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Voltaire est, dit-on, celui qui donna l'exemple de cette heureuse hardiesse.

(Extrait de la Revue, 9 juin 1805).

Cette hardiesse était heureuse sans doute; personne ⚫ n'en disconvient aujourd'hui mais elle ne fut pas d'abord jugée aussi favorablement. Peu de jours après la réception de Voltaire, il parut dans les feuilles de l'abbé Desfontaines une longue lettre, assez impertinente pour trouver des lecteurs, qui fut bientôt réimprimée, puis inhumée pour toujours dans un Recueil de plates infamies (a), avec la prose de Saint-Hiacinthe et de Rigoley de Juvigny, avec les vers de Piron et ceux du poète Roi, qui se chargeaient à tour de rôle de faire à Voltaire des leçons de style, de morale et d'urbanité.

On lit dans cette lettre, curieuse en ce qu'elle est de tout point un prodige d'ignorance et de mauvais goût : Quant au Discours de M. de Voltaire, vous n'y » verrez rien de ce que vous croyez y voir. Il est tout >> excepté ce qu'il doit être. Ce sont des réflexions, » des observations, des morceaux de dissertations, » lambeaux de panégyrique. Il n'y a que de remerci»ment dont il n'y a pas un seul mot c'était son » sujet ».

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des

M. l'abbé s'égaie ensuite sur les lambeaux de ce

(a) Le Voltairiana, ou Éloges emphygouriques de M. de Voltaire; 1 gros vol. in-8.

discours qu'il déchire, et qu'il corrompt en les touchant, à la façon des Harpies. Mais surtout il se passionne contre un passage où l'Orateur, apercevant Crébillon dans le sein de l'Académie, s'écrie avec l'éloquence la plus élevée : « Le théâtre, je l'avoue, est > menacé d'une chute prochaine : mais au moins je vois » ici ce génie véritablement tragique qui m'a servi de » maître quand j'ai fait quelques pas dans la même » carrière; je le regarde avec une satisfaction mêlée de » douleur, comme on voit sur les débris de sa patrie, » un héros qui l'a défendue ».

de

Il n'est personne, excepté les Desfontaines, qui puisse ne pas avouer le mérite éminent et l'heureux àpropos de ce passage. Dans tous les écrits en prose Voltaire, qui ont tant d'autres genres de beautés, c'est peut-être le seul trait véritablement oratoire, c'est celui du moins qui a le plus d'éclat et de grandeur. N'est-ce donc pas une bonne fortune pour un libelliste d'avoir rencontré si bien que s'il est un morceau vraiment supérieur dans un ouvrage, c'est celui dont il s'est moqué? Si ces rencontres étaient moins communes, on s'étonnerait de l'adresse qu'elles supposent. Mais les Desfontaines ont tant de tact qu'ils n'y manquent presque jamais.

Je remarquerai en passant, que Voltaire n'est pas le premier, comme on le croit, qui dans son Discours de Réception ait traité un sujet de littérature. Longtems avant lui Mézériac en avait donné l'exemple en discourant sur la Traduction. Mais la discussion parut un peu longue, l'exemple ne fut pas suivi; le Discours

tomba dans l'oubli, l'orateur eut le même sort que le Discours et la réforme restait à faire : Voltaire la commença; Buffon et quelques autres l'ont consacrée.

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Page 84. L'éloquence avait brillé d'un tel lustre dans les grands Maîtres de ce siècle, elle avait exprimé les passions avec tant de charme et d'énergie etc.

C'est peut-être aux peintures de l'amour si séduisantes dans l'Héloïsé que nous devons nos véritables Poètes érotiques qui les ont souvent imitées. Un genre célèbre chez les Anciens, mais ridiculement traité dans l'autre siècle où l'on en cherchait les modèles dans des romans plus ridicules encore, l'Élégie allait enfin renaître parmi nous. Devant les graces naturelles des nouveaux disciples de Tibulle s'éclipsaient le clinquant érotique, le vernis artificiel de la précieuse école de Dorat, et les fleurs fanées et postiches des plagiaires de Gresset, qui, prenant l'abondance pour la richesse, et le vide des sons pour l'harmonie croyaient, en cadençant des riens sonores, avoir égalé le Vert-vert, et ces épîtres charmantes qui, dans le genre léger, n'ont jamais été surpassées, si ce n'est par quelques-unes des poésies de Voltaire qu'on retrouve presque partout au premier rang.

Page 90. Les rois se plaisaient à correspondre avec eux dans leur langue etc.

Les lettres du grand Frédéric, de presque tous les

princes du Nord et du pape Benoît XIV à Voltaire, sont trop connues pour qu'il ne soit pas inutile de faire plus que les rappeler. On peut en dire autant des lettres écrites par quelques-uns de ces monarques ou par leurs ministres, à Diderot et à d'Alembert. Une seule me semble assez remarquable pour qu'il soit encore intéressant de la citer. On est frappé d'étonnement lorsqu'on songe qu'elle a été écrite presque sous les glaces du pôle, par le souverain despotique d'un empire encore barbare, et pour ainsi dire sauvage au commencement du dix-huitième siècle; lorsqu'on se rappelle sur-tout que nos ministres, M. de Morville, le cardinal Dubois lui-même, disaient trente années auparavant, comme le rapporte Voltaire, que Pétersbourg ne pourrait point subsister, et que le Czar Alexiovitz n'était qu'un extravagant, né pour être contre-maître d'un navire hollandais.

Lettre de l'Impératrice de Russie, écrite de sa main à d'Alembert.

» Monsieur d'Alembert, je viens de lire la réponse que vous avez écrite au sieur Odar, par laquelle vous refusez de vous transplanter pour contribuer à l'éducation de mon fils. Philosophe comme vous êtes, je com→ prends qu'il ne vous coûte rien de mépriser ce que l'on appelle grandeurs et honneurs dans ce monde. A vos yeux tout cela est peu de chose, et aisément je me range de votre avis. A envisager les choses sur ce pied, je re

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garderai comme très-petite la conduite de la reine Christine qu'on a tant louée et souvent blâmée à plus juste titre. Mais être né ou appelé pour contribuer au bonheur et même à l'instruction d'un peuple entier, et y renoncer, c'est refuser, ce me semble, le bien que vous avez à cœur. Votre philosophie est fondée sur l'humanité; permettez-moi de vous dire que ne point se prêter à la servir tandis qu'on le peut c'est manquer son but. Je vous sais trop honnête homme pour attribuer vos refus à la vanité, je sais que la cause n'en est que l'amour du repos pour cultiver les lettres et l'amitié: mais à quoi tient-il ? venez avec tous vos amis, je vous promets, et à eux aussi, tous les agrémens et facilités qui peuvent dépendre de moi, et peut-être vous trouverez-vous plus de liberté et de repos que chez vous. Vous ne vous prêtez point aux instances du roi de Prusse et à la reconnaissance que vous lui devez; mais ce prince n'a point de fils. J'avoue que l'éducation de ce fils me tient si fort à cœur et vous m'êtes si nécessaire, que peut-être je vous presse trop. Pardonnez mon indiscrétion en faveur de la cause et soyez assuré que c'est l'estime qui m'a rendue si intéressée.

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Signé CATHERINE.

Une semblable lettre suffirait seule sans doute pour autoriser ce qu'on avance dans le discours sur la conduite que tenaient les rois à l'égard de nos philosophes. Ils les appelaient dans leurs états, comme autrefois Philippe avait appelé à sa cour le précepteur d'Alexandre,

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