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flammer, pour instruire et entraîner des Français; Homme universel comme notre Littérature à l'époque où il vécut, et qui rassemble en lui seul presque tous les genres de gloire de son Siècle !

Dans ce siècle où la République des Lettres avait des Citoyens si puissans, il l'a transformée en un Empire; et toutes les conquêtes ont illustré son règne, toutes les palmes ont ombragé son trône. Du haut de ce trône auguste, il semble tenir les rênes de l'opinion publique en Europe. Tous les regards sont fixés sur lui. Les plaintes des opprimés ou leurs bénédictions, le suffrage des Nations et l'estime des Princes, viennent le chercher de toutes parts. J'aperçois dans sa retraite des Têtes couronnées, des Rois assez grands pour reconnaître en lui cette royauté nouvelle qui ne doit rien au hasard. Ils viennent accorder à ce Monarque des Lettres, le tribut de l'adiniration, et n'exigent pour la Puissance que le respect de l'Amitié. Des philosophes étrangers, des hommes d'état, des ministres, tous les talens, toutes les renommées, s'empressent d'agrandir à l'envi par leurs hommages, sa

renommée prédominante: exemple mémorable des grandeurs et de l'autorité du Génie, mis une fois à sa place avant sa mort!

Un tel exemple, sans doute, devait exciter parmi les Ecrivains une émulation générale: il offrait à leurs talens de nouvelles récompenses, il fit prendre à leurs travaux une nouvelle direction. Sous le règne de Louis XIV qui sut, comme tous les Rois grands et heureux, aimer et encourager les Lettres, notre Littérature naissante dut voir le prix et le mobile de ses efforts dans l'estime et les bienfaits du Monarque. Sous le règne de Louis XV, qui n'avait pas les mêmes droits que son aïeul d'aimer et de protéger les Lettres, notre Littérature formée, et désormais sûre de sa force, trouvant partout les honneurs et une considération légitime, semble n'avoir connu pour prix et pour mobile, que le suffrage des talens supérieurs, l'estime et l'approbation publiques. Ce changement dont les effets se firent plus ou moins sentir dans toutes les classes d'Ecrivains permit à la Littérature des vérités et des erreurs qui ne pouvaient appartenir à une époque antérieure. C'est ce qu'il ne faut ja

mais oublier en jugeant le dix-huitième Siècle, lorsqu'on veut être juste, et n'être rien de plus. Il fut un moment où une lettre, un simple éloge, un souvenir, des vers flatteurs de Voltaire, semblèrent encourager, protéger même contre l'envie, ou exciter les talens, avec autant de puissance et plus d'éclat encore, que les bienfaits de ce Roi qui, dans le siècle précédent, rouvrait la Scène à Molière, appelait Racine à sa Cour, et répandait jusqu'au fond du Nord, sur les Arts et sur les Sciences, les témoignages de son estime pour tout ce qui était grand, sentiment qui parut en lui se confondre avec l'amour de la gloire. La Littérature du dixseptième Siècle fut celle du règne de Louis XIV; la Littérature, sous Louis XV, fut celle du siècle de Voltaire.

Cet ascendant que Voltaire avait pris sur tout son siècle dans la plupart des objets que peut embrasser l'esprit humain, Montesquieu l'obtint en Europe sur les hommes supérieurs, dans les matières les plus importantes. Jeune encore, il avait porté sur toutes les Institutions humaines un coup-d'oeil pénétrant et observateur. Dans le premier de ses ouvrages,

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paraissant vouloir cacher la profondeur de ses réflexions sous le voile d'une fiction ingénieuse, il sut mêler avec adresse à des peintures étrangères, l'examen de nos opinions sur des matières délicates, et rarement soumises avant lui à des discussions littéraires. On permit sans peine à des voyageurs asiatiques de se montrer peu respectueux pour quelques usages de l'Europe. En nous divertissant par leurs préjugés, ils semblaient acquérir le droit de se moquer un peu des nôtres ; et s'ils laissaient échapper des traits d'exagération, il fallait bien les pardonner à des imaginations orientales. De fréquentes allusions rendaient cette fiction plus piquante et les fautes du Cabinet de Versailles, transportées dans le Conseil d'Ispahan, offraient de vives leçons dans ce lointain favorable à la vérité, et surtout à ceux qui la disent (1). Des peintures riantes et

(1) Voyez, par exemple, avec quelle adresse il fait l'histoire de la Révocation de l'Édit de Nantes, sans qu'une seule expression cache un moment sa pensée Qu trahisse son secret, dans la 85 Lettre, qui commence par ces mots : « Tu sais, Mirza, que quelques » ministres de Cha-Soliman avaient formé le dessein

voluptueuses succèdant aux dissertations politiques ou morales, et des peintures comiques renfermées dans le même cadre avec le tableau des Empires et l'analyse des Gouvernemens, tout etait création dans ce livre qu'il faudrait nommer un prodige d'esprit, si ce n'était pas plus souvent un chef-d'œuvre de génie.

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A l'apparition des Lettres Persanes dont le succès eut tant d'éclat, l'on dut s'étonner, et se dire: Quel genre va choisir cet Ecrivain qui semble fait pour les embellir tous? Sil peint le vice et le ridicule, c'est la verve originale de Montaigne, le coup de pinceau de La Bruyère, le trait satirique de Pascal : s'il expose les principes. d'une haute Philosophie, c'est l'éloquence du Portique, l'imagination hardie de Platon:

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» d'obliger tous les Arméniens de Perse de quitter le » royaume ou de se faire Mahométans, etc. ». Usbeck expose dans cette lettre les conséquences politiques des persécutions que les Perses ont faites aux Guèbres : Et (mutato nomine, de te fabula narratur), on n'a rien écrit depuis, non seulement de plus ingénieux, mais de plus énergique contre les persécutions que les Français ont faites aux Protestans.

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