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supérieurs du moins aux drames long-tems fameux, de tous ces tragiques efféminés qui dans le siècle même de Racine, avaient osé se disputer les débris de son héritage. Le Franc voyait se multiplier les représentations de Didon; Saurin, de Spartacus; Lemierre, d'Hypermnestre; Dubelloy, du Siége de Calais; la Harpe écrivait Mélanie; et Guimond de la Touche devenait célèbre par le succès de la seule Iphigénie en Tauride.

L'étranger qui venait dans nos murs chercher des lumières et des plaisirs, passait-il de ces spectacles enchanteurs dans nos cercles alors célèbres, il y trouvait encore la Littérature et les Arts; des gens de lettres qui possédaient les agrémens, l'urbanité de l'homme du monde; des gens du monde et des femmes même, en qui l'on reconnoissait l'habitude de réfléchir et le goût raisonné de l'homme de lettres. Ces études, ces lumières brillaient dans tous les entretiens, animaient toutes les réunions. La célébrité d'un bon ouvrage en devançait la publication; ses lectures étaient des fêtes, son apparition un événement public. Chaque jour voyait s'ouvrir de nouvelles Sociétés littéraires, se former de

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nouveaux établissemens favorables au progrès des connaissances. humaines. Il semblait que l'amour - propre de la Nation ne trouvant point alors d'alimens dans les faits. d'armes et dans les événemens de la Politique, se fût retranché tout entier dans les succès de la Littérature.

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Bien au dessus de toutes ces réunions, qui cependant méritent un souvenir, l'Académie Française, environnée de la considération publique, brillait depuis le milieu du Siècle, d'un éclat qu'elle n'avait jamais eu auparavant, lors même que sous le règne de Louis, elle possédait dans son sein les Bossuets et les Fénélons, les Corneilles et les Racines. Ses séances, long-tems désertes, étaient devenues en quelque sorte un spectacle national, qui rappelait, sans les égaler, les solennités littéraires de la Grèce. Les discours de réception ne se bornaient plus à un vain protocole de louanges et de remercîmens. Des questions utiles aux lettres ou à la philosophie s'y trouvaient quelquefois traitées avec autant de justesse que d'élégance. On abandonnait dans les concours ces dissertations oiseuses sur la Morale, pa

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trimoine héréditaire des rhéteurs. On proposait à l'émulation publique les Éloges des grands hommes qui avaient honoré la patrie. Les sujets vraiment oratoires font naître les Orateurs. C'est peut être à cette heureuse innovation que nous devons le panégyriste de Descartes et de Marc-Aurèle. Nous lui devons du moins l'Essai sur les Eloges, ouvrage trop peu vanté, où les causes de la grandeur et de la décadence des lettres considérées chez tous les Peuples dans leur rapport avec les événemens politiques, sont quelquefois pénétrées avec une supériorité de raison, exposées avec un éclat et une énergie de style qui décèlent un heureux disciple de Tacite et de Montesquieu; chefd'œuvre d'un Orateur en qui tant de gens affectent de méconnaître un esprit vigoureux, une ame élevée ; et qui doit en effet, trouver à ce double titre, plus de censeurs que de rivaux.

par

L'exemple donné l'Académie française ne tarda pas à être suivi de toutes les Sociétés savantes. L'Éloge de Corneille fut proposé à Rouen, comme l'Éloge de Du. quesne à Marseille, l'Éloge de Leibnitz à

Berlin, où un Français remporta le prix. Et l'Éloquence académique, long-tems accusée de n'avoir aucun objet, acquit un intérêt patriotique, une considération légitime, dès lors qu'on la vit appelée à faire dans l'éloge de nos grands Hommes le panégyrique de la Nation.

L'Eloquence judiciaire dont on a vu les progrès au commencement du siècle, en s'alliant depuis à la philosophie, en avait reçu plus d'intérêt, plus de force et de grandeur. Chaque fois que dans les Cours du Royaume il se présentait de ces questions principales dont la solution importe à l'ordre des sociétés humaines, et qui permettent les vues générales, elles y trouvaient à la fois des talens faits pour les agiter, une sagesse capable de les résoudre. Les Servans, les Dupatys, les Lachalotais, les Montclars, faisaient alors entendre dans le sanctuaire de nos Lois, des harangues dignes par leur philosophie du siécle où elles étaient prononcées, dignes par leur éloquence du bareau d'Athènes ou de Rome, et qui semblaient présager ce que devait être parmi nous l'éloquence politique, quand des événe

mens prochains, mais imprévus, viendraient en ouvrir la carrière.

Avant même qu'elle se fût agrandie par ces dernières conquêtes, l'Eloquence avait brillé d'un tel lustre dans les grands Maîtres de ce siècle, elle avait exprimé les passions avec tant de charme et d'énergie, elle avait peint la nature avec tant de grace et de fierté, qu'elle était enfin devenue un objet d'émulation pour la Poésie elle-même, et devait à son tour influer sur cet art difficile et sublime qui, dans toutes les littératures, commence par la devancer, et finit quelquefois la suivre.

par

Notre poésie, qui s'est formée principale ment au théâtre, abondante en traits de sentimens, et en expressions morales, était loin d'être aussi féconde en images et en tournures pittoresques. Mais lorsque la prose française se fut montrée sous les pinceaux de Buffon et de J. J. Rousseau, si hardie et si vraie dans ses peintures, si riche dans ses couleurs, alors on dut éprouver la noble ambition de transporter dans la Poésie ces pein

tures

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