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qu'on l'examinait davantage, formait dèslors parmi nous de dignes élèves et un successeur. Le Géomètre, qui dans son Traité de Dynamique, avait rapporté à un principe unique toutes les lois du mouvement, en résolvant depuis le problême de la précession des Équinoxes, faisait franchir à la Science

les limites où le Génie de Newton s'était arrêté. Toutes les Sciences agrandies chaque jour par des découvertes heureuses, appliquées avec succès aux Arts mécaniques, en hâtaient le perfectionnement et les Arts perfectionnés, en permettant d'apporter dans la construction des instrumens plus de justesse et de précision, hâtaient beaucoup à leur tour le rapide progrès des Sciences.

En expliquant les lois générales de l'Univers, Newton avait appris aux Physiciens à n'admettre que des Théories précises et calculées (1). Et tout ce qui est dans la Nature étendue, figure ou mouvement, fut soumis à l'appréciation rigoureuse du Calcul.

(1) Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'Esprit humain.

Le Siècle instruit par un tel Maître, devait être celui des découvertes sans doute, mais il devait plus encore, il devait nécessaire-· ment être celui des bonnes méthodes et des grandes applications.

Loke eut bientôt, comme Newton, ses admirateurs et ses disciples. Comme le mécanisme de l'Univers, celui de l'entendement humain fut dévoilé (1). Bacon dont le grand génie pressentit et parut devancer les découvertes physiques de Newton, avait été le fondateur en Europe de la philosophie expérimentale, et le véritable inventeur de l'Analyse de l'Esprit humain. Depuis, Loke était remonté à l'origine de nos connaissances. Il avait prouvé que toutes nos idées ne sont que le résulat des opérations de notre intelligence sur nos sensations ou sur leurs souvenirs. Il avait démontré quelle est la nature des vérités accessibles à

(1) Je me sers ici de l'expression consacrée par l'usage en la prenant dans un sens trop rigoureux, l'on a quelquefois prêté à des Philosophes célèbres des opinions dangereuses qu'ils étaient bien loin de professer.

cette même intelligence; ce qu'il lui est possible de connaître, et ce qu'elle est forcée d'ignorer. Pénétrant, après lui, plus avant dans la route qu'il avait ouverte, mais non pas entièrement frayée, Condillac expose avec clarté, avec précision, avec étendue, ce qu'avait découvert son maître, et ce qu'il lui avait appris à découvrir. Il trace le Tableau généalogique des idées, il en fait voir la filiation, il les représente dans ses analyses sous des formes aussi distinctes que celles des objets qui frappent les sens. Il apprécie l'influence du langage sur la justesse des pensées et lorsqu'il n'exagère point les conséquences de ses principes, il donne à la Langue française cette exactitude rigoureuse dont le modèle n'existait nulle part. En dévoilant tout l'artifice des opérations de l'entendement, il enseigne à les diriger toutes conformément à nos facultés. Dès-lors, sa méthode analytique devient générale : il l'applique avec succès à l'Art de penser, à l'Art de raisonner, à l'Histoire, à l'Économie politique, à l'Astronomie elle-même et à la Science des calculs. D'autres imitent son exemple. Et les procédés des Arts, comme les théories et les observations des Sciences

physiques, reçoivent plus de précision de cette méthode qui est celle de l'esprit humain.

L'analyse des sensations et des idées conduisit sur-tout à l'analyse de leurs signes, ou du langage. Le même Condillac, Duclos, et ce Dumarsais si éminemment doué du caractère et de l'esprit philosophiques, en soumet. tant à des vues générales les principes isolés de la Grammaire, exécutèrent enfin avec justesse ce que les Écrivains de Port-Royal

avaient heureusement tenté. De l'examen des principes et du mécanisme des langues, l'esprit d'Analyse s'introduisit dans la critique raisonnée des préceptes du goût. Alors parurent divers ouvrages où ces préceptes particuliers étaient réunis et coordonnés en un systême général, où les beautés et les défauts des grands Maîtres étaient discutés d'après des principes méthodiques, et décomposés, pour ainsi dire, avec une sorte de précision anatomique, quelquefois trop rigoureuse genre d'écrits estimable et utile, presque totalement inconnu au grand Siècle de Louis XIV qui, riche jusqu'à l'opulence, mais ne calculant pas ses richesses, eut plus

de

de talens que de lumières (1), et laissa moins de préceptes que d'exemples.

Durant tout le cours du dix-huitième Siècle, au contraire, les Écrivains les plus habiles se sont empressés d'initier la Nation dans les secrets de leur art. Jamais on ne prit tant de soins pour conserver la pureté de la langue et celle du goût; jamais on ne mit tant de zèle à répandre les saines doctrines. Et les ouvrages critiques de Voltaire, l'Essai sur les Éloges de Thomas, le Lycée de La Harpe, l'Art d'écrire de Condillac, les Élémens de Littérature de Marmontel, et quelques autres écrits, fruits de diverses plumes célèbres, assurent à ce Siècle dans la Rhétorique et dans la Critique littéraire, une immense supériorité.

Tandis que des genres nouveaux, ou du moins devenus tels par la manière de les traiter, agrandissaient ainsi notre Littérature, on était loin de négliger ceux qui l'avaient déjà illustrée. L'érudition même, (dont les

(1) Siècle de grands talens bien plus que de lumières.

VOLT.

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