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tion, très-défectueuse encore, quoique bien moins incorrecte dans Rhadamiste dans les autres ouvrages

de Crébillon.

que

Le talent

Page 31. Des Tragédies de Voltaire. d'enchaîner et de multiplier les situations délicates, ou fortement théâtrales; l'adresse de lier la pompe du spectacle à l'intérêt des situations principales, et de frapper toujours les sens pour ébranler avec plus d'empire l'imagination ; etc.

En créant de nouveaux ressorts, des situations nouvelles, il traite les sujets anciens avec le charme touchant de la simplicité antique. Le premier depuis Racine, il fait des Tragédies sans amour; seul parmi nous, à l'exemple de Sophocle, il fait une Tragédie sans rôles de femme et sans confidens. La révolution annoncée par le sublime auteur d'Athalie, mais que ses faibles disciples n'avaient fait depuis qu'éloigner, il la commence et il l'achève ; il bannit de notre scène la froide galanterie qui l'avait déshonorée ; il la remplace par la passion, par les sentimens de la nature, par des torrens d'éloquence tragique.

Les sujets de pure invention, liés pour la première fois dans Zaïre, dans Alzire et dans Mahomet à des révolutions mémorables, et à de grands noms, reçoivent enfin de cet habile maître, un caractère de dignité, un coloris de vérité historique, qui mêlent à l'intérêt et aux séductions théâtrales dont le talent dispose à son gré dans les sujets qu'il se crée à lui-même, la confiance

et le respect qu'inspirent les noms célèbres et les grandes époques de l'Histoire.

Soit que dans le Nouveau-Monde devenu la proie. d'une avidité barbare et d'un fanatisme destructeur, il peigne une religion de paix et l'acte de la plus héroïque clémence; soit qu'il conduise la Muse tragique dans les déserts de l'Arabie, où, le glaive, l'encensoir et le sceptre à la main, s'élève le fondateur d'un nouveau culte et d'un nouvel empire; soit qu'il mette sous nos regards une horde barbare et conquérante, subjuguée par les lumières, et se soumettant elle-même à la civilisation des vaincus; il peint en action, il offre en spectacle, les mœurs et les institutions, les Hommes et les Empires, et ces grandes révolutions que lui seul a transportées sur la scène avec tant d'éclat et de majesté.

Quant à son dialogue et à son style, ils sont variés comme les sujets, impétueux comme l'action, brillans comme le spectacle. La multitude des pensées, et l'art des rapprochemens, forment le caractère particulier de sa poésie, pleine de beautés supérieures, mais trèséloignée cependant de la perfection de Racine. Dans la rapidité de sa composition, il associe quelquefois les tours et les expressions de la prose aux images de la poésie. Il met en saillie le vers, le trait qu'une ordonnance plus sévère aurait fondu dans l'ensemble; et souvent l'éclat des couleurs avertit du défaut de nuances. Mais si l'on ne trouve pas toujours chez lui cette propriété d'expressions et d'images, cet art, cette perfection continue qui feront le charme éternel de la poésie de Racine, pourrait-on refuser à Voltaire une élo

quence plus vive et souvent plus théâtrale, une éloquence fougueuse, entraînante, enflammée, qui peint avec une effrayante énergie, les agitations violentes le tumulte des passions contraires, les combats de l'ame, et les déchiremens du cœur.

Les Tragédies de Voltaire sont une partie si importante de la gloire littéraire du dix-huitième siècle, qu'on ne saurait dans le Tableau de ce siècle s'y arrêter trop long tems et que je ne crois pas devoir me borner ici, comme j'ai été forcé de le faire dans le texte du discours, à ces allégations générales, dénuées de preuves et de tout développement. Peut-être même ne sera-t-il pas sans intérêt de reproduire dans le cours d'une analyse rapide de ces compositions célèbres, les divers jugemens que j'en ai portés. Ainsi, toujours environnés des développemens et des preuves, ces jugemens motivés s'offriront successivement à l'esprit des lecteurs comme ils se sont offerts par degrés à mon esprit, pendant la lecture des ouvrages qui tour-à-tour en ont été l'objet. Dès lors il sera facile de vérifier, à chaque instant, s'ils m'ont été dictés par la justice, ou suggérés par une admiration peu réfléchie.

OEdipe joué en 1718, est le début de Voltaire; il avait alors 24 ans. Surpasser Corneille, et lutter contre Sophocle, telle était la tâche qu'il s'était imposée, et qu'il remplit avec éclat. Toutefois la Tragédie d'OEdipe a été, ce me semble, trop louée ; elle est loin des chefsd'œuvres de l'auteur. Lui-même il reconnut cette double action qui fait de sa pièce deux Tragédies, dont l'une roule sur Philoctète et l'autre sur OEdipe. Il

reconnut aussi le vice de ce vieil épisode d'amour, qui jette tant de langueur dans ses premiers actes. Mais les derniers où Voltaire imite Sophocle et l'embellit quelquefois, où l'intérêt et la curiosité croissent de scène en scène, avec le développement du sujet; mais le style de ces derniers actes, noble, harmonieux, animé; des scènes enfin d'une grande éloquence, firent dès-lors entrevoir le successeur de Corneille et de Racine.

et

Artemire fut loin de répondre aux espérances données par OEdipe. L'Auteur retira sa pièce, et il traita le même sujet sous le nom de Marianne. Une intrigue faible, sans nœud tragique, et le défaut de mouvement et d'intérêt dans la situation des personnages, ne permettent point de placer Marianne au rang de nos belles Tragédies. Elle l'eût mérité, ce rang, par l'élégance du style toujours pur, harmonieux, sensible cependant trop modelé sur les formes de Racine; formes divines sans doute, et qu'on ne pourrait qu'applaudir si, plus naturelles à l'Auteur, elles étaient le fruit de l'analogie de son talent avec celui de Racine, mais qui paraissent trop, dans Voltaire, un effort d'imitation. Ce style, dit très-bien M. de la Harpe, était d'un élève de Racine fait pour devenir son rival.

Dans Brutus, plus d'imitations, plus de formes étrangères; Voltaire est enfin lui-même; c'est le style de son talent. Partout le même coloris, la même force; il n'est point d'ouvrage de théâtre écrit avec plus de vigueur. Les caractères sont comme le style, variés, énergiques et vrais. Brutus, fondateur de la liberté

romaine, vengeur des lois qu'il cimente du sang de som fils; Titus, romain, héros, amant passionné; Arous, ministre d'un tyran proscrit; Messala, conspirateur dans une République naissante, ont chacun une physionomie propre, et dessinée à grands traits. Le rôle seul de Tullie est faible; et la faiblesse de ce rôle se fait sentir dans l'intrigue. Un amour trop tard annoncé, et trop peu tragique pour balancer dans le spectateur les grandes idées de liberté et de patrie laisse les ressorts opposés de l'action sans équilibre, et y répand trop de langueur. Mais le rôle sublime de Brutus, tant de scènes qui portent l'empreinte d'un grand maître, annonçaient assez dans Voltaire la maturité de son talent.

C'est à Brutus que commence cette suite de nouvelles beautés que Voltaire a, durant quarante années, introduites sur notre scène. Cette exposition, ce spectacle, ce Capitole, ce Sénat pesant les destinées d'un peuple qui doit un jour être le maître de l'Univers, ce serment sur l'autel de Mars ces harangues, ce grand appareil, tout cela est neuf, ou n'est imité que de l'Histoire. En vain y cherche-t-on des ressemblances avec l'exposition de Pompée, où sont agités de grands intérêts sans doute, mais qui n'est après tout qu'une scène entre le Roi d'Égypte et ses confidens.

Voltaire ose encore plus dans Zaïre, et le progrès de son talent est sensible. Dans Brutus, l'écrivain en vers est formé; Zaïre montre dans toute sa maturité le poète tragique.

Ce n'est plus une intrigue sans équilibre: jamais les

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