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losophie revêtue du coloris de l'imagination, qui ne caractérise pas moins Voltaire dans l'Épopée que dans la Tragédie (1).

Essaierai-je encore de saisir ce qui le caractérise le plus dans cette seconde Épopée, où il prend tous les tons et tous les styles, si piquant lorsqu'il invente, si original lors même qu'il imite, prodigue d'esprit et de pensées lorsqu'il cesse d'être riche en tableaux, et toujours fidèle aux Grâces lorsqu'il ne blesse point la pudeur? D'autres compareront peut-être à la Henriade cet ouvrage où il peint, en se jouant, mieux qu'aucun Historien, si on l'excepte lui- même, une époque singulière de l'Histoire, et les mœurs de deux grandes Nations: ils diront ce que

(1) Un nouvel Art de la Guerre, de nouveaux Cieux dévoilés par Newton, tous les progrès de la civilisation moderne, transportés dans les peintures épiques, n'étaient-ils pas encore des innovations aussi riches que hardies, non seulement dans notre langue, mais dans la poésie de toutes les Nations? Enfin ne doit-on pas avouer qu'il n'est aucune des parties de l'Art les plus négligées dans la Henriade dont elle n'offre quelquefois des exemples ou plutôt d'éclatans modèles ?

l'étendue et la vivacité de son esprit gagnaient à suivre sans contrainte les caprices de son imagination, et ce qu'a perdu son talent à braver trop souvent la décence, en oubliant, ce qu'il dit lui-même, que la bienséance est une vertu. Pour moi, sans m'arrêter plus long-tems sur ce Poème trop lu, mais non trop admiré, je me borne à remarquer les nouvelles richesses que notre versification et surtout notre Poésie doivent à son illustre Auteur. Dans cette même Épopée où le vers de dix syllabes, si peu noble chez les Écrivains du règne précédent, se montre enfin si énergique, si flexible et si varié; dans ces Discours sur l'Homme, et dans ces Épîtres où sont exposés avec tant de charme, les leçons d'une haute Morale, les systèmes de la Physique et les découvertes de l'Astronomie (1); dans cette foule de pièces fugitives échappées à l'étonnante fa

(1) Déjà vers le commencement du Siècle, on a vu Fontenelle transporter les Sciences dans le domaine de la Littérature. Louis Racine et sur-tout Voltaire, les introduisirent à leur tour dans le champ de la Poésie. Heureuses innovations qui devaient avoir sur les Lettres françaises une influence si étendue!

cilité

cilité de son génie, délices de tous les gens de goût, et auxquelles rien ne ressemble, non-seulement parmi nous, mais chez aucune Nation littéraire; enfin dans tout l'ensemble de ses ouvrages en vers que caractérisent sur-tout la soudaineté du trait, la multitude des pensécs, et l'art des rapprochemens il donne à notre langue poétique, dans tous les genres et dans tous les sujets, l'étendue et la clarté de son esprit, l'éclat, la souplesse et l'agilité de son imagination active et brillante.

Ce Génie infatigable qui semblait vouloir épuiser tous les genres de poésie, s'était emparé aussi de la plupart des genres réservés à la prose. Il écrivit l'Histoire, d'abord en habile disciple des Anciens (1), bientôt en Maître, et sur un nouveau plan. Alors s'opéra cette révolution mémorable que nous avons annoncée; alors l'Histoire ne se borna plus à la peinture des Cours, au récit des batailles et des intrigues des Cabinets: elle peignit l'esprit, les mœurs, le caractère des

(1) L'Histoire de Charles XII.

Peuples; elle suivit dans leur marche gra duée, célébra dans leurs bienfaits, la Civilisation, les Arts et les Lumières; et devint ainsi le Tableau des progrès de l'Esprit humain. Tel fut ce Livre sur le siècle de Louis XIV, le plus beau panégyrique qu'on ait fait de la Nation; tel fut sur-tout cet Essai sur les mœurs et l'esprit de tous les Peuples, où l'Historien philosophe rend toujours présens à la pensée du Lecteur tous les Empires et tous les Siècles, ou jugés séparément, ou appréciés l'un par l'autre; interrogés sur ce qu'ils ont fait pour la science ou pour l'erreur, pour l'infortune ou pour le bonheur du Monde, et marqués, d'après leur propre témoignage, d'un signe de gloire ou d'infamie.

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Chef d'une École nouvelle comme Historien, il invente un nouveau genre de Romans où les plus profondes questions de Philosophie sont développées en action, égayées par ces peintures vives et saillantes, par cette plaisanterie satirique, dont personne, mieux que lui, n'a possédé le secret. Dans ses ouvrages de critique, dans ses mélanges de philosophie, il analyse et il juge

toutes les opinions et toutes les renommées. Il parcourt les Littératures étrangères; il transporte dans la nôtre la philosophie des Anglais, leurs lettres et leurs sciences. Il traduit et il apprécie Pope, Addisson, Milton et Shakespeare, dont l'existence nous était à peine connue : il naturalise en France. les observations fécondes et l'analyse inétaphysique de Loke, à une époque où la France entière est encore imbue des erreurs de Mallebranche et de Descartes: il expose avec cette clarté, l'une des qualités distinctives de son talent et de son esprit, les découvertes de Newton, lorsque Fontenelle lui-même reste constamment attaché au parti de ses anciens Maîtres, lorsque ce Jean Bernouilli, de tous les Géomètres de l'Europe le mieux fait pour apprécier ces découvertes sublimes, s'obstine à les combattre encore. Enfin, comme s'il voulait épuiser toutes les sortes de services qu'un grand Écrivain peut rendre à sa Patrie, tandis qu'une routine meurtrière arrête encore parmi nous les progrès de l'art de guérir, il annonce, il fait adopter la méthode salutaire de l'Inoculation. Homme véritablement fait, par l'activité de son imagination ardente, pour en

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