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Supérieur aux Plines et aux Aristotes dans l'histoire des animaux, de leurs mœurs et de leur industrie, il dut cette supériorité aux circonstances, plus encore peut-être qu'à son talent. Les conquêtes d'Alexandre n'avaient soumis aux observations de son illustre précepteur que les contrées de l'Asie: et l'Univers romain ne renfermait que les trois parties de l'Ancien-Monde, très-imparfaitement connu. Au contraire, les progrès du Commerce et de la Navigation mettaient, pour ainsi dire, sous les yeux de Buffon, toute la surface du Globe. Tout concourait à rendre ses travaux plus vastes et plus faciles. Digne de les partager, ami de ce grand peintre, le modeste Daubenton, prêtait à son ardent Génie l'appui de l'expérience et les secours de l'étude. L'éclat de son éloquence parut aussi se réfléchir sur l'objet même de ses travaux, et leur donna un intérêt qui tournait encore à leur avantage. D'augustes Étrangers, des Rois mêmes, se montraient jaloux de concourir au succès de sa noble entreprise; et des climats les plus divers, il recevait à-lafois des louanges, et, ce qui vaut beaucoup

un

mieux,' des matériaux nécessaires, des recherches et des instructions.

Le bienfait le plus signalé de Buffon envers les Sciences physiques est de leur avoir fait part de sa gloire, et de sa considération personnelle. Il les servit beaucoup par son éloquence, beaucoup par ses méditations; il les servit encore par ses hypothèses, qui semblaient devoir les égarer. L'audace même de ses erreurs agita vivement les esprits. Dans un Siècle où les Savans ramenaient tout à l'expérience, on ne pouvait voir sans surprise le plus illustre parmi eux rétrograder vers des systèmes qui paraîtraient appartenir à ces siècles d'imagination beaucoup plus que de philosophie, où l'on dédaignait d'observer, parce qu'il était plus facile d'inventer la Nature que de la trouver, et de construire un Monde que de le connaître. Dans les siècles dont je parle, ces erreurs d'un grand Écrivain auraient pu devenir celles de la Science elle-même, et lui être long-tems funestes: elles ne furent qu'utiles dans un âge trop éclairé pour n'y pas démêler les germes d'un grand nombre de

vérités fécondes. On leur a dû peut-être cette science, jusqu'alors ignorée ou négligée parmi nous, qui, s'efforçant de découvrir l'état primitif du Globe et ses antiques révolutions, en a fait mieux étudier l'état présent et les lois éternelles.

D'ailleurs, même en supposant que l'influence de ces erreurs pouvait être contagieuse, elle fut contrebalancée, ou plutôt détruite dès ce tems là, par une influence toute contraire. Un hasard favorable aux Sciences avait rendu, contemporains deux hommes qui, pour leur être également utiles, devaient paraître à la même époque, et suivre une route opposée. Tandis que le Philosophe français les rappelait à ces systèmes, faibles dédommagemens pour le Génie qui souffre à ignorer ce qu'il est impossible de savoir, un Naturaliste suédois, esprit sage, étendu, philosophique, et cependant ingénieux, les assujétissait sans retour à l'expérience, les soumettait à l'observation, et leur formait une de ces langues qu'on appelle des Méthodes, parce qu'elles doivent présenter, comme dans un tableau progressif, toutes les vérités successives d'une

Science. Linnée fit mieux connaître la Nature; Buffon la fit plus aimer. Une impulsion puissante et une direction sure données en même tems, des deux bouts de l'Europe, aux Sciences natnrelles, pouvaient dès-lors faire pressentir leurs succès dans le monde, et leurs nouveaux progrès : progrès qui devaient être à la fois si brillans et si rapides lorsque, par la réunion de toutes les Sciences, chacune d'elles pourrait emprunter le secours de toutes les autres; lorsque, s'alliant toutes à l'Art d'écrire, elles en auraient reçu plus d'éclat, et que se conciliant l'intérêt général, elles seraient divulguées plus ou moins à toutes les classes de la Société

non seulement par des ouvrages écrits d'un style que les Savans n'avaient point connu jusqu'alors, mais dans des chaires publiques et par l'instruction orale; lorsqu'enfin étant appliquées à tous les Arts, à l'Agriculture, à l'Industrie, leurs résultats les moins vulgaires seraient en quelque sorte devenus le patrimoine de tous les hommes, et l'une des sources réelles de la richesse des Nations.

Les Sciences exactes elles-mêmes, suivirent cette impulsion donnée par les Lettres

et par la Philosophie à toutes les connaissances humaines. Les Théories de Newton ses Découvertes qui devaient changer toute la face des Sciences, ne tardèrent pas à être adoptées dès qu'on put les mieux connaître. Déjà l'Académie des Sciences s'était concilié la confiance et le respect des Nations étrangères: et tandis que parmi ses membres les plus célèbres, ceux-ci sous les glaces du Pôle, ceux-là sous les feux de l'Équateur, mesuraient cet arc du Méridien qui devait fixer la figure de la Terre, cette Compagnie toujours plus illustre, voyait se signaler à l'envi dans ses Concours, ouverts seulement depuis quelques années (1), les Savans les plus renommés de l'Europe, et paraître au milieu d'eux avec gloire une femme française, digne d'être l'amie de Voltaire, et de commenter Newton.

Ce grand homme, plus admiré à mesure

1722

(1) Ce fut sous le règne de Louis XV, en 1 que M. Rouillé de Meslai, conseiller au Parlement, fonda un prix annuel à l'Académie des Sciences.

M. de Caylus en fonda un à l'Académie des Belles. Lettres, en 1754.

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