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n'y rachètent point assez les vices de l'élocution trop dépourvue de pureté, de correction et d'harmonie. Mais celui qui sut tracer les caractères de Rhadamisthe, de Palamède et de Pharasmane dut obtenir, et mérita sans doute, des succès d'autant plus éclatans qu'il ramenait le premier sur la Scène les fortes et mâles passions que l'École dégénérée du plus parfait de nos Poètes en avait alors exilées. Heureux si, pour l'intérêt de son talent, il eût moins négligé l'étude de la Langue et des grands modèles ! Heureux surtout si, contre l'intérêt de sa renommée, l'animosité et l'envie ne l'avaient pas opposé comme un rival au Poète qui n'en devait point connaître dans ce siècle qu'il remplit tout entier de son génie et de sa gloire!

Ce Génie extraordinaire est trop vaste pour être embrassé dans son ensemble pour mesurer son étendue, il faut d'abord la diviser. Concevez donc un Poète épique qui parcourt à-la-fois avec honneur la carrière de Virgile et celle de l'Arioste; un Poète. didactique, digne émule de Pope dans l'Épître morale, digne éleve d'Horace dans la Satire; un Poète aimable et léger, sans

modèle comine sans émule ; enfin un Poète dramatique, célèbre par vingt succès, illustre par six chefs-d'oeuvres. Concevez encore un Historien qui crée son genre, et qui le fixe; un Romancier qui invente sa manière, et la rend inimitable; un rival de Cicéron dans l'Épître familière; un Critique qui n'a point de rival. Concevez, dis-je, séparément tous ces Écrivains d'un mérite supérieur. Le Siècle qui les aurait produits seuls ne formerait-il pas une Époque glorieuse dans les Lettres ? Eh bien! tous ces

Écrivains divers qui seuls auraient illustré leur Siècle, c'est Voltaire.

Après Corneille, après Racine, il ajouta, durant quarante années, de nouveaux développemens à notre Scène tragique. Les Étrangers reprochaient à nos drames, ils leur reprochent encore, de manquer de spectacle et d'action. Ce reproche n'était que sévère ; Voltaire le rendit injuste. Le talent d'enchaîner et de multiplier les situations délicates, ou fortement théâtrales ; l'adresse de lier la pompe du Spectacle à l'intérêt des situations principales, et de frapper toujours les sens pour ébranler avec plus d'em

pire l'imagination; l'invention et la variété des Sujets, l'éclat et la vérité des couleurs locales; la peinture et les contrastes des préjugés, des lumières et des habitudes des Peuples, l'élèvent au rang des plus grands Maîtres, et le distinguent entre ses égaux. Ce qui le distingue plus encore, c'est ce caractère d'utilité morale qu'il sait imprimer à toutes ses conceptions; cet art sublime, dont la source était dans son âme comme dans son génie, de fondre la pitié dans la terreur, la raison dans le sentiment, et de faire sortir des situations les plus attendrissantes ou les plus sombres, les plus consolantes et les plus douces leçons de tolérance et d'humanité (1). Génie ardent et sensible qui, moins touchant que Racine est quelquefois plus déchirant; qui a moins de sublime et d'élévation que Corneille, mais

(1) Un célèbre Critique anglais qui n'est pas injuste envers Racine, n'hésite cependant pas à reconnaître dans l'Auteur d'Alzire, de Zaïre, de Mérope et de Sémiramis le plus religieux et le plus moral de tous les Tragiques du Monde. Voyez la Rhétorique de HuguesBlair, 46. leçon.

plus de véhémence et d'éclat ; et qui par des créations multipliées, par les combinaisons les plus théâtrales, et les mouvemens passionnés d'une imagination impétueuse et brûlante, a mérité le titre glorieux, non sans doute du plus parfait des Poètes qui se sont illustrés dans la Tragédie, mais du plus tragique de nos Poètes!

Digne rival de nos grands Maîtres dans un genre où nous n'avons point de rivaux, il est encore parmi nous, non pas le premier, mais le seul Maître, dans un genre plus étendu, plus difficile, et qu'un préjugé universel semblait pour jamais interdire à notre Langue et à l'esprit de notre Nation. La Henriade parut : elle étonna l'Europe, elle vengea la France. Toutefois cette Épopée doit être placée loin des Modèles. On y chercherait vainement les grandes proportions de la Jérusalem ou de l'Iliade. Trop bornée dans son plan, trop rapide, ou si l'on veut, trop resserrée dans sa marche elle offre des Narrations, mais peu de Peintures, des Portraits plutôt que des Caractères, une Machine allégorique et peu de Merveilleux. Ce qui est plus remarquable,

le dramatique, cette partie de l'Art dans laquelle a excellé son Auteur, est surtout ce qui manque à la Henriade.

Gardons-nous cependant d'imiter ceux qui se plaisent à ne louer dans ce Poème, l'un des plus beaux monumens de la gloire nationale, que l'élégance des détails et la pureté du style. Ne nous étonnons pas surtout de l'enthousiasme qu'il fit naître. L'Épopée manquait à la France; un jeune homme la lui donnait : l'intolérance dont les excès avaient obscurci les dernières années du règne de Louis XIV, paraissait revivre alors dans les Actes du Ministère (1); cette Épopée offrait à la Nation le plus beau Code de Tolérance et de Politique Morale dont elle pût encore s'honorer; Ouvrage où la Religion était peinte à-la-fois si majestueuse et si touchante! où sa cause était si bien séparée de celle du Fanatisme et de l'hypocrite ambition! où l'on ne pouvait enfin méconnaître dans de sublimes fictions, et le Génie créateur, le véritable Génie épique, et cette Phi

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