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et pour l'utilité publique, qui pouvaient bien être joués chez quelques hommes de lettres, mais qui étaient alors les mobiles connus de la Littérature entière.

tel

Ici se présente à nos regards un spectacle

que n'en offrirent aucun siècle, aucune littérature. Ce ne sont pas quelques Sages s'appliquant dans la retraite à multiplier leurs connaissances, à éclairer leur raison; c'est une Nation entière qui se livre à toutes les études, accumule tous les succès. Ce ne sont pas quelques Princes favorisant la flatterie en récompensant les arts souvent introduits dans les cours sous le sauf- conduit de la louange, et payés pour prendre la livrée du maître ; c'est une Nation entière qui protège tous les arts. Ce ne sont pas quelques honneurs passagers, individuels, accordés par la puissance, obtenus par la faveur ; c'est une nouvelle noblesse proclamée par tout un peuple, la noblesse des talens; c'est une nouvelle dignité reconnue par tout un peuple, la dignité du génie; c'est un empire nouveau, celui de la raison et des lumières.

Cette admiration pour les talens, cette activité des esprits, se propagent dans la France

entière. On dirait à son enthousiasme, que la Nation est assemblée pour discuter ses intérêts les plus chers; et les grands Ecrivains de cette époque se présentent à l'imagination comme des Orateurs introduits dans son sein, moins pour obtenir ses suffrages que pour éclairer ses discussions.

C'est devant ce concours de la Nation que Buffon trace l'histoire de l'Homme et de Ja Nature; que Voltaire peint le génie et le caractère des Peuples; que Montesquieu révèle la pensée et fixe les devoirs des Législateurs; que Rousseau dévoile le cœur de l'homme, et proclame les principes d'une morale éternelle.

Un autre, écrivant l'histoire des établissemens européens en Asie et dans le Nouveau-Monde, attire sur ses travaux l'attention intéressée de toutes les Puissances maritimes et commerciales (1). Un autre empruntant la voix d'un illustre Citoyen d'A

(1) Raynal, justement célèbre, non pour de vaines déclamations condamnées par le goût comme par la sagesse, mais pour ses recherches toujours profondes et ses vues souvent lumineuses.

thènes, montre dans les seuls principes d'une morale raisonnée, les véritables ressorts d'un sage Gouvernement (1). Un autre, plus entreprenant, cherche dans un ouvrage sur l'Esprit humain, des bases universelles et constantes à la Morale elle-même et à la Législation (2). D'autres enfin appellent

(1) Les Entretiens de Phocion, par Mabli, le plus loué, mais non pas selon moi, le meilleur de ses ouvrages. Les Observations sur l'Histoire de France me paraissent, je l'avoue, fort supérieures, et le véritable titre de Mabli à une gloire durable. Il y a dans ce livre des connaissances et, ce qui vaut mieux, des lumières. Nul encore n'a répandu plus de jour sur les origines et les révolutions de nos institutions monarchiques et l'on sait que ses réflexions sur les règnes où la prérogative royale a pris le plus d'accroissement, ne sont pas indignes, malgré quelques erreurs, d'être méditées par les Philosophes et par les Hommes d'État,

(2) Helvétius. Heureux si, dans l'Ouvrage célèbre où il développe avec éclat des vérités très-fécondes, il n'avait pas revêtu d'un style ingénieux et rapide une doctrine désolante ou du moins de funestes erreurs ! Comment cette ame noble et généreuse a-t-elle done paru confondre l'amour de soi-même et l'égoïsme? Pourquoi, donnant pour mobile aux actions humaines l'intérêt, cet homme dont la vie fut toujours pure, n'a-t-il pas su démêler en lui-même cet intérêt moral sans lee quel on n'expliquera jamais une conduite vertueuse? Ses actions ont réfuté son Livre; il s'était calomnié.

l'attention de tous les hommes éclairés et la vigilance du Gouvernement sur l'industrie, sur le commerce, et plus encore sur l'agriculture, trop négligée par Colbert. Ils remontent à toutes les sources de la richesse des nations, préparent dans nos finances des réformes salutaires, autorisent dans leur siècle de passagères erreurs, et laissent à la postérité des bienfaits durables.

Unissant donc leurs efforts, consacrant leurs veilles à l'étude générale de la Nature, de l'Homme, de la Morale, de l'Administration ou des Lois, tous ces Ecrivains philosophes semblaient se proposer un but plus utile que la fortune, plus grand que la renommée. Ainsi passa dans leurs mains. le sceptre de l'opinion publique. Une Nation passionnée pour la gloire et pour les plaisirs, sembla l'offrir par acclamation à ceux qui faisaient alors et ses plus nobles plaisirs, et sa plus éclatante, ou plutôt son unique gloire.

Tandis que ce Peuple sensible et grand, fait pour tous les genres de triomphes, mais alors retenu par une Administration faible,

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trop au-dessous de lui-même et de ses destinées, n'éprouvait plus que des revers, ses Philosophes, ses Ecrivains, conservaient et agrandissaient encore en Europe sa réputation, que ses Généraux et ses Ministres semblaient devoir avilir. En donnant tant de splendeur à son existence nationale, ils embellissaient aussi les jours de son existence civile. Ils avaient fait de Paris la véritable Métropole des lettres, des connaissances humaines; et les hommes instruits, les savans dans les genres les plus divers, qui venaient de toutes les parties du Monde étudier dans son sein la philosophie ou les arts, s'y trouvaient tous dans leur patrie.

Le Théâtre offrait à leurs yeux les plus ravissans spectacles. La révolution que le génie de Voltaire avait faite dans le Poème tragique, le talent des le Kains, des Clairons et des Dumesrils l'opérait dans sa représentation. Ils y mettaient plus d'action, d'éclat et de véhémence. La vérité de leur jeu, leur déclamation savante, faisaient paraître dans tout leur lustre les chefs-d'œuvres de ce grand Maître, et savaient encore embellir d'autres ouvrages inférieurs sans doute, mais bien

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