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Littérature qu'il semble devoir corrompre, et ne fait bientôt qu'enrichir.

Dans l'Époque précédente, les plus grands maîtres avaient promulgué les Lois du goût,après les avoir suivies; à l'époque dont je parle, on voulut abroger ces Lois après les avoir violées. L'Auteur d'un Roman héroïque prétendit surpasser Homère en imitant Fénelon. A quelque prix que ce fût, il voulait avoir fait un poème; et, pour le prouver, il écrivit contre la Poésie. Au prétendu chantre de Séthos était alors uni de principes un Académicien célèbre , prosateur spirituel et facile, versificateur languissant et forcé. Pour des raisons très-différentes, mais avec un intérêt égal, l'Abbé Terrasson et La Motte décriaient la versification et les grands poètes; l'un, parce qu'il avait fait de la prose, l'autre parce qu'il avait fait des

vers.

Fontenelle qui, dès-lors, avait pris sur son siècle un noble empire, favorisait par inclination, par ressentiment peut-être, les innovations que son ami ne tentait que par amourpropre. L'ennemi de Despréaux n'avait pu

se

se réconcilier avec Homère. On retrouvait dans ses principes l'influence de ses préventions; on retrouvait dans son style les traces de la fausse direction donnée à ses premiers travaux; et, en éclairant la raison, il semblait quelquefois encore fait pour égarer le goût: adversaire dangereux de toute superstition littéraire qu'il remplaçait par des hé

résies.

Opposant à leur progrès son nom, ses préceptes et son exemple, l'Auteur du Poème de la Religion, fidèle à la pureté des doctrines littéraires se montra dans la versification, je ne dirai pas dans la poésie, le digne fils de Racine et le sage disciple de Despréaux. Mais, trop dépourvu d'invention dans son style comme dans ses plans, il eut des beautés soutenues, et rarement des beautes hardies; ses pensées et ses images sont toutes de la même hauteur; et dans sa monotonie savante, il laisse voir souvent la perfection de l'Art et la médiocrité du Talent. Pour rendre dans toute leur majesté les grandes idées religieuses, il n'avait pas ce don éminent du sublime, et, si l'on peut dire ainsi, de l'idéal dans les formes et dans les couleurs du style,

ce don fait par la nature à son glorieux père, et que l'étude d'un tel maître paraît avoir développé dans J. B. Rousseau.

Défenseur, comme Louis Racine, des vrais Principes littéraires, Rousseau, toujours destiné à subir ou à exercer des vengeances, devait, par son caractère, être plus redoutable au Bel-Esprit qu'il combattait sans relâche avec les armes de la satire ; et il devait, ; par son talent, être plus utile à la cause du Goût auquel il prêtait l'appui d'une haute renommée. Le modèle de nos Poètes lyriques, il possédait à un degré très-rare toutes les parties de l'art qui ne tiennent pas à la sensibilité de l'ame et au génie de l'invention. Elève des grands Maîtres qui ont fixé parmi nous la Langue poétique, il ajouta peu à la richesse, et moins encore à la perfection qu'ils lui avaient donnée; mais il étendit à un nouveau genre cette étonnante perfection. Retenu par l'exemple de Malherbe, qu'il imite quelquefois et ne surpasse pas toujours, il s'abandonna trop rarement à la fougue, au désordre plein de mouvement et d'élévation qui font le caractère de l'Ode antique; mais une marche élégante et noble, un coloris très

poétique, une harmonie, sinon expressive, du moins flatteuse et brillante, ont fait de ses Odes mélodieuses des ouvrages classiques, et qui restent encore au premier rang parmi les Modèles (1).

Dans ses Cantates mythologiques, qui forment une suite de tableaux tour-à-tour gracieux et sublimes, la vérité des peintures et l'éclat éblouissant des couleurs, font oublier le vide des pensées et le défaut de sentiment. Il a tenté, mais sans succès, l'Opéra et la Comédie, genres qui demandent une flexibilité de style, une souplesse et une naïveté de talent qu'il n'avait pas. Presque toujours pénible et forcé dans le dialogue et le vers comique, l'heureux émule de Malherbe ne put obtenir d'être placé parmi les vrais disciples de Molière.

Ce grand homme avait élevé la Comédie à une telle hauteur que lui seul pouvait l'y

(1) Ces Odes mélodieuses et véritablement classiques sont presque toutes renfermées dans les premiers livres de son Recueil. En parcourant les derniers, on voit par degrés la pureté de son goût se corrompre, en même tems que l'éclat de son talent s'affaiblit,

maintenir. Elle a éprouvé depuis des altérations successives qu'il importe de remarquer. Tel est cependant le prodigieux mérite de Molière, que parmi les divers talens qui ont soutenu la Comédie dans cette décadence même, il en est qui nous sembleraient sans doute être parvenus au comble de l'Art, si ce grand maître n'existait pas.

Le premier de ses successeurs, Regnard, doué d'un talent brillant et facile, et possédant à un haut degré la vivacité comique, se serait infiniment rapproché de Molière luimême, s'il avait eu ces grands traits dont le Contemplateur (1) peint les mœurs et les caractères; ces vues profondes qui dévoilent les ressorts cachés des passions, et le jeu des sociétés humaines. Rarement trouve-t-on dans Regnard ces magnifiques peintures. Lors même que son sujet le conduit à les tracer, il néglige de les offrir sous un aspect philosophique; et il blesse quelquefois la morale quand il n'aurait qu'un pas à faire pour éclairer la raison. Voilà ce qui frappe sur

(1) Nom que Boileau donnait à Molière, et que lui conservera la postérité.

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