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un impie, parce qu'il avoit eu le malheur de naître hors du sein de l'Eglise ? Où puisait-on avant lui, les preuves de ces vérités surnaturelles de l'existence d'un Être suprême, de la dignité et des devoirs de l'homme ? Dans des livres, dans la tradition, dans des faits plus ou moins contestés, dans des autorités saintes et respectables sans doute, mais que des peuples entiers n'admettent pas. Pour lui, c'est dans le cœur même de l'homme qu'il trouve les preuves et le besoin de ces vérités primitives. Il lui apprend ses devoirs, en lui expliquant sa nature : il rend sensible à sa raison le témoignage de sa conscience.

Une morale si persuasive semblait lui ouvrir tous les cœurs, en gagnant l'estime de ceux mêmes qui donnaient peu de confiance à ses principes de philosophie. Mais ce fut moins encore le moraliste que l'éloquent écrivain qui fit naître pour le philosophe un si vif enthousiasme, et rallia sans peine autour de lui une foule nombreuse de disciples. Sa logique était si pressanté que d'excellens esprits ont pu croire qu'elle l'avait entraîné lui-même; elle était si captieuse qu'elle semblait quelquefois conduire de

l'erreur à la vérité par une chaîne non in terrompue. Plus habile encore cependant à intéresser la passion qu'à subjuguer la raison, à l'éclairer ou à l'éblouir, ne pouvait-il attacher la conviction à ses idées? il savait concilier la persuasion à ses sentimens: fidèle en cela même à ses principes qui, n'admettant point de perversité originelle dans le cœur humain, et supposant que les premiers mouvemens de la nature sont toujours droits devaient nécessairement le conduire à donner moins de confiance à la raison qu'au sentiment intérieur, plus inaccessible au contact des intérêts, des besoins et des convenances factices.

Qui jamais posséda comme lui cette logique des passions humaines, cette éloquence pénétrante où le raisonnement revêtu d'images, devient, en quelque sorte, palpable à nos

sens,

où la morale animée et fondue en sentiment, porte la persuasion par torrens dans l'esprit et dans le cœur ? Ses tours, ses mouvemens libres, hardis, pressés, éclatans, se précipitent l'un sur l'autre, et devancent l'imagination qu'ils laissent long-temps ébranlée. Dans ce tourbillon d'éloquence,

il circonvient le cœur de toutes parts, il le saisit, il l'enlève, et l'entraîne à volonté dans toutes les émotions qui l'agitent. Il passionne l'idée, l'image, la parole. Son style est l'éloquence elle-même définie par Cicéron; c'est le mouvement continu de l'ame. Son élocution hasardeuse avec prudence, prouve par sa richesse et sa nouveauté qu'il est des hardiesses réservées à la prose oratoire, et qui ne sont pas du domaine de la poésie. Son harmonie toujours soutenue, toujours nouvelle, sait imiter, peindre, embellir avec vérité tous les objets de la nature, tous les mouvemens de l'imagination. Il transporte enfin dans notre prose la perfection continue des Racines et des Boileaux; perfection qui, j'ose le dire, ne se trouve point au même degré dans les prosateurs du règne de Louis, où la poésie, au contraire, fut plus parfaite dans ses chefs-d'œuvres qu'elle ne l'a jamais été depuis. Massillon, avec moins de génie que les Pascals et les Bossuets, avait eu plus de pureté, plus d'élégance, une plus savante correction. Après Massillon lui-même, et lorsque déjà Voltaire avait donné à notre langue tant de clarté, tant de grace et de souplesse, lorsque déjà

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Montesquieu lui avait fait prendre à la fois la vivacité nerveuse dans sa marche, la variété pittoresque dans ses tours, Rousseau, qui ne posséda peut-être des qualités éminentes du génie que celles dont l'origine est dans une ardente sensibilité, Rousseau qui réunit toujours les ressources oratoires et les séductions de l'éloquence à la perfection de l'art d'écrire, s'est montré, par cette perfection même, je ne dirai pas le plus grand, mais le plus habile de nos prosateurs. Et la langue maniée avec tant de puissance et d'industrie par trois classiques si diversement supérieurs, aurait semblé désormais ne pouvoir plus rien acquérir, si Buffon, dès la même époque, ne l'avait encore fait voir plus pompeuse dans ses expressions, plus constamment riche dans ses couleurs, et parée quelquefois avec un excès de magnifi

cence..

L'Historien de la nature en fut, dit-on le Romancier ses systèmes aujourd'hui sont désavoués par la Science; mais toujours sa noble éloquence, quoique peut-être un peu fastueuse, sera citée comme modèle, et admirée par le goût elle lui assure un rang

entre les premiers de nos Classiques. Et quelle autre place assigner à cet homme qui peint la Nature, et dans la majesté de ses tableaux lui conserve l'empreinte divine qu'y laissa la main de son auteur ? En retraçant tour-àtour, et ces mondes lumineux qui roulent sur nos têtes, et les moindres des animaux que nous soumettons à nos lois, toujours semblable à lui-même, en se variant toujours, il paraît mériter ce mot par lequel on a voulu caractériser le créateur des Esprits célestes et des Vermisseaux: il n'est ni plus grand dans les uns, ni plus petit dans les autres (1). Son élévation est si naturelle qu'on ne le sent jamais s'élever ; il ne s'élance pas, il plane par-dessus tous ses sujets, et semble tous les voir de la même hauteur. Il prodigue les tours de l'éloquence, sans se permettre les mouvemens oratoires; et plein de beautés qui frappent sans surprendre, il conserve toujours un tel ensemble de style que le feu de la composition est partout, et ne se montre nulle part, semblable à la clarté du jour également répandue dans l'espace.

(1) Ce mot est de Saint-Augustin: Nec major in nec minor in illis.

istis,

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