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Ces jugemens, sur lesquels il est inutile de hasarder aucune réflexion se retrouvent malheureusement en plusieurs endroits de la correspondance de Voltaire. Malheureusement aussi, des jugemens du même genre sur les ouvrages de Voltaire lui-même, se trouvent en quelques endroits des œuvres de Montesquieu. Qui pourrait lire, par exemple, sans étonnement dans ses Pensées diverses recueillies depuis sa mort sur un manuscrit autographe: «< Voltaire n'est pas beau, il » n'est que joli : Il serait honteux pour l'Académie » que Voltaire en fût, et il lui sera quelque jour hon<< teux qu'il n'en ait pas été ు.

<< Les ouvrages de Voltaire sont comme les visages mal proportionnés qui brillent de jeunesse ».

<< Voltaire n'écrira jamais une bonne histoire. Il est » comme les moines, qui n'écrivent pas pour le sujet » qu'ils traitent mais pour la gloire de leur ordre. Voltaire écrit pour son couvent, etc. ».

Lorsqu'on transcrit de semblables morceaux, un sentiment pénible fait tomber la plume des mains: il faut plaindre les grauds hommes, et être bien convaincu qu'ils n'ont jamais rien à attendre que de la justice lente du tems.

Elle arrive enfin cette justice tardive, pour les ouvrages comme pour les actions. Elle condamne ces saillies d'amour-propre qui cependant ne sont guère nuisibles qu'à celui qui se les permet, ces injustices qui souvent peuvent être involontaires: mais elle consacre par le respect et les hommages de la postérité, ces

nobles actions, ces traits d'humanité qui font estimer et chérir le caractère moral des hommes en qui la vertu fut l'auxiliaire du génie.

Les actes de bienfaisance de Voltaire, ce qu'il a fait pour les Calas, pour les Sirvens, les Montbaillys, pour tant d'autres infortunés qu'il a secourus de sa fortune, soutenus de son crédit, protégés de sa renommée, tout cela, dis-je, est si connu qu'il serait au moins inutile de faire plus qu'en rappeler le souvenir. Les actions généreuses de Montesquieu eurent moins d'éclat, et sont encore aujourd'hui moins célèbres. J'en rapporterai une seule, telle qu'elle fut consignée dans l'Année littéraire, en 1775. Les amis des lettres ne la liront point sans cette vive satisfaction qu'on éprouve à pouvoir aimer ce qu'on admire. Elle suffirait sans doute pour faire apprécier toute entière l'âme simple, élevée et sensible de l'auteur de l'Esprit des Lois.

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Montesquieu allait souvent visiter sa sœur ma» dame d'Héricourt, à Marseille. Il respirait un soir » près du port. Il voit un jeune homme dans une barque, » il juge que ce jeune homme attend le batelier pour le » promener sur l'eau. Il entre aussi dans la barque : » étonné de voir le jeune homme ramer, il l'inter>> roge, et apprend qu'il est joaillier de profession, qu'il se fait batelier les fêtes et les dimanches pour » gagner quelque argent, et seconder les efforts de sa » mère et de deux sœurs; tous les quatre travaillent, » économisent pour amasser deux mille écus, et ra» cheter leur père esclave à Tétuan. Montesquieu

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» s'informe du nom du père, du nom du maître à qui » il appartient, et se fait conduire à terre, donne à >> son batelier une bourse contenant huit doubles louis » et dix écus en argent, et s'échappe

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» Six semaines après arrive le père, l'étonnement de la famille l'étonne lui-même on ne l'attendait » pas, il croyait être attendu, et leur devoir sa déli» vrance: l'état de misère où il les trouve dérange >> toutes ses idées sur le paiement de sa rançon, sur

les cinquante louis qui lui ont été remis en entrant >> dans le vaisseau qui l'a ramené en France, sur le3 » frais de son passage et de sa nourriture payés » les habits dont on l'a revêtu.

