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A MADAME ***.

ET ouvrage, Madame, a été entrepris pour vous; j'ai désiré, en vous offrant l'hommage de mes faibles lumières, vous épargner des recherches, et vous faciliter la connaissance des meilleurs écrivains français. Je me suis regardé comme un voyageur qui a parcouru un pays avec quelque attention, et qui se fatte d'être utile à un ami, en lui désignant les objets qui méritent le plus d'être remarqués.

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Ce n'est point, Madame, un littérateur qui vous écrit; c'est un ami des lettres qui a beaucoup lu par goût et par curiosité, plutôt qu'avec le dessein d'instruire les autres. Il n'appartient qu'aux gens de lettres d'analyser des ouvrages, de les comparer, et d'en porter un jugement motivé. L'homme qui vit dans le monde, a des occupations

qui ne lui permettent pas de se livrer à des examens longs et détaillés des pièces de théâtre, et de les juger suivant les règles de l'art. L'intervalle entre le temps où l'on est trop jeune, et celui où l'on est trop vieux, est malheureusement trop court. On doit tâcher de concilier l'amour qu'on a pour les belles-lettres, et le besoin qu'on a de la société. Heureux qui peut marier le goût de l'instruction et celui de la société, de manière à ce qu'ils concourent à multiplier ses jouissances, sans se nuire mutuellement!

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Il ne s'agit Madame, pour vos études, que de faire un choix de livres. Il ne doit être nombreux dans aucune langue. « Vou» lez-vous que l'étude laisse dans votre es»prit des traces durables ? Bornez-vous » à quelques auteurs pleins de goût et de » génie, et nourrissez-vous de leur subs» 'tance. »> (1)

>>

J'ose émettre une opinion sur les ouvrages dont je vous parle; je vous en pré(1) Fénélon.

sente en même temps des extraits, qui vous mettront à portée d'en juger vous-même; et si je me permets de vous rappeler des choses assez généralement connues, ce n'est seulement que quand elles peuvent servir à marquer le caractère des auteurs, l'esprit qui anime leurs ouvrages, et le goût qui régnait à l'époque où ils ont écrit. C'est par la même raison, et pour juger des progrès du perfectionnement de la langue, que j'ai noté exactement la naissance des écrivains célèbres. J'ai cru également nécessaire de parler de leur vie privée, parce qu'il y a quelquefois tels rapports et telles applications qui échapperaient au lecteur, s'il n'était pas prévenu des circonstances dans lesquelles l'auteur s'est trouvé par exemple, en lisant les écrits de Jean-Baptiste Rousseau, combien de choses restent inintelligibles pour ceux qui ne sont pas informés de ses malheurs !

Parmi les nombreuses citations que j'ai rapportées, plusieurs pourraient paraître superflues; mais en réfléchissant que j'écrivais

pour une dame qui n'est pas française, qui n'a pas encore une connaissance approfondie des ouvrages écrits dans cette langue, j'ai fait choix des morceaux qui m'ont le plus frappé, et que je savais être les plus

estimés des connaisseurs.

Vous y trouverez quelques anecdotes peu connues, je crois, et qui n'ont jamais été imprimées elles vous feront juger des mœurs à différentes époques; chose toujours essentielle à observer, vu leur intime rapport avec les lettres.

Je ne parlerai point des auteurs vivants; beaucoup de considérations s'y opposent. Il faut voir l'homme en entier, avant de prononcer sur lui un jugement impartial et positif. N'avons-nous pas vu souvent un auteur, ou se rétracter, ou dire tout le contraire de ce qu'il avait dit précédemment? Nous avons eu, à cet égard, un exemple récent et remarquable (1).

(1) L'abjuration faite par M. de La Harpe de toutes ses erreurs philosophiques.

Pour appuyer mes opinions, j'ai pris la liberté de citer celles de quelques écrivains dont les jugements, en fait de littérature, sont généralement respectés.

La grande réputation de M. de La Harpe m'avait donné l'idée la plus avantageuse de son ouvrage, intitulé: Lycée, ou Cours de littérature ancienne et moderne; mais quoique j'en reconnaisse le mérite et l'utilité, je suis cependant obligé de dire qu'il n'a pas tout-à-fait répondu à mon attente. De douze gros volumes que forment ses dissertations, les trois premiers. sont consacrés à la littérature grecque et romaine; les neuf autres volumes, à la littérature française: et quoiqu'il se serve de l'expression générale de littérature moderne, il ne parle point de celle des autres nations, si nous en exceptons quelques auteurs, comme Shakespear, Pope, Milton, et qu'il ne cite qu'en passant, par manière de comparaison, et comme sujet de remarque, en traitant des écrivains français.

Entraîné peut-être par son propre goût,

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