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dans lesquelles on devait les suivre un jour. Parmi eux, ou plutôt à leur tête se plaçait dès-lors un homme qui, dans le Siècle des Créations littéraires, n'avait été qu'un bel esprit, qui, dans le Siècle naissant des Créations philosophiques, fut un esprit supé

rieur.

C'était le sage Fontenelle, qui n'eut jamais dans son style le coloris de l'imagination, mais qui, toujours ingénieux, souvent lucide avec concision, et juste avec finesse semblait appelé, par le genre même de son talent, à développer dans une analyse facile ces systêmes dont l'enchaînement est le résultat d'une méditation profonde, et à répandre le jour d'une raison calme et méthodique sur ces vérités que le génie conçoit par de soudaines illuminations.

Avec ce caractère d'esprit et de talent, il fallait que Fontenelle entrât dans la carrière des Sciences pour obtenir la gloire des Lettres, et qu'il devînt Philosophe pour être bon Écrivain. Jusqu'alors tous les Siècles célèbres ayaient paru marcher à la suite de quelques

esprits créateurs : Fontenelle n'a rien créé, si ce n'est peut-être l'esprit de son siècle. Il n'a point ce feu du génie qui agite les ames et élève les Nations; mais sa raison lumineuse réfléchit les clartés du génie. Marchant lui-même à ce nouveau jour qu'il répandait sans le produire, il invita son siècle à le suivre, et il en fut devancé. Panégyriste des Héros et des Apôtres de la Science, il introduisit dans le monde la mémoire de ces grands Hommes dont la vie s'était écoulée dans la retraite; il les donna pour guides à ses Contemporains; et au pied des statues qu'il dressait à leur gloire, il annonça l'alliance qui devait unir dans ce siècle les Sciences et les Lettres, que l'esprit philosophique rapproche pour les féconder.

Ces premières incursions des Lettres dans le domaine, des Sciences, leur présageaient des conquêtes prochaines et multipliées. Les principes de la Littérature exposés dans des Rhétoriques (1), surpassées depuis sans doute,

(1) Le Traité des Études, les Réflexions sur la Poésie, la Peinture et la Musique, etc.

mais alors placées au premier rang, annonçaient aussi les progrès réservés dans ce siècle aux Études littéraires et à l'analyse des beaux Arts. Des Historiens encore célèbres, les Rollins, les Vertots, les Bougeants, les Dubos, sans préparer toutefois la révolution mémorable qui devait bientôt s'opérer dans la manière d'écrire l'Histoire, suivaient avec goût, avec talent, les grands Modèles de l'Antiquité (1), ou s'en écartaient avec gloire. L'art des Cicérons et des Démosthènes, le véritable Art oratoire, qui, par un effet de nos institutions, ne s'était montré long-tems que dans nos Chaires évangéliques, commençait à s'introduire dans le sein de nos Tribunaux; et l'on touchait au moment où l'Éloquence philosophique, appliquée à tous les sujets, perfectionnée dans un même siècle. par les talens les plus divers, allait enfin suivre dans son vol l'Éloquence religieuse qui semblait ne pouvoir plus être désormais perfectionnée.

(1) Les Plaidoyers de Cochin, les Harangues de d'Aguesseau, etc.

Voyez les Notes placées à la suite de ce Discours.

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Eh! qu'ajouter, en effet, à cette auguste Eloquence, illustrée par la dialectique sévère de Bourdaloue, par l'imagination sensible de Fénelon, par le génie ardent de Bossuet? Massillon parle, et sait lui donner des graces toutes nouvelles. Par une alliance heureuse, mais peu connue jusqu'alors, il montre à la fois dans ses discours, avec une mesure exquise, le Ministre de la parole divine, le Moraliste philosophe, l'Homme de goût, l'Homme du monde, et l'élégant Académicien. Jamais on ne porta peut-être dans aucun genre de composition oratoire, un pathétique si doux, si affectueux, si tendre, et quelquefois si touchant; une peinture de mœurs si vraie et si pénétrante, une élocution si pure et d'une aussi flatteuse harmonie. Jamais on ne sut rendre plus aimables les préceptes d'une Morale austère et sainte, dont la prédication, souvent infructueuse, méritait alors d'autant plus de respect, , que les mœurs de la Cour et de la Nation s'en écar-` taient davantage.

Au long règne de Louis avait succédé la Régence, et au rigorisme outré des dernières années de ce règne, une licence sans frein

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suite malheureusement trop naturelle d'une austérité hypocrite. La France entière était alors dans un état de crise et de convulsion. Un Systême trop vaste pour n'être pas téméraire, avait agité l'État en bouleversant les Finances; et des révolutions rapides dans les fortunes avaient causé dans les mœurs une révolution plus durable et plus funeste.

A cette époque, tout change dans les Lettres comme dans les Mours ; je me trompe, tout paraît changer. Si l'œil perçant du Philosophe retrouvait, au masque près, dans les Favoris de Philippe les Courtisans de Louis, un observateur attentif pouvait démêler sans peine, à travers les frivolités et l'ivresse passagère de la Nation, cette tendance des esprits vers les études sérieuses qui s'était manifestée à la suite des revers et dans les dernières années du règne de Louis XIV. Ce qui caractérise la Régence, c'est cet amour des nouveautés, ce penchant à l'innovation qu'on croirait vouloir tout détruire, et qui se borne à tout agiter. Il se montrera plus tard et avec plus d'éclat dans les recherches de nos Sadans les méditations de nos Philosophes; il se fait sentir dès-lors dans notre

vans,

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