Page images
PDF
EPUB

finesse qui est l'occasion prochaine de la fourberie : 'de l'une à l'autre le pas est glissant : le mensonge seul en fait la différence: si on l'ajoute à la finesse, c'est fourberie. Avec des gens, qui par finesse écoutent tout et parlent peu, il parle encore moins : ou s'il parle beaucoup, il dit peu de choses. Dans plusieurs rencontres où la fortune est intéressée, la vérité et la simplicité sont le meilleur manège du monde ».

[ocr errors]

« Il faut sans doute s'observer soigneusement pour se comporter ainsi. Il y a des vices que nous ne devons à personne, que nous apportons en naissant, et que nous fortifions par l'habitude; il y en a d'autres que l'on contracte et qui nous sont étrangers. L'on est né avec des mœurs faciles, de la complaisance, et le desir de plaire; mais par le traitement que l'on reçoit de ceux avec qui l'on vit, ou de qui l'on dépend, on est bientôt jeté hors de ses mesures et même de son naturel. On a des chagrins, une bile que l'on ne se connaissait point: on se voit une autre complexion: on est enfin étonné de se trouver dur et épineux. Tout est étranger dans l'humeur, les mœurs et les manières de la plupart des hommes. Tel a vécu pendant toute sa vie chagrin, emporté, avare, rampant, soumis, laborieux, intéressé, qui était né gai, paisible, paresseux, magnifique, d'un courage fier, et éloigné de toute bassesse. Les besoins de la vie, la situation où l'on se trouve, la loi de la nécessité, forcent la nature, et y caysent ces grands changemens. Ainsi, tel homme en lui-même ne peut se définir : trop de choses qui sont hors de lui, l'altèrent, le changent, le boule.

versent. Il n'est pas précisément ce qu'il est, ou ce qu'il paraît être.

«L'on a beaucoup de peine à s'approcher sur les affaires, parce qu'en général les hommes sont épineux sur les moindres intérêts, veulent tromper et n'être pas trompés, et mettent fort haut ce qui leur appartient, et très-bas ce qui appartient aux autres. A quelques-uns l'arrogance tient lieu de grandeur, l'inhumanité de fermeté, et la fourberie d'esprit. Les fourbes croient aisément que les autres le sont: ils ne peuvent guères être trompés, et ils ne trompent pas long-tems. On ne trompe point en bien. La fourberie ajoute la malice au mensonge. »

« Autre vice naturel à l'espèce humaine; elle s'ouvre à de petites joies, et se laisse dominer par de petits chagrins. Rien n'est plus inégal et moins suivi que ce qui passe en si peu de tems dans le cœur et dans l'esprit des hommes. Aussi, sont-ils plus capables d'un grand effort que d'une longue persévérance. Leur paresse ou leur inconstance leur fait perdre le fruit des meilleurs commencemens. Ils se laissent souvent dévancer par d'autres qui sont partis après eux, et qui marchent lentement, mais constamment. Ils savent encore mieux prendre des mesures que les suivre; résoudre ce qu'il faut faire et ce qu'il faut dire, que faire ou dire ce qu'il faut. On se propose fermement dans une affaire qu'on négocie, de taire une certaine chose; et ensuite, ou par passion, ou par une intempérance de langue, ou dans la chaleur de

P

l'entretien, c'est la première qui échappe. Dans les choses qui sont de leur devoir les hommes agissent mollement; et ils se font un mérite ou plutôt une vanité de s'empresser pour celles qui leur sont étrangères, et qui ne conviennent ni à leur état, ni à leur caractère. Ils s'ennuient des mêmes choses qui les ont charinés dans leurs commencemens. Ils déserteraient la table des Dieux, et le nectar avec le tems leur deviendrait insipide. Ils n'hésitent pas à critiquer les choses qui sont parfaites, par vanité et par une mauvaise délicatesse. Enfin, les hommes n'ont point de caractère, ou s'ils en ont, c'est celui de n'en avoir aucun qui soit suivi qui ne se démente point, et où ils soient reconnaissables. Ils souffrent beaucoup à être toujours les mêmes, à persévérer dans la règle ou dans le désordre; et s'ils se délassent quelquefois d'une vertu par une autre vertu, ils se dégoûtent plus souvent d'un vice par un autre vice. Ils ont des passions contraires et des faiblesses qui se contredisent. Il leur coûte moins de joindre les extrémités, que d'avoir une conduite dont une partie naisse de l'autre. Ennemis de la modération, ils outrent toutes choses, les bonnes et les mauvaises. »

« Il faut aux enfans des verges et la férule; il faut aux hommes faits une couronne, un sceptre, un mortier, des fourrures, des faisceaux, des timbales, des hoquetons. La raison et la justice dénuées de tous leurs ornemens " ni ne persuadent, ni n'intimident. L'homme qui est esprit, se mène par les yeux et les oreilles. 22

« La raison tient de la vérité; elle est une. L'on n'y arrive que par un chemin, et l'on s'en écarte par mille. L'étude de la sagesse a moins d'étendue

que

que celle l'on ferait des sots et des impertinens. C'est aussi à quoi doit s'attacher tout homme raisonnable. Dans le particulier, il est aisé d'être tranquille et vertueux. La chose est bien autrement difficile dans la société. On vient de voir ce que les hommes sont. La meilleure règle qu'on puisse suivre pour vivre avec eux est celleci: Sachez précisément ce que vous pouvez attendre des hommes en général, et de chacun d'eux en particulier et jetez-vous ensuite dans le commerce du Monde. >>

[ocr errors]

Page 252. La pensée, dis-je, aurait été la même, et cependant, cela est sûr, elle aurait semblé fort pieuse à ceux qui la trouvèrent impie, et qui, la charité nous invite à le croire, n'avaient pas d'intérêt à se fácher.

Il s'est trouvé dans tous les siècles de ces gens bien intentionnés qui semblent s'imposer le devoir d'insinuer dans leurs écrits, et de prouver par leur exemple, qu'on ne peut être à-la-fois un bon chrétien et un homme d'esprit : comme s'il devait s'en suivre que tout imbécille fût un saint, et que cette considération suffit pour rassurer leur conscience! Descartes avait démontré l'existence de Dieu; et voilà qu'un ministre du Saint-Évangile monte en chaire dans Utreck, et soutient une thèse publique pour annoncer aux Hollandais

que le Philosophé étranger est un impie et un athée ? Racine avait fait Athalie; et voilà qu'un Jésuite s'avise de monter en chaire à Paris, et d'y soutenir une thèse publique pour apprendre à des Français que le plus pieux de leurs tragiques n'est ni poète ni chrétien ; ( nec poëta, nec christianus).

Faut-il s'étonner après cela, que les Onuphres et les Théobaldes, malgré le dernier chapitre du chef-d'œuvre de La Bruyère, (car ses Dialogues sur le Quiétisme n'avaient pas encore vu le jour), interprétant sans le comprendre ce qu'il eût été plus sage de ne pas vouloir expliquer, se soient obstinés à révoquer en doute la charité d'un Satirique et la piété d'un Philosophe ? Quant au Satirique, j'en conviens, il a fréquemment immolé à l'indignation ou à la risée publique, et le fanatisme qui détruit la morale de toutes les religions, et l'hypocrisie qui dispense d'en avoir aucune : mais tout le talent du Philosophe et toutes les ressources de sa dialectique n'en furent pas moins employés à dé❤ fendre la Religion véritable, qui n'est ni celle de Jansénius, ni celle de Molina, et sur-tout à établir par des preuves nouvelles et frappantes ces dogmes fondamentaux sur lesquels reposent tous les cultes, toutes les doctrines religieuses répandues dans l'Univers. Ses Censeurs pouvaient argumenter sur l'existence de l'Être suprême, et les récompenses de la vie à venir, avec plus de désintéressement, et par là même plus de mérite: mais aucun d'eux, à ce qu'il me semble, ne l'a fait en aussi bon style et avec autant d'esprit.

« PreviousContinue »