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Mais elle l'est assez encore pour qu'il ne soit pas permis d'établir entre eux un parallèle.

Je me souviens pourtant d'en avoir lu un bien plus extraordinaire où l'on rapprochait sérieusement La Bruyère et Marivaux ; et un autre plus long encore entre Marivaux et Addisson, où il était beaucoup question du Spectateur français que personne ne lit en France, mais dont on cite encore de tems en tems, en Allemagne et en Angleterre, des observations pleines de finesse et quelques traits d'originalité. Je trouve toutefois ce Spectateur bien inférieur à Marianne'; et contre l'opinion commune, en avouant tout le mérite des caractères de Marianne, et sur-tout de son Climal, je placerais au moins sur la même ligne le premier volume, mais le premier volume seulement, du Paysan perverti.

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Lorsqu'on veut sainement apprécier Marivaux, soit comme romancier, soit comme auteur comique, il ne faut jamais perdre de vue cette réflexion aussi fine et sur-tout aussi juste qu'aucune de celles de Marianne et du Spectateur français : C'est avoir beaucoup d'esprit que d'en avoir trop, mais c'est n'en avoir pas

encore assez.

Page 226. Destouches...... voulut épurer la Comédieet on l'accusé avec raison de l'avoir rendue trop sérieuse, etc.

Deux ouvrages très distingués assurent à Destouches un rang parmi nos meilleurs comiques. Le Philosophe marié, par les mouvemens de l'action, par un caractère entièrement neuf, quoiqu'il ne joue qu'un rôle épisodique, par un dialogue piquant, et des situa

tions théâtrales; le Glorieux, par des caractères variés, quoiqu'on reproche au principal personnage des défauts de convenance; par un comique du meilleur ton ; et plus encore, par ce caractère de dignité qu'il sut imprimer à son ouvrage, sans en bannir le comique. créa, ou plutôt, il

.....

Page 27. La Chaussée renouvela, parmi nous, un genre qui tient à la Comépar les personnages, à la Tragédie par les situa

die
tions, etc.

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Au moment où parut le Préjugé à la mode, on on ne manqua point de traiter La Chaussée comme un novateur. Il est certain cependant que des ouvrages célèbres de l'antiquité, tels que l'Alceste d'Euripide, jugés dans toute la rigueur de nos principes littéraires, sembleraient participer à la fois de la nature, de la Tragédie, de la Comédie, du Drame et de l'Opéra. Sans doute, on ne doit pas mêler des genres aujourd'hui si divers; mais, pour l'intérêt de nos plaisirs, ne devonsnous pas les admettre ou les tolérer tous, en n'accordant à chacun d'eux que le degré d'estime qu'il mérite? Le Drame, on n'en disconvient plus, est assurément fort inférieur à la Tragédie véritable, et à la bonne Comédie; mais s'il est vrai, comme on pourrait le démontrer par de glorieux exemples, que le Drame permet l'usage d'un certain nombre de beautés qui seraient hors de place dans la Comédie, et paraîtraient au-dessous de la dignité tragique, faut-il, sans restriction, proscrire le Drame ? Cela peut sembler au moins douteux. Ce qu'il fallait proscrire, sans aucun doute, c'était le charlatanisme plaisant des successeurs de La

Chaussée

Chaussée, qui l'imitaient beaucoup trop, et ne s'en croyaient pas moins inventeurs; c'étaient leurs extases, leurs ravissemens, et cette importance risible qu'ils s'efforçaient d'attacher, dans des préfaces, à leur pathétique et facétieuse philosophie; c'était sur-tout l'engouement des gens du monde pour ce genre inférieur, et alors dépravé, mais en possession, pendant quelques années, d'épuiser à-la-fois sur notre scène, la longue morale des auteurs et la patiente sensibilité du public.

Page 27. Parmi quelques pièces heureuses, qui rappellent un meilleur tems, s'élevèrent sur-tout deuxchefs-d'œuvres, l'un d'invention et de verve, l'autre de finesse et de grace, la Métromanie et le Méchant.

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De toutes les bonnes Comédies jouées depuis Molière, la Métromanie est celle qui dut produire la plus vive sensation. Pour la première fois, un poète se peignait lui-même avec cette noblesse de cœur et cet enthousiasme d'imagination qui formaient, dit-on, réellement le caractère de l'auteur. Ce dangereux avantage d'avoir à se peindre soi-même fut pour Piron une bonne fortune, et lui fit produire alors, ce qu'il n'a plus fait depuis malgré tout son esprit; je veux dire, un bon ouvrage.

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On admira cette rare fécondité du talent qui sut en vironner un sujet ingrat de tant de beautés qui lui paraissaient étrangères; tant de mouvement et d'attitudes toujours nouvelles dans les personnages, tant de surprises toujours variées pour le spectateur. Cette verve d'invention et de style, ce dialogue vif, pittoresque,

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animé, cette profusion de traits saillans, cette veine intarissable de comique et de plaisanterie, ravirent d'abord tous les suffrages: et l'on n'examina point si ces caractères, pleins de vie et d'expression, étaient bien dans la nature; si tant de situations, qui se succèdent avec la rapidité d'un enchantement, étaient toujours puisées dans le fond du sujet : et aujourd'hui que lo

tems et la réflexion ont fait connaître les défauts de la Métromanie, cette pièce n'en est pas moins regardée comme un chef-d'œuvre, fait pour immortaliser le nom de l'auteur, en dépit même de ses autres ouvrages.

Le Méchant est encore plus remarquable, à l'envisager sous un autre aspect. C'est la plus vive peinture de ce qui s'appelait le Monde, à l'époque où il fut conçu. Cet ouvrage a moins d'éclat que la Métromanie: mais un dialogue plein d'aisance et de grace, un style pur, souple, harmonieux, et poétique avec simplicité, ces couleurs fraîches et locales, ces nuances fines et déliées avec lesquelles Gresset peignit les mœurs du tems et le masque trompeur de la bonne compagnie, ont mérité au Méchant l'honneur d'être cité avec la Métromanie, et ont rendu comme inséparables les noms de Piron et de Gresset. Nous retrouverons ailleurs le talent de cet aimable Comique, qui s'est montré dans la poésie légère, avec non moins de charme et de bonheur, mais qui n'aurait pas dû s'essayer dans la tragédie.

Page 29. Déjà vers le commencement de ce siècle 9 avait paru un génie inculte, il est vrai, mais fier et

tragique. Corneille avait élevé l'ame, Racine affecté délicieusement le cœur; Crébillon voulut effrayer l'imagination. Il s'éleva sur une scène sanglante; et non-seulement le ressort, mais le but de ses compositions théâtrales fut la terreur, etc.

Ne nous arrêtons point sur ses premiers essais, malgré les beautés qu'on ne peut méconnaître dans Atrée. Electre fut jouée en 1708. Le rôle supérieur de Palamède, de grand traits dans le caractère d'Électre, annoncèrent Rhadamiste; et quand Rhadamiste parut, il surpassa les espérances; l'auteur s'était élevé au-dessus de lui-même. Rhadamiste est le chef-d'œuvre de Crébillon ; il lui appartient tout entier, Rien de Corneille, rien de Racine et de tous les tragiques qui l'avaient précédé : tout est original dans Rhadamiste, et tout l'ouvrage respire une fierté, une sorte de grandeur sauvage qui forment la physionomie distinctive du génie de son auteur. Une nature grande et barbare, des mœurs féroces avec digni

té, des caractères généreux, des caractères atroces, une intrigue horrible et touchante, et la terreur mêlée à l'attendrissement, tels sont les traits propres et fortement prononcés qui caractérisent cette tragédie, et la distinguent de tous les ouvrages qu'on avait applaudis jusqu'alors. Le personnage intéressant et noble de Zénobie, le rôle passionné de Rhadamiste, le caractère imposant de Pharasmane, couvrirent aux yeux du spectateur les défauts d'une exposition obscure, des convenances théâtrales violées, et la faiblesse d'un rôle secondaire. L'énergie, la mâle indépendance et les couleurs fortes du style, firent excuser au théâtre les vices de l'élocu

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