincèrement pieuses; par l'Amour médecin, ie brouilla avec la faculté. Ce n'était pas trop de l'amitié de Louis XIV pour le défendre contre toutes ces coteries ameutées; mais cette fois encore, il eut pour lui la faveur du monarque et celle du public. Le roi fut le premier à rire de ses médecins, et la foule à son tour courut au théâtre pour rire, comme dit Guy Patin, des médecins de la cour.

Les pièces où Molière parait avoir puisé quelques idées, sont un canevas italien, Il Medico volante, le Pédant joué, de Cyrano, et le Phormion de Térence.

AU LECTEUR.

Ce n'est ici qu'un simple crayon, un petit impromptu dont le roi a voulu se faire un divertissement. Il est le plus précipité de tous ceux que Sa Majesté m'ait commandés ; et, lorsque je dirai qu'il a été proposé, fait, appris et représenté en cinq jours, je ne dirai que ce qui est vrai. Il n'est pas nécessaire de vous avertir qu'il y a beaucoup de choses qui dépendent de l'action. On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées; et je ne conseille de lire celle-ci qu'aux personnes qui ont des yeux pour découvrir, dans la lecture, tout le jeu du théâtre. Ce que je vous dirai, c'est qu'il seroit à souhaiter que ces sortes d'ouvrages pussent toujours se montrer à vous avec les ornements qui les accompagnent chez le roi. Vous les verriez dans un état beaucoup plus supportable; et les airs et les symphonies de l'incomparable M. Lulli, mêlés à la beauté des voix et à l'adresse des danseurs, leur donnent sans doute des graces dont ils ont toutes les peines du monde à se passer.

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PREMIERE ENTRÉE.

CHAMPAGNE, valet de Sganarelle, dansant.
QUATRE MÉDECINS, dansants.

SECONDE ENTRÉE.

UN OPÉRATEUR, chantant.

TRIVELINS ET SCARAMOUCHES, dansants, de la suite de l'opé

rateur.

TROISIÈME ENTRÉE.

LA COMÉDIE.

LA MUSIQUE.

LE BALLET.

JEUX, RIS, PLAISIRS. dansants.

La scène est à Paris, dans une des salles de la maison de Sganarelle.

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