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nistres de la religion virent diminuer le respect qu'on leur avait porté jusqu'alors. Dans l'église, on ne voyait plus ni Bourdaloue, ni Bossuet, ni Fénélon, ni Fléchier, ni Massillon, et tant d'autres grands hommes, qui, si j'ose le dire, honorèrent la religion par leur génie et leurs talents, et qui, dans leur vie privée, mirent en pratique la doctrine qu'ils enseignaient. Nous voyons Bossuet et Fénélon quittant la cour brillante de Versailles, allant dans les cabanes du paysan, apprenant aux enfants le catéchisme, instruisant les uns, conseillant les autres, et portant des consolations partout. Les grands hommes de l'église de ce temps-là, animés par les devoirs de leur état, et supérieurs à tout intérêt personnel, osèrent exposer au superbe Louis XIV, et ses fautes et ses faiblesses; et on voyait ce grand roi lui-même, ces généraux si cé lèbres par tant de victoires, Condé et Turenne, Luxembourg et Catinat, Berwick et Villars, implorant la protection de celui qui gouverne l'univers, et, en toute humi

lité, prosternant leurs fronts couronnés de lauriers devant les autels de la religion.

On devait s'attendre que la révolution dans le gouvernement français, influerait nécessairement sur le style et les usages de la société; mais il est fàcheux qu'elle ait influé aussi sur la langue elle-même par des innovations sans nombre, et par l'introduction d'une foule de mots, d'autant moins excusables, que ces mots, nouvellement fabriqués, n'étaient nullement nécessaires. Quelques hommes de lettres ont cherché à arrêter ce débordement. L'un d'eux a observé que les langues sont bien moins riches par l'abondance des mots que par la combinaison ét la place que sait leur donner le génie. Un homme médiocre, qui ne connaît pas les ressources de la sienne, se hâte de revêtir d'un mot extraordinaire et inusité ce qu'il lui plait d'appeler sa pensée. On est contraint de se perdre dans le bizarre, quand on n'a pas le talent d'être juste et naturel. Mais l'homme de génie

trouve tous les moyens d'exprimer ce qu'il sent et ce qu'il pense, dans une nouvelle association des mots qui existent déjà, et qu'il sait rapprocher sans efforts.

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Quel est, de tous les écrivains français, celui qui, dans ce siècle, à répandu le plus d'idées fortes et profondes ? C'est sans contredit Montesquieu. Ouvrons le livre de la grandeur et de la décadence des Romains, qui est à mon avis son chef-d'œuvre. Eh bien! dans ce livre si court et si plein, où la pensée a tant de profondeur et de justesse, et l'expression tant d'éclat et de simplicité, Montesquieu a-t-il eu besoin de recourir à des termes nouveaux? On n'en trouve pas un seul qui ne soit dans Pascal et dans Bossuet; et ces trois manières, quoique différentes entre elles, sont toutes les trois assurément très originales.

» Il est inutile, sans doute, d'avertir qu'en s'élevant contre l'emploi de ces termes inusités, on ne prétend point parler de la langue propre aux sciences ou à la métaphysique. Mais la langue de l'imagina

tion et du raisonnement est fixée. Ceux qui portent aujourd'hui dans ces genres un véritable talent, ne se feront pas un style neuf, en prodiguant de nouveaux mots. Les combinaisons d'une langue qui paraît épuisée, redeviennent toujours inépuisables pour les grands écrivains. »

Aucun théâtre de l'Europe n'était aussi pur, aussi scrupuleux que le théâtre français avant la révolution. Cela paraît un paradoxe, mais c'est une vérité. Plus les nations deviennent policées et le luxe dominant, plus les mœurs se corrompent; en même temps le goût se raffine, et le langage de la société devient plus épuré. Une politesse recherchée règne dans les manières, et un homme bien élevé, quoique déréglé dans ses mœurs, a toujours l'attention de ne jamais blesser la décence devant les femmes, et de ne point les embarrasser. Je parle en général. C'est ainsi qu'en évitant des expressions peu délicates, on parvient, par des tournures ingénieuses,à habituer la pudeur même à tout entendre, en pa

raissant tout ignorer. Dans le temps où les mœurs des Romains étaient le plus corrompues, César se faisait remarquer par ses déréglements. Mais ce même Césarjoignait à toutes ses rares qualités, une rare délicatesse dans ses pensées et une grande décence dans ses propos. Appelé en témoignage contre Publius Claudius, amant de sa femme, César dit qu'il ne savait rien; et comme on lui demandait pourquoi il avait répudié sa femme, parce qu'il faut, répondit-il, que la femme de César ne soit pas même soupçonnée.

La nation française, qui a si long-temps influé sur la politique, les mœurs et le goût des autres nations de l'Europe, mérite d'être étudiée sous plusieurs rapports intéressants. C'est en lisant les lettres et les mémoires écrits à différentes époques, qu'on peut s'en former une juste idée. Ces sortes d'ouvrages peignent les mœurs d'une nation, les changements qu'elles ont éprouvés, et font connaître les personnages, tandis que l'histoire ne fait que retracer

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