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» Le père et la mère n'osent interroger leur fils; ce»lui-ci soupçonne une seconde générosité de l'inconnu. » Deux ans se passent. Le fils rencontre Montesquieu » dans la rue, se jette à ses genoux, le conjure de > venir partager la joie de sa famille, et recevoir les » marques de leur gratitude. Montesquieu ne veut pas >> reconnaître le jeune homme, la foule s'assemble au» tour d'eux; le bienfaiteur se dérobe.

» Il serait encore inconnu si ses gens d'affaires n'eus» sent trouvé dans ses papiers, à sa mort " une note » de 7,500 livres envoyées à M. Main, banquier an» glais établi à Cadix. Ils demandèrent des éclaircisse» mens. M. Main répondit qu'il avait fait usage de » cette somme pour délivrer un Marseillais nommé Rɔ

bert, esclave à Tétuan, conformément aux ordres de M. le Président de Montesquieu. »

Page 52. Ce fut donc sur ce principe, non pas l'état d'enfance, c'est-à-dire à la vie sauvage, sauvage, mais à cette espèce de siècle viril, qu'il voulut ramener, d'abord les hommes, et il écrivit sur l'éducation; bien1ot les gouvernemens eux-mêmes, et il écrivit sur la nature et sur les fondemens du Pacte social.

Sans doute il ne se dissimulait point à lui-même combien était borné le nombre des applications utiles qu'on pouvait faire encore de ses théories dans l'état présent de nos mœurs, mais il était loin de prévoir les applications dangereuses qu'on tenterait d'en faire un jour. Qu'est-ce en effet, par exemple, que ce Traité du Contrat Social, sinon le Gouvernement de sa propre patrie, c'est-à-dire, d'une république resserrée dans les plus étroites limites, proposée comme un modèle aux peuples assez peu nombreux, assez pauvres pour trouver dans ce Gouvernement une liberté fondée sur les lois, et qui doit toujours, d'après sa maxime, être subordonnée à l'existence et aux intérêts de l'association? Juger ainsi de cet ouvrage, c'est entrer dans la pensée de l'Écrivain, sans s'arrêter à des exagérations qui sont de l'orateur plus que du philosophe; c'est l'interprêter comme son auteur parut clairement l'expliquer et l'entendre, lorsqu'il voulut adapter sa doctrine au gouvernement d'un peuple qui semblait l'appeler du fond du Nord à ré

générer ses lois politiques et ses habitudes nationales : c'est enfin être juste envers un homme moins outragé par d'aveugles censures que par des éloges flétrissans, moins calomnié par ses détracteurs que décrédité par ses faux disciples.

Page 64. Parmi ses membres les plus célèbres, ceuxci sous les glaces du pôle, ceux-là sous les feux de l'équateur, mesuraient cet arc du méridien qui devait fixer la figure de la terre, etc.

Ce fut sous le ministère de M. de Maurepas que l'Académie des Sciences voulut soumettre à des calculs mathématiques l'hypothèse de Newton sur l'applatissement des pôles, et déterminer ainsi avec précision la figure de la terre. Elle résolut de faire mesurer un degré du méridien sous l'équateur, et un autre sous le pôle, La Condamine, Bouguer et Godin, Clairault, Maupertuis, Le Monnier et Camus, furent chargés de l'exécution de cette pénible entreprise. Les uns partirent pour le Pérou en 1735, les autres, l'année suivante, pour les confins de la Laponie. Des obstacles de tout genre ne purent arrêter le zèle de ces savans voyageurs. Les observations faites souvent en particulier par chacun d'eux, se rapportèrent d'une manière si rigoureuse qu'il ne put rester aucun doute sur leur parfaite exactitude. Une seule année suffit aux Académiciens envoyés dans le Nord; mais dix années s'écoulèrent avant que les travaux de leurs collègues fussent entièrement terminés.

Quelques-uns

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