Page images
PDF
EPUB

de ses conquêtes notre esprit, notre goût et nos Arts; qui ambitionna sur le trône, l'honneur de se placer au rang de nos poètes, et confia lui-même les Annales de sa maison à notre langue, comme à la plus digne de les conserver? Oublierais-je qu'aux bords de la Newa, une Impératrice fameuse par un règne aussi long qu'éclatant, voulut coopérer elle-même à la traduction de nos ouvrages célèbres qu'on avait entreprise par ses ordres? L'admiration pour nos grands écrivains devenait universelle comme notre Littérature. Les Rois se plaisaient à correspondre avec eux dans leur langue : ils les appelaient dans leurs Etats comme autrefois Philippe avait appelé à sa Cour le précepteur d'Alexandre, pour y présider à l'éducation de l'héritier de leur Couronne. Ils leur offraient de l'estime, des richesses et des honneurs; et quand ces Hommes généreux ne voulaient accepter que l'estime, les Rois se montraient assez justes pour ne pas s'étonner de leur refus.

Ils les honoraient davantage en adoptant leurs principes, en puisant dans leurs maximes des bienfaits pour l'humanité. La ser

vitude abolie en Dannemark par Christian VII et son vertueux Ministre Bernstorff; la Tolerance proclamée à-la-fois à Stockholm et à Pétersbourg; la Législation criminelle adoucie et sagement réformée dans le Nord, et dans cette Italie où la Philosophie de Montesquieu avait trouvé pour disciples les Beccaria et les Filangieri; voilà, sans doute, les plus flatteurs, voilà les plus dignes hommages rendus aux Lettres françaises, et souvent renouvelés dans ce siècle où le Génie de nos écrivains politiques parut en quelque sorte siéger dans les Diètes Européennes et dans les Conseils des Rois.

On voyait renaître ces jours de l'Antiquité où les Peuples confiaient à des Sages étrangers l'édifice de la Législation nationale. Un Peuple voisin, long-tems asservi, secoue le joug de ses vainqueurs ; il veut se donner une Constitution et des Lois; et il les demande à un Philosophe français: une Nation généreuse se rend indépendante dans le Nouveau-Monde; elle veut se donner une Constitution et des Lois; et elle les demande à un Philosophe français. Partout s'établissent des Académies françaises, partout des Théâ

tres français. Un Traité se conclut dans les glaces du Nord, entre le Successeur des Sultans et l'Héritière des Czars, et ce Traité se rédige en français. Enfin une Académie étrangère propose pour sujet d'un concours l'universalité de la Langue française, et elle couronne un Français. Quelle fut jamais la Nation qui reçut tant de gloire de sa Littérature? Quel fut jamais le siècle illustre qui lui attira tant d'honneurs?

Si nous portons nos regards sur les Ages fameux de l'Antiquité, nous y voyons les lumières soumises, en quelque sorte, à la division géographique des États, Les institutions mêmes de ces peuples, leur fanatisme politique, ne leur permettaient point d'assigner pour but à leurs travaux le bonheur du genre humain, ni d'étendre leurs affections à toute la famille des hommes. Comme leurs vertus n'étaient que patriotiques, leur littérature ne fut que nationale. Ils semblaient voir dans les bienfaits de la Philosophie et des Arts un des droits exclusifs de la Cité autour d'eux tout était barbare.

Chez les Modernes, au contraire, des dé

couvertes sublimes ont rendu accessible à tous les peuples la noble carrière des Lettres et de la civilisation. Dès-là ces peuples, si souvent divisés par la politique et par les armes,

ont tendu constamment à s'unir dans la culture des arts, et à ne plus former enfin qu'une République des Lettres où circuleraient sans cesse, en se multipliant par la circulation, toutes les richesses de l'esprit et de la raison humaine. Il fut donné au dixhuitième Siècle d'achever ce magnifique ouvrage. Une Littérature où se trouvaient discutés les droits et les devoirs de tous les hommes

devait être adoptée par le genre humain. Elle a fait de l'Europe entière l'immense patrie des Arts, de la Civilisation et du Génie.

Il fallait à cette Patrie des Lettres, une langue commune à tous ses citoyens. Longtems tous les Savans de l'Europe n'avaient écrit qu'en Langue Latine: cet usage utile pour eux, et qui les rendait tous en quelque sorte compatriotes, était loin d'être aussi favorable à l'instruction du reste des lecteurs. Il devait empêcher les Sciences de s'introduire dans le monde, de descendre à tous les rangs de la société et s'il avait

été suivi plus long-tems, il eût séparé les hommes en deux classes dont l'une aurait pu tout apprendre, et l'autre aurait été forcée de presque tout ignorer. La Langue Française, devenue pour ainsi dire, chez tous les peuples, langue usuelle pour les hommes dont l'éducation avait été cultivée, sans avoir les inconvéniens de l'idiôme scientifique, pouvait en réunir les plus grands avantages: elle le pouvait sur-tout à une époque où il ne se faisait pas en Europe une seule découverte vraiment remarquable, qui ne fût aussitôt expliquée et développée dans notre Langue; à une époque où les Sciences, parées des charmes du style, enrichies parmi nous de découvertes nouvelles et d'heureuses théories, ou habilement appliquées aux Arts, s'embellissaient, se fécondaient ou devenaient plus utiles, sous la plume des disciples de Buffon, sous le compas des rivaux de d'Alembert, dans les amphithéâtres ou dans les laboratoires des émules de Daubenton et de Lavoisier.

Tel était l'état des Sciences et des Lettres en France, quand éclata la Révolution.... A ce mot un profond silence semble inter

« PreviousContinue